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b. Un système de contrôle en retrait

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’aurait pas été rendue aussi célèbre sans la mise en place d’un dispositif juridictionnel exercé devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Malheureusement, la Charte européenne de l’autonomie locale ne bénéficie pas d’un tel

dispositif79. Pourtant, il avait bien été envisagé d’annexer un protocole spécifique à

l’autonomie locale à la Convention européenne des droits de l’homme. Cette adjonction aurait permis à l’autonomie locale de bénéficier de la protection juridictionnelle exercée par la Cour européenne des droits de l’homme. Toutefois, le Comité des ministres avait estimé que la vocation de la convention européenne des droits de l’homme n’était pas de protéger l’autonomie locale. Que l’autonomie devait faire l’objet d’un instrument juridique

distinct de celui de la protection des droits de l’homme80

.

79 Delcamp Alain, « La Charte européenne de l’autonomie locale et son système de contrôle », Annuaire des

collectivités locales, 1999, pp.139-172.

80 Au début des années 1960, l’autonomie locale a bien failli n’être qu’un protocole annexé à la Convention

européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cette question fit l’objet d’une controverse opposant l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe et la Conférence européenne des pouvoirs locaux (favorable à ce protocole) et le Comité des ministres (en faveur d’un

instrument juridique spécial et indépendant). Voir Alain Delcamp, op.cit. ; Patrice Williams-Riquier,

« La Charte européenne de l’autonomie locale : un instrument juridique international pour la décentralisation », RFAP n°121-122, 2007, pp.191-202.

A défaut de la mise en place d’une procédure juridictionnelle destinée à faire appliquer la Charte, l’article 14 prévoit la communication d’informations au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe.

_ « Chaque Partie transmet au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe toute

information appropriée relative aux dispositions législatives et autres mesures qu'elle a prises dans le but de se conformer aux termes de la présente Charte ».

Les Etats communiquent au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe les documents qui établissent les réformes engagées, ou plus simplement, les dispositions législatives et réglementaires prises en application de la Charte. Le texte mentionne seulement une obligation de communication de documents. Aucun mécanisme de sanction n’apparait. Que ce soit pour le défaut de présentation de documents ou pour la lenteur ou l’absence d’avancées réelles en matière d’autonomie dans les Etats. Le rapport explicatif est lui-même évasif sur la question. Il se contente de rappeler la liberté des Etats quant à la

qualité81 des informations à fournir au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe.

Un contrôle politique a pourtant réussi à se mettre en place pour s’assurer que les Etats

parties respectent leurs engagements82.

Sur le fondement de l’article 14, la surveillance de l’application de la Charte est assurée

par le Congrès83. Dans la mesure où le Congrès est en relation directe avec le Comité des

ministres, à qui il communique régulièrement des avis et recommandations sur tous les domaines touchant les collectivités locales, notamment l’autonomie locale, il apparait être

81 « […] en créant pour celle-ci l’obligation de fournir toute information appropriée au Secrétaire Général

du Conseil de l’Europe », voir le rapport explicatif de la Charte, op.cit.

82 Le 20 mars 1991, la CPLREadoptait la résolution n°223 qui appelait les membres européens à concevoir

un « véritable système de contrôles » et plaidait pour la création d’un comité d’experts indépendants, sur le modèle du comité d’experts en charge du contrôle de l’application de la Charte sociale, élu par le comité des ministres. La résolution préconisait la rédaction de rapports généraux et périodiques suivis de recommandations ainsi que l’examen des plainte éventuelles d’associations d’élus locaux ou de délégations composant la Conférence concernant l’application de la Charte. Voir le rapport de Jean

Puech, Président de l’Observatoire sénatoriale de la décentralisation, La Charte européenne de

l’autonomie locale, une nouvelle chance pour la décentralisation à la française ?, 2006, consultable sur http://www.senat.fr/ct/ct07-01/ct07-01.pdf

83 Depuis la révision de la Charte statutaire du Congrès des pouvoir locaux et régionaux du Conseil de

l’Europe, adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, le 2 Mai 2007, résolution statutaire 2007 (6), l'usage du titre ''Le Congrès'' est formellement adopté et pourra être utilisé pour désigner le ''Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe''. Article 1 de la résolution 2007 (6).

l’organe le mieux placé pour assurer ce contrôle politique. Ce contrôle « politique » ou

monitoring du Congrès consiste principalement en l’adoption de rapports généraux, rédigés par des experts sur l’état de l’autonomie et de l’application des dispositions de la Charte européenne de l’autonomie locale à l’intérieur des Etats signataires.

Les bases de ce « système propre de contrôle 84» sont jetées en janvier 1992 (à

Barcelone). A la suite de la résolution n° 233 du 18 mars 1992, la commission des structures, des finances et de la gestion, est chargée d’assurer le suivi de l’application de la

Charte. Cette commission mettra en place un groupe de travail ad hoc comprenant quinze

experts nationaux et qui se réunira pour la première fois, à Strasbourg, le 8 novembre 1993.

Le 2 juin 1994, ce groupe de travail ad hoc se transforme officiellement en groupe de

travail du Congrès. Et la résolution et la recommandation adoptées par le Congrès le 5 juillet 1996 confirment les orientations définies jusqu’alors : le groupe de travail détient

désormais un mandat direct du Congrès et le comité d’experts indépendants est consacré

dans ses prérogatives85.

Dès lors, le groupe de travail se retrouve investi d’un mandat de contrôle dit

«d’office»86 ; il élabore dans le cadre de ce contrôle des « rapports généraux et

périodiques87» (sur l’application de telle ou telle disposition de la Charte) avec l’assistance

du comité d’experts indépendants et met au point des rapports particuliers, pays par pays88

, à la demande d’associations d’élus locaux ou des délégations représentées à la

Conférence89.

84 L’idée d’un contrôle politique de l’application de la Charte par la CPLR, le futur Congrès, a ensuite été

entériné par le comité directeur des autorités locales et régionales, organe intergouvernemental, le 12 octobre 1992.

85 Voir la résolution n°34 (1996) du 5 juillet 1996 et la recommandation 20 (1996) du 5 juillet 1996.

86 Voir le considérant 10 de la résolution n°34 (1996) : « le suivi résulte : d’un contrôle permanent ex officio

de l’application des articles de la Charte dans l’ensemble des parties contractantes en vue de formuler des observations et des propositions aux gouvernements; — d’un contrôle sur demande provenant des autorités locales et régionales par l’intermédiaire de leurs associations représentatives ou de leurs délégations auprès du CPLRE ».

87 Voir le considérant 15, a) de la résolution n°34 (1996) : ŕ confirme le mandat du Groupe de travail

compétent pour qu’il poursuive l’élaboration de rapports généraux et périodiques, toujours assisté du comité d’experts indépendants et dans le cadre du programme qu’il établi.

88 La Conférence de Copenhague des 17 et 18 avril 1996 avait émis ce souhait d’établir des rapports

particuliers, pays par pays afin d’établir l’état de la mise en œuvre de la Charte européenne de l’autonomie locale.

Toutefois, il faudra attendre la réforme du statut du Congrès pour que le Conseil de l’Europe confirme officiellement sa mission de mise en œuvre de la Charte européenne de l’autonomie, par la résolution statutaire 2000 (1) du 15 mars 2000 adoptée par le Comité

des ministres lors de la 702ème réunion des ministres délégués : « Le Congrès prépare

régulièrement des rapports - pays par pays - sur la situation de la démocratie locale et régionale dans tous les Etats membres ainsi que dans les Etats candidats à l'adhésion au Conseil de l'Europe, et veille, en particulier, à la mise en œuvre effective des principes de la Charte européenne de l'autonomie locale90 ».

Si la mise en place de ce monitoring a pu paraitre laborieuse, le dispositif va

progressivement se révéler prolifique. Ces rapports n’ont aucune force contraignante sur les Etats. Aucun mécanisme de sanction ne vient renforcer le dispositif de la Charte. Mais la production même de ces rapports qui se fondent sur une étude comparée des systèmes juridiques des Etats signataires de la Charte, semble leur octroyer une certaine force et incite les Etats à entreprendre les réformes nécessaires dans le sens de l’autonomie locale.

Les rapports généraux ont ainsi permis de donner une vision d’ensemble portant sur des

questions transversales touchant les collectivités locales91.

_ « Ces rapports ont pour principal objectif d'examiner dans le détail les fondements juridiques de l'autonomie locale et les conditions dans lesquelles elle fonctionne dans les Etats qui ont simplement signé la Charte. La procédure d'examen sert plutôt d'incitation politique. Elle respecte divers modèles et pratiques d'autonomie locale dans les différents Etats européens. En conséquence, le Congrès s'efforce de tenir compte des caractéristiques propres à chaque Etat et d'interpréter les dispositions de la Charte de manière évolutive92 ».

90 Article 2-3 de la résolution statutaire 2000 (1) du 15 mars 2000. Et la résolution statutaire 2007 (6) adoptée

le 2 mai, qui modifie la Charte statutaire du Congrès, rappelle notamment cette mission.

91 Le premier rapport général (mars 1993) portait sur l’applicabilité de la Charte ; en 1994 sur les relations

institutionnelles entre les autorités locales et les collectivités locales ; en 1998 et 2000, un premier volet portait sur la question des ressources financières des collectivités ; et un second volet, sur les compétences des collectivités où un test concret pour la subsidiarité est fondé; en 2002, le rapport portait sur le cadre institutionnel de la démocratie locale ; en 2005, les 20 ans de la Charte européenne de l’autonomie locale.

92 Voir « Les relations entre les citoyens, l’assemblée et l’exécutif dans la démocratie locale (le cadre

institutionnel de la démocratie locale) » - CPL (9) 2 Partie II, rapporteur : M. Anders KNAPE, https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CPL(9)2&Language=lanFrench&Ver=original&Site=COE&Bac kColorInternet=e0cee1&BackColorIntranet=e0cee1&BackColorLogged=FFC679#Top

Quant à la production de rapports particuliers, pays par pays, cette méthode a permis de mener des enquêtes très approfondies sur l’état de la démocratie locale dans de nombreux

Etats de l’Europe93. Ces rapports ont très souvent fait l’objet de résolutions et de

recommandations adoptées par le Congrès, en raison de la situation particulière de certains

Etats. Par exemple, Chypre a fait l’objet de deux recommandations en 2001 et 200594

. De même que la France n’a pas échappé à un examen poussé de l’état de la démocratie locale et régionale sur son territoire. Réalisé par MM. Bucci et Van Cauwenberghe au mois d’avril 2000, le rapport a fait l’objet d’une résolution du Congrès le 25 mai 2000. Le rapport, après avoir dressé un bilan de la décentralisation « à la française »95, analyse ce

mouvement comme « inachevé » et perçu comme «recentralisateur96». Libre à l’Etat de

suivre ou non les propositions répertoriées dans le rapport.

93 Roumanie (1995), Albanie, Turquie, Russie, Italie (1997), Pays Bas, République de San Marin, RFA et

Finlande (1999), République Tchèque, France, Estonie, Ex république yougoslave de Macédoine et la Moldavie en 2000 ; Lituanie, Slovaquie, Slovénie, Chypre, Irlande, Ukraine, Bosnie-Herzégovine, république fédérale de Yougoslavie en 2001 ; Grèce, Hongrie, Pologne, Espagne, malte en 2002 ; Azerbaïdjan, Portugal, Belgique, Arménie et Norvège en 2003, Russie et Géorgie en 2004, suède, Danemark, Luxembourg et Turquie en 2005 ; Lichtenstein en 2006.

94 Recommandations 96 (2001) et 178 (2005) 1. Chypre bénéficie d’une attention particulière en raison de la

division du territoire de l’île depuis 1974. Cette division ne facilite pas la mise en œuvre de la Charte européenne de l’autonomie. Le congrès évalue les domaines dans lesquels le gouvernement Chypriote devrait intervenir afin d’améliorer la démocratie locale.

95 Analyse des transferts de compétences et de moyens financiers ; transfert du pouvoir exécutif aux

départements et aux régions, remplacement de la tutelle ; avènement de la région comme collectivité territoriale ; création d’une fonction publique territoriale ; déconcentration de l’administration centrale de l’Etat.

96 Le rapport souligne les difficultés de rationalisation du paysage communal, pose la question de la

multiplicité des niveaux d’administration territoriale avant de s’inquiéter de l’enchevêtrement des compétences (qui s’oppose aux blocs de compétences homogènes souhaités par la Charte) et de l’étatisation progressive de la fiscalité locale (qui contrevient au principe d’autonomie financière locale). Recommandation 78 (2000) ; voir également le rapport de l’Observatoire sénatorial de la

décentralisation française, op.cit. p. 39-40. Pour relancer la décentralisation en France, le rapport

préconise que la France s’engage dans : - le passage de « l’intercommunalité » à la «

supra-communalité » ;- la reconnaissance du principe « d’auto-organisation » dans une France diversifiée ;- l’amélioration des formules de partenariat entre collectivités locales ;- la préservation de l’autonomie fiscale des collectivités ;- la ratification par la France de la Charte européenne de l’autonomie locale. Sur ce dernier point, le rapport juge qu’ « aucun obstacle réel ne s’oppose dès lors à la ratification de la Charte. La France ne ferait ce faisant que conforter sa marche vers la décentralisation en levant le malentendu que peut provoquer le fait que, tout en satisfaisant à la plupart de ses exigences par un haut degré d’autonomie locale, elle n’est pas partie à un traité jugé de plus en plus fondamental pour la substance de la démocratie et dont la ratification a d’ailleurs été considérée comme condition aux pays d’Europe centrale et orientale lors de leur entrée au Conseil de l’Europe ». La démocratie locale et régionale en France - Moreno Bucci (Italie) et Jean-Claude Cauwenberghe (Belgique) - Conseil de l'Europe, Strasbourg, 10 mai 2000.

L’ordre de l’Union européenne a également tenté d’imposer les vertus de l’autonomie locale. Toutefois, ce projet était, dans son essence même, voué à l’échec.

§ 2. L

A

C

HARTE COMMUNAUTAIRE DE LA

R

EGIONALISATION

,

ANALYSE D

UN

ECHEC ANNONCE

Les mouvements régionalistes des années 6097, le repositionnement de la pensée

politique par rapport à « la base », l’engagement de nouvelles politiques de réaménagement

et de rééquilibrage du territoire98 constituent autant de facteurs qui conduisent au réveil des

régions en Europe, et notamment, dans l’UE. Les conclusions des travaux commandés au sein du Conseil de l’Europe en matière d’autonomie locale se diffusent subrepticement dans la construction communautaire, dans la mesure où les Etats membres de l’UE appartiennent aussi au système du Conseil de l’Europe. L’UE ne pouvait demeurer hermétique à ces avancées. Tantôt, elle les subit, tantôt, elle contribue au développement de ce mouvement, et prend conscience d’un intérêt à se soucier de plus en plus du niveau régional et local. Les différents élargissements de l’Union européenne ont probablement imposé d’office la question régionale au cœur des problématiques de la construction européenne. Au gré des élargissements, des régions en retard de développement se sont révélées en Europe. A partir de problématiques économiques, l’ordonnancement communautaire conçoit une vision de plus en plus politique des niveaux infra-étatiques, jusqu’à présenter une Charte communautaire sur la régionalisation (A). En dépit de l’absence de poursuite de ce projet, l’UE parvient à diffuser les principes directeurs de l’autonomie locale au sein de ces Etats membres (B).

97 Pour une appréhension globale de ce phénomène, voir l’ouvrage collectif de Marie Thérèse Bitsch (dir.),

Le fait régional et la construction européenne, coll. Organisations internationales et relations internationales, Bruxelles, Bruylant, 2003, 457p. ; voir également, Clergerie Jean Louis, « La prise en

compte du fait régional par l’Union européenne », in L’Union européenne à l’aube d’un nouveau

siècle, 40 ans de la signature des Traités de Rome, Liber amicorum Jacqueline Lastenouse-Bury, Paris, Juridica, 1997, pp. 379-392

98 Claude de Granrut, « La prise en compte des régions » p.22, (in) Europe, le temps des régions, LGDJ, coll.

A. D

E LA CREATION D

UN

F

ONDS REGIONAL AU PROJET DE

C

HARTE COMMUNAUTAIRE DE LA

R

EGIONALISATION

Contrairement au Conseil de l’Europe, le système de l’Union européenne ne s’intéresse pas directement aux entités infra-étatiques. Des interdits d’ordre institutionnel privent l’UE de se mêler de l’organisation interne de ses Etats membres. Pourtant, des circonstances factuelles obligent l’UE à considérer les niveaux infra-étatiques, dans une dimension économique dans un premier temps (1). Cette appréhension des réalités locales amènera le Parlement européen à introduire un projet de Charte communautaire de la Régionalisation (2).

1. L’appréhension économique des réalités locales dans l’Union

européenne

Les élargissements successifs de l’Union européenne conduisent à mettre en place une politique régionale destinée à réduire les écarts de développements entre les Etats. La création du FEDER (a) est un élément déclencheur à la prise en compte des réalités

régionales dans l’ancienne Communauté européenne. La création de ce fonds structurel99

édifie par la-même les premières bases de la politique régionale en Europe. Cette politique régionale finit par acquérir de plus en plus d’importance dans l’ordre de l’Union européenne (b).