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LES ÉLECTIONS POPULAIRES DANS LA STRUCTURE FÉDÉRALE

3. La mise en œuvre des droits de l'électeur:

le recours pour violation des droits politiques

3.1. Le recours en matière d'élections cantonales (art. 85 let. a OJF.) Les règles fédérales garantissant les droits des électeurs dans les cantons auraient certainement une portée beaucoup plus restreinte sans la voie de droit qui les a largement consacrées: le recours de l'art. 85 let. a OJF. Avant d'étudier plus en détail la délimitation entre celui-ci et le recours de l'art. 84 let. a OJF., nous allons examiner en bref les particularités de ce moyen.

D'emblée, relevons que sa portée est très large, puisqu'elle concerne non seulement - conformément à sa lettre - les élections cantonales et communales, mais très généralement celles de toutes les corpora-tions dont les votacorpora-tions et les éleccorpora-tions sont soumises au droit public cantonal (districts, cercles, communes bourgeoises, commissions sco-laires etc.) 269.

264 M. RossINELLI (1987), pp. 174-175; ATF 104 la 88 96 Bürgin, du 8 mars 1978.

26s Cf. T. PoLEDNA (1988), p. 18.

266 M. Ross1NELL1 (1987), p. 176.

267 T. POLEDNA/S. WIDMER (1987), passim.

268 Nous n'avons examiné, parmi les principes dégagés par le Tribunal fédéral, que ceux qui concernent les élections. Nous ne traitons donc ni du contenu ni de la nature juri-dique des règles qui ne concernent que les votations, relatives par exemple à la forme et à l'invalidation des initiatives, à l'institution du contre-projet ou encore au référen-dum financier. A ce propos, voir en particulier A. AuER (1978), passim; E. GRISEL (1987), pp. 127 ss; A. KôLz (1982), passim.

269 W. KAuN (1984), pp. 163-164; ATF 105 la 368 369 Reichmuth, du 5 octobre 1979.

L'objet du recours de l'art. 85 let. a OJF. ne se limite pas, contraire-ment à celui de l'art. 84, aux arrêtés et aux décisions, mais s'étend à

«tout acte cantonal .susceptible de porter atteinte aux droits politiques cantonaux et communaux»270 Ainsi, il est possible d'attaquer des actes des autorités sans portée directe pour les particuliers, tels que la publication aux frais de la commune d'une liste de candidats à l'exé-cutif communal dans les journaux locaux271, la prise en considération d'une déclaration d'apparentement non publiée272, ou, de façon géné-rale, tout vice grave de procédure273, voire de mettre en cause l'influence illicite de tiers sur la formation de la volonté de l'électeur274 ou la captation systématique de suffrages275276De plus, l'exigence de l'intérêt personnel et juridique de l'art. 88 OJF. ne concerne pas la qualité pour recourir en matière de droits politiques, qui est plus large que dans le domaine des droits constitutionnels. Il suffit donc en prin-cipe «que celui qui se plaint d'une atteinte au droit de vote soit élec-teur pour l'élection ou la votation en question» 277; en cas de recours abstrait contre un acte normatif concernant les droits politiques, il suf-fit même d'avoir le droit de vote dans le canton ou la commune où la règle incriminée risque d'être appliquée: ainsi, un juriste tessinois a qualité pour attaquer une disposition législative de son canton qui pré-voit l'incompatibilité entre la fonction ecclésiastique et l'appartenance à un exécutif communàl, même s'il est fort improbable qu'il embrasse jamais la vie ecclésiastique278Une telle extension de la qualité pour recourir est justifiée par «le fait que le citoyen, par son droit de vote et d'élection, exerce non seulement un droit individuel, mais qu'il exerce en même temps une compétence organique et donc une fonc-tion publique. Une violafonc-tion des droits politiques peut dès lors entrer en considération quand bien même le citoyen n'est aucunement

270 A. AUER ( 1983), p. 223; cf. ibid., pp. 222-224; A. AUER ( 1978), pp. 76-78; E. GRIS EL (1987), p. 115; W. IùuN (1984), pp. 164-165.

271 ATF 113 la 291 Dora Geissberger, du 3 juin 1987.

272 ATF 104 la 360 Parti socialiste lausannois, du 13 décembre 1978.

273 ATF 102 la 264 270 Klee, du 19 mai 1976; cf. ATF 113 la 43 K., du Il février 1987;

105 la 237 Section de La Neuveville - Plateau de Diesse d'Unitéjurassienne, du 4 mai 1979.

274 ATF 102 la 264 Klee, du 19 mai 1976.

275 ATF 103 la 564 Vonarburg, du 30 novembre 1977; cf. ATF 97 1 659 Müller, du 22 septembre 1971.

276 Pour un bon exemple d'arrêt indiquant que c'est le vice affectant la préparation du scrutin qui èst l'objet du recours pour violation des droits politiques, voir ZBl 83/1982 p. 205, non publié aux ATF.

277 A. AuER ( 1983), p. 226; cf. ATF 113 la 43 44 K., du 11 février 1987; 107 la 217 218-219 Bo/met, du 20 novembre 1981; 102 la 264 266 Klee, du 19 mai 1976.

278 ATF 114 la 395 399-401 F. X., du 29 juin 1988.

touché dans ses intérêts personnels et le recours pour violation du droit de vote est également recevable lorsque le recourant a exclusive-ment en vue la défense d'intérêts publics» 279De plus, le recours de l'art. 85 let. a OJF. est largement ouvert aux associations à caractère politique, et notamment aux partis politiques: «ceux-ci peuvent soit se plaindre d'une atteinte à leur situation juridique et à leur action politique, soit prétendre que leurs adhérents sont atteints dans l'exer-cice de leur droit de vote .. ., même si la mission de défendre les intérêts de leurs membres n'est pas expressément prévue dans leurs statuts» 280 Ainsi, des partis politiques ont été admis à s'en pren-dre à une déclaration d'apparentement281, à ç.ontester le mode de répartition des sièges entre les circonscriptions vaudoises282 ou encore le système électoral appliqué à l'élection du Grand Conseil ber-nois 283,284.

La différence principale entre les deux voies de droit concerne cependant les moyens de recours, et, par conséquent, le pouvoir d'exa-men du Tribunal fédéral285 En effet, le recours pour violation des droits politiques permet d'invoquer la violation de toute disposition constitutionnelle, législative ou réglementaire «qui précise ou est en liaison étroite avec le contenu des droits politiques» 286; le respect d'une telle règle est contrôlé par le Tribunal fédéral avec plein pouvoir de cognition 287

L'art. 85 OJF. permet-il d'invoquer non seulement la violation de normes cantonales, mais aussi celle de la Constitution fédérale - la législation fédérale n'a en effet pratiquement aucune portée en la

279 JdT 1980 I 473 476 = ATF 104 la 226 229 Fauquex, du 12 juillet 1978.

280 ATF 104 la 360 362 Parti socialiste lausannois, du 13 décembre 1978.

281 Ibid.

282 ATF 99 la 658 661 Parti ouvrier et populaire vaudois, du 4 décembre 1973. Le recours a pourtant été examiné sous l'angle de l'art. 84 OJF., à notre sens à tort: voir infi'a pp. 57-58.

283 ZBl 88/1987 pp. 367 369, non publié aux ATF.

284 Sur la qualité pour former un recours pour violation des droits politiques, voir en général A. AuER (1978), pp. 79-81; (1983), pp. 225-226; E. GRISEL (1987), pp. 120-121; W. KA.LIN (1984), pp. 262-263.

285 Sur le caractère indissolublement lié des moyens et du pouvoir d'examen, voir A. AUER (1983), pp. 252 SS.

286 A. AUER (1978), p. 105; cf. F. ANTOGNINI (1988), p. 311; B. KNAPP (1987), N° 91 ad art. 5 Cst. féd.; ATF 113 la 43 44 K., du 11 février 1987; 111 la 201 202 Heinz Wyss, du 2 octobre 1985.

287 A. AUER (1978), p. 105; (1983), pp. 219-220; E. GRISEL (1987), pp. 119, 123-124;

W. KA.LIN (1985), pp. 124-125, 201.

matière288? Cette question se pose essentiellement pour l'art. 43, l'art.

49 al. 4 et surtout l'art. 4 Cst. féd. (dans la mesure où il prescrit l'éga-lité politique), toutes dispositions en rapport étroit avec le contenu des droits politiques.

Le Tribunal fédéral a répondu à cette question par la négative dans un arrêt de 1973. Il a examiné l'existence d'inégalités de représenta-tion 289 entre diverses circonscriptions uniquement sous l'angle de l'art.

4 Cst. féd., en refusant d'entrer en matière sur le grief de la violation des droits politiques290

Cette attitude est critiquable. Tout d'abord, le texte même de l'art. 85 OJF. prévoit que le Tribunal fédéral· connaît des recours concernant les droits politiques «quelles que soient les dispositions ...

du droit fédéral régissant la matière», ce qui laisse entendre que la vio-lation du droit fédéral, et en particulier de la Constitution fédérale, peut être invoquée. On ne voit ensuite pas pourquoi le recours de l'art. 85 OJF. permettrait d'invoquer la liberté de vote, droit constitu-tionnel fédéral non écrit, mais pas les garanties expresses de la Consti-tution fédérale291D'ailleurs, on ne saur.ait tracer une séparation nette entre les deux types de griefs, car liberté de vote et égalité sont souvent imbriquées 292, tout particulièrement dans le domaine de la formation de la volonté de l'électeur, soumis au principe de l'égalité des chances, qui résulte aussi bien de l'art. 4 Cst. féd. que du droit constitutionnel non écrit293De plus, une analyse historique de la jurisprudence fédé-rale montre que celle-ci a longtemps permis d'invoquer des disposi-tions de la Constitution fédérale dans le recours pour violation des droits politiques. Ainsi, la loi fédérale d'organisation judiciaire de 1893 attribuait les questions de droit de vote, d'élections et de vota-tions cantonaux aux autorités politiques fédérales, tandis que le grief de l'art. 4 Cst. féd. devait être soulevé devant le Tribunal fédéral294;

cependant, aussi bien le Tribunal fédéral que le Conseil fédéral furent d'accord de considérer qu'un recours qui invoquait la violation du principe d'égalité dans le domaine des droits politiques était de la

288 Sur la portée limitée des dispositions fédérales infra-constitutionnelles dans le domaine des droits politiques cantonaux, voir H. KuRATLE (1952), p. 60 et supra pp. 24-25.

289 Sur les inégalités de représentation, voir infra pp. 141 ss, 153 ss.

290 ATF 99 la 658 Parti ouvrier et populaire vaudois, du 4 décembre 1973.

291 Cf. E. GR!SEL (1987), p. 119.

292 T. PoLEDNA (1988), p. 7.

293 Ibid., pp. 148-149; voir supra p. 46.

294 H. KURATLE (1952), pp. 76 SS; T. POLEDNA/S. W!DMER (1987), p. 284.

compétence du Conseil fédéral295Depuis le 1er février 1912, la viola-tion des droits politiques cantonaux est de la compétence exclusive du Tribunal fédéral296; cela n'a pas empêché notre Cour suprême, très récemment encore297, d'entrer en matière sur la base de l'art. 85 OJF.

(ou, avant 1943, sur celle de l'art. 180 ch. 5 de la loi d'organisation judiciaire de 1911) sur des recours formés pour violation de l'art. 4 ou de l'art. 43 Cst. féd. en rapport avec les droits politiques298La doc-trine la plus récente penche d'ailleurs pour le recours de l'art. 85 OJF.299Tout au moins un examen sous l'angle de l'art. 84 OJF. ne devrait-il entraîner aucun inconvénient pour le justiciable, et en parti-culier ne pas limiter le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral à l'arbi-traire, comme ce fut le cas dans l'arrêt précité de 1973, qui, espérons-le, restera isolé300

Nous admettons cependant une exception au principe du plein pou-voir de cognition: «lorsque le recourant invoque la violation d'une dis-position infra-constitutionnelle de procédure qui n'est pas étroitement liée au contenu du droit de vote, le pouvoir d'examen du Tribunal est limité à l'arbitraire, de sorte que le grief de la violation des droits poli-tiques se confond avec celui fondé sur l'art. 4 Cst.»301La confusion avec le recours pour arbitraire ne concerne cependant que le moyen invoqué: elle ne saurait s'étendre aux conditions de recevabilité, en particulier à l'objet du recours et à la qualité pour recourir, qui restent fixés d'après l'art. 85 OJF. 3o2,303.

295 FF 1900 IV 13; T. POLEDNA (1988), pp. 5-6, 202.

296 H. KURATLE (1952), p. 78; T. POLEDNA (1988), pp. 210 SS; T. POLEDNA/S. WIDMER ( 1987), p. 284.

297 ATF 114 la 395 F. X., du 29 juin 1988.

298 Voir aussi ATF 91 I 8 Walther, du 17 mars 1965; 49 I 416 Bachmann, du 23 novem-bre 1923; 41 I 58 61 Zbinden, du 18 mars 1915.

299 E. ÜRISEL (1987), p. 119; W. KALIN (1985), pp. 124-125.

300 ATF 99 la 658 664-665 Parti ouvrier et populaire vaudois, du 4 décembre 1973. Il est vrai que, dans cette affaire, le Tribunal fédéral a tout d'abord affirmé qu'il revoyait librement l'application du principe d'égalité. Cependant, il a considéré que son pou-voir d'examen se limitait en l'espèce à l'arbitraire. Pour une critique de cette jurispru-dence, voir A. AuER (1978), p. 108.

301 A. AUER (1978), p. 106. Cf. A. AUER (1983), pp. 254-255; W. KALIN (1984), p. 201;

ATF 106 la 197 199 Franz Weber, du 18 janvier 1980; 104 la 350 358 Jenni, du 4 octobre 1978; 91 I 266 271-272 Plüss, du 15 septembre 1965.

302 ATF 104 la 357-358 Jenni, du 4 octobre 1978.

303 Les rapports entre le recours pour violation des libertés individuelles (telles que libertés d'opinion, de presse, de réunion ... ) au sens de l'art. 84 OJF. et le recours pour violation des droits politiques de l'art. 85 OJF. nous semblent poser moins de problèmes. Nous avons donc renoncé à en traiter, et renvoyons à ce sujet aux études d'A. AUER (1978), pp. 101 ss et W. KALIN (1984), pp. 127-129. Sur l'interdépendance entre droits politiques et libertés, voir toutefois supra p. 45.

3.2. Le recours en matière d'élections fédérales

Le contentieux des élections fédérales est bien sûr plus limité que celui des scrutins cantonaux. En outre, il ne relève en principe pas d'autorités judiciaires: l'électeur doit s'adresser tout d'abord au Gou-vernement cantonal 304, alors que la dernière instance est le Conseil national3°5Le recourant peut se plaindre de toutes les «irrégularités affectant la préparation et l'exécution des élections» 306: il peut donc invoquer «non seulement la violation des prescriptions de procédure, mais aussi les erreurs de dénombrement ou les atteintes illicites por-tées à l'exercice libre et non contrôlé du droit de vote»307Toute viola-tion de la liberté de vote, qu'elle soit le fait des autorités ou des parti-culiers, est donc un motif de recours308Comme dans le domaine des élections cantonales, le scrutin ne sera cependant annulé que

«lorsqu'il n'est pas possible d'exclure que les irrégularités constatées ont pu influer sur le résultat de celui-ci» 309

Le recours contre les décisions du Gouvernement cantonal est cependant ouvert auprès du Tribunal fédéral lorsque est en cause le droit de vote proprement dit, en particulier l'inscription ou la radia-tion dans le registre des électeurs ou encore le refus ou l'autorisaradia-tion du vote par correspondance ou par procuration310

De façon générale, la qualité pour recourir est aussi large que pour le recours de l'art. 85 let. a OJF.: elle appartient à toute personne ayant qualité d'électeur pour l'élection en question, ainsi qu'aux partis politiques; cependant, elle ne concerne que le canton dans lequel le recourant a le droit de vote311

4. Conclusion

Au terme de ce chapitre, nous devons constater que la portée du droit fédéral dans le domaine des élections dépasse très large-ment le cadre de l'élection du Conseil national et des quelques règles

304 LFDP. art. 77 al. 1 let. c.

305 LFDP. art. 82.

306 LFDP. art. 77 al. 1 let. c.

3o7 La LFDP. (1980), pp. 128-129.

308 Ibid., pp. 125-126, 129.

309 Ibid., p. 138; voir aussi ibid., pp. 132 ss et LFDP. art. 78 al. 2.

310 LFDP. art. 2-4, 5 al. 4-6, 77 al. 1 let. a, 80 al. 1; La LFDP. (1980), pp. 127-128.

3 11 La LFDP. (1980), pp. 126-127.

constitutionnelles qui se rapportent expressément aux droits politi-ques. Nous ne saurions nous en chagriner, contrairement à E. ÜRI-SEL312. En effet, l'imposition de certaines règles minimales par la prati-que des autorités politiprati-ques fédérales et la jurisprudence du Tribunal fédéral ne vise pas tant à priver les cantons de leurs compétences qu'à assurer une démocratie authentique dans tout le pays. Elle concrétise au premier chef le principe d'égalité, que nos pères entendirent préci-ser déjà en 1848 en ce qui concerne les droits politiques, lorsqu'ils adoptèrent l'art. 4 Cst. féd., et plus spécifiquement sa deuxième phrase. Le Tribunal fédéral doit donc se montrer particulièrement vigi-lant afin d'éviter des inégalités dans ce domaine. En outre, seule une définition uniforme de la liberté de vote peut garantir avec certitude le respect de l'exigence la plus fondamentale de notre Etat, la démocra-tie; celle-ci ne serait en effet qu'un mot vain, et le vote un rite pure-ment formel, si l'électeur n'avait pas, selon la formule consacrée, «le droit d'exiger que le résultat d'un vote ne soit pas reconnu s'il n'est pas l'expression fidèle et sûre de la libre volonté des citoyens» 313

312 (1987), pp. 35-36.

313 Cf. supra p. 43.