• Aucun résultat trouvé

Une exemption de plus en plus encadrée

b. La subsidiarité combinée à la démocratie

2. Une exemption de plus en plus encadrée

Dans un arrêt fondateur du 17 décembre 1980449 où la Cour de justice de l’UE a statué

avant dire droit, elle a défini des critères permettant de déterminer la portée de la

dérogation de l’article 45§.4 TFUE : « La détermination du champ d’application du §4 de

l’article 48 soulève cependant des difficultés particulières en raison du fait que, dans les divers Etats membres, la puissance publique a assumé des responsabilités de caractère économique et social, ou participe à des activités qui ne sont pas assimilables aux

ouverture aux ressortissants communautaires de certains cadres d’emplois de la fonction publique- ; puis celui du 30 Août 1994 Ŕ sur l’accès aux concours de la fonction publique territoriale, l’assimilation des diplômes délivrés dans les autres Etats membres-. En France, on a pu parler de la dualisation de la fonction publique qui n’est valable qu’à l’égard des ressortissants communautaires. Soit le poste nécessite l’exercice de pouvoirs de puissance publique, auquel cas, il ne peut prétendre au poste ; soit le poste ne fait pas appel à l’exercice de ces pouvoirs (ou alors de manière très sporadique), auquel cas il peut postuler.

449 CJCE, 17 décembre 1980, Commission c/ Belgique, aff. 149/79, rec. p. 3881 ; suivi de l’arrêt en

manquement, CJCE, 26 mai 1982, Commission c/ Belgique, aff. 149/79, rec. 1845. Cette affaire

concernait des emplois communaux (ville de Bruxelles) : aide jardinier, architecte, contrôleur, chef de bureau technique, contrôleur de travaux, contrôleur des inventaires, infirmière, menuisier, veilleur de nuit, etc. pour lesquels la ville exigeait que les candidats remplissent la condition de nationalité belge. Le gouvernement belge justifiait cette condition car selon lui « les communes sont des articulations de la puissance publique, responsables de l’intérêt général de la collectivité locale et que les agents communaux, fréquemment en contact avec la population, doivent nécessairement être acceptés par celle-ci ».Certains de ces emplois ont été naturellement exclu de la dérogation (aide jardinier); d’autres, tels le chef du bureau technique ou encore le veilleur de nuit ont bénéficié de la dérogation.

fonctions typiques de l’administration, mais qui relèvent par contre, en raison de leur nature, du domaine d’application du traité. Dans ces conditions, le fait d’étendre l’exception prévue par l’article 48 §4 à des emplois qui, tout en relevant de l’Etat ou d’autres organismes de droit public, n’impliquent cependant aucun concours à des taches relevant de l’administration publique proprement dite, aurait pour conséquence de soustraire à l’application des principes du traité un nombre considérable d’emploi et de créer des inégalités entre Etats membres, en fonction des disparités qui caractérisent l’organisation de l’Etat et celle de certains secteurs de la vie économique ». (Point 11) ;

l’arrêt en manquement qui sera prononcé le 26 mai 1982 reprend : « les emplois dans

l’administration publique au sens de l’article 48 §4 du traité CEE sont ceux qui ont un rapport avec des activités spécifiques de l’administration publique en tant qu’elle est investie de l’exercice de la puissance publique et de la responsabilité de la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat, auxquels doivent être assimilés les intérêts propres des collectivités publiques, telles que les administrations municipales » (point 7). Ainsi la Cour de justice a posé une présomption de licéité de la réserve de nationalité pour les emplois comportant un pouvoir de décision relatif aux intérêts de l’Etat ou des intérêts propres des collectivités locales, ainsi que pour les emplois d’exécution qui permettraient aisément

l’accès à des secrets relatifs à ces intérêts450

. La Commission européenne, dans une

communication451, avait fait connaitre sa position sur la délicate question des emplois

publics susceptibles d’être couverts par la dérogation. Les emplois concernés sont ceux qui concernent les emplois relevant des gouvernements régionaux, des collectivités locales et autres organismes assimilés, dans la mesure où il s’agit du personnel (fonctionnaires et autres agents) qui exercent des activités ordonnées autour du pouvoir juridique publique de l’Etat ou d’une autre personne morale de droit public, telles que l’élaboration des actes juridiques, la mise en exécution de ces actes, le contrôle de leur application et la tutelle des

450 Jacques Ziller, « Intégration européenne et emploi dans l’administration locale », AJDA 1991,

pp.855-860 (p.857).

451 Communication de la Commission du 5 janvier 1988, n°88/C72/02 relative à la libre circulation des

travailleurs et à l’accès aux emplois dans l’administration publique des Etats membres, JOCE n°C72, 18 mars 1988.

organismes dépendants. Cela exclut de la dérogation tous les emplois subalternes qui

n’exigent pas la détention de tels pouvoirs452

.

La jurisprudence a affiné son interprétation en sortant un certain nombre d’emplois dits publics parce qu’ils ne nécessitaient nullement la mise en œuvre de pouvoirs de puissance

publique ou la responsabilité de la sauvegarde des intérêts de l’Etat453. Puis, dans un

second temps, la Cour a considéré que, par principe, les emplois de l’administration publique ne relèvent pas forcément du champ de l’exception posée par l’article 45 §4

TFUE454. Elle réduit la portée de la dérogation telle une peau de chagrin ; et la Cour

parvient progressivement à confirmer la conception de la Commission présentée en 1988. La Cour poursuit le processus en admettant que des emplois publics qui appellent le recours sporadique ou exceptionnel à des prérogatives de puissance publique, échappent à

la dérogation de l’article 45§4455

. La condition de nationalité se trouvant de plus en plus

452 Par conséquent, la question du veilleur de nuit dans l’affaire 149/79 n’aurait pas été couverte par la

dérogation. En 1982, il avait été admis que cet emploi bénéficiait de la dérogation dans la mesure où le veilleur pouvait avoir accès aux secrets de l’administration.

453 A propos du personnel infirmier : CJCE, 3 juin 1986, Commission c/ France, aff. 307/84, rec. 1725 ; la

profession de chercheur auprès d’un Conseil national de la recherche : CJCE, 6 juin 1987, Commission

c/ Italie, aff. 225/85, rec. 2625 ; lecteurs de langue étrangère auprès d’une université : CJCE, 30 mai

1989, Allué e.a. c/ Università degli studi de Venezia, aff. 33/88, rec. 1591 ; un enseignant du

secondaire : CJCE, 27 novembre 1991, Bleis c/ Ministère de l’Education nationale, aff. C-4/91, rec.

I-5627.

454 Voir la série d’arrêts du 2 juillet 1996, Commission c/ Luxembourg, C-473/93, rec. I-3207 ; Commission

c/ Belgique, aff. C-173/94, rec. I-3265 ; Commission c/ Grèce, aff. C-290/94, rec. I-3285 : «l’exception prévue à l’article 39, paragraphe 4, CE ne concerne que les emplois qui comportent une participation, directe ou indirecte, à l’exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l’État ou des autres collectivités publiques, et supposent ainsi, de la part de leurs titulaires, l’existence d’un rapport particulier de solidarité à l’égard de l’État ainsi que la réciprocité des droits et devoirs qui sont le fondement du lien de nationalité ».

455 CJCE, 30 septembre 2003, Colegio de Oficiales de la Marina mercante española, aff. C-405/01, rec.

I-10391 où la Cour a encore limité la portée de l’article 45§4 TFUE : « Toutefois, le recours à la

dérogation à la libre circulation des travailleurs, prévue à l'article 39, paragraphe 4, CE, ne saurait être justifié du seul fait que des prérogatives de puissance publique sont attribuées par le droit national aux titulaires des emplois en cause. Encore faut-il que ces prérogatives soient effectivement exercées de façon habituelle par lesdits titulaires et ne représentent pas une part très réduite de leurs activités. […] la portée de cette dérogation doit être limitée à ce qui est strictement nécessaire à la sauvegarde des intérêts généraux de l'État membre concerné, laquelle ne saurait être mise en péril si des prérogatives de puissance publique n'étaient exercées que de façon sporadique, voire exceptionnelle, par des ressortissants d'autres États membres ». L’affaire concernait une législation espagnole sur l’accès à la profession de capitaine et de seconds dans la marine marchande. Solution étendue aux capitaines et

seconds des navires de pêche : CJCE, 30 septembre 2003, Anker e.a., aff. C-47/02, rec. I-10447. Voir

des arrêts confirmatifs : CJCE, 11 mars 2008, Commission c/ France, aff. C-89/07, rec. I-45 ; 11

septembre 2008, Commission c/ Italie, aff. C-447/07 et 20 novembre 2008, Commission c/ Espagne,

neutralisée, les Etats ont alors eu recours à d’autres pratiques pour freiner l’afflux de ressortissants dans les emplois publics, en étant plus rigoureux sur les conditions de

recrutement : en imposant parfois la possession de diplômes particuliers456, ou encore en

exigeant la preuve d’une expérience professionnelle poussée, ou la réussite d’un concours national457.

Passés les questions de recrutement, d’autres questions soulèvent de nouvelles difficultés : celles de l’avancement de la carrière du fonctionnaire ou des promotions internes. Les futurs candidats devront être conscients des limites des perspectives d’évolution de carrière. Ils ne pourront pas prétendre au même plan de carrière que n’importe quel autre fonctionnaire « national », dans la mesure où, dans certains cas, gravir

les échelons dans la hiérarchie de la fonction publique (et a fortiori la fonction publique

territoriale) revient à gagner des responsabilités et des pouvoirs qui relèvent alors des pouvoirs de puissance publique. Cette limite est la conséquence directe de la nature des tâches que le fonctionnaire aura par la suite à effectuer ; et le droit de l’UE n’y peut rien changer.

456 Normalement, les emplois de la fonction publique ne relèvent pas d’une catégorie d’emplois réglementés.

Toutefois, un Etat membre peut exiger la détention d’un titre ou diplôme particulier pour exercer un emploi dans la fonction publique. Le principe d’équivalence des diplômes joue alors. Il appartient aux autorités compétentes de l’Etat d’apprécier, dans le respect du droit de l’Union européenne, si les connaissances et qualités attestées par le titre obtenu dans un autre Etat membre correspondent à celles exigées par la réglementation nationale. Si ces dernières remplissent partiellement les exigences, les autorités apprécient les connaissances acquises dans le cadre d’un cycle d’études ou au regard de

l’expérience pratique du candidat. Voir CJCE, 8 juillet 1999, Bobadilla, aff. C-234/97, rec. I-4795 (à

propos d’un emploi au musée du Prado ŔEspagne- en tant que conservateur et restaurateur de biens culturels).

457CJCE, 9 septembre 2003, Isabelle Burbaud, aff. C-285/01, rec. I-5463 ; une française qui a obtenu le titre

d’administrateur hospitalier de l’Ecole nationale de la santé publique à Lisbonne et qui a exercé pendant 6 ans la fonction de directeur d’hôpital au Portugal, s’est vue refuser son intégration dans le corps des directeurs d’hôpitaux en France sous réserve qu’elle réussisse le concours d’admission à l’Ecole nationale de la santé publique à Rennes. La Cour juge que le droit de l’Union européenne s’oppose à ce qu’un Etat exige qu’un titulaire d’un diplôme équivalent, réussisse le concours d’admission à une école préparant à la même formation que celle déjà validée dans un autre Etat membre. Toutefois, la Cour rappelle que dans le cadre de la directive portant sur la reconnaissance des diplômes, il n’existe pas un droit automatique pour le ressortissant communautaire à être recruté ; il s’agit seulement de lui permettre de candidater selon des procédures de sélection et de recrutement dans le respect du droit de l’Union européenne (point 91). Enfin, l’obligation de réussite à un concours ne

constitue pas per se une entrave au droit de l’Union européenne (point 96). Notons que concernant la

France, le CE a intégré la jurisprudence communautaire en matière d’emploi public. Voir CE, sect., 6

Le droit de l’UE recherche une harmonisation a minima des conditions d’accès aux emplois de la fonction publique. Il ne s’agit pas d’ouvrir tous les emplois publics en

uniformisant les conditions d’accès et de recrutement458

. Il exige seulement des Etats de demeurer vigilant dans la définition des conditions d’accès aux emplois de la fonction publique, en recherchant un compromis entre le respect du droit de l’UE et le respect de leur identité.

Ainsi, les collectivités locales de l’UE supportent « normativement » et financièrement le droit de l’UE. Pour ces raisons, elles constituent indirectement des sujets de l’ordre de l’UE. Pour que leur qualité de sujet de l’UE soit pleinement établie, les collectivités locales devraient également profiter d’un accès libre au prétoire européen. Or, ce dernier pendant pêche indiscutablement.

§ 2. L

E DROIT LIMITE AU JUGE DES COLLECTIVITES LOCALES

Ecartées du processus de confection des normes européennes459, il n’en demeure pas

moins que les collectivités locales sont des acteurs importants de l’application du droit de l’UE. Par conséquent, ces collectivités infra-étatiques sont susceptibles d’investir le prétoire des juridictions de l’UE pour réclamer la bonne application du droit de l’UE ou faire constater des violations. Or, l’accès des collectivités locales à la Cour de justice de

l’UE est extrêmement limité460.

458 Ce serait contraire au discours actuel, rencontré dans toutes les institutions communautaires, qui veille au

respect et à la préservation de la diversité culturelle, juridique, institutionnelle des Etats membres.

459 « On exige une participation active de toutes les autorités publiques, liées par le principe de coopération loyale dans la phase d’application des normes communautaires et l’on ignore encore largement celles-ci dans la phase de confection […] », Florence Zampini, « A propos du droit au juge d’une entité

infra-étatique, de la responsabilité de l’Etat et de la coopération loyale… », (in) Mélanges en hommage à

Guy Isaac, Presses universitaires de Sciences sociales, Toulouse, 983p. (pp.661).

460 Touret Corinne, « L’accès des collectivités territoriales à la Cour de justice des Communautés

européennes », in Jean Vergès (éd.), L’Union européenne et les collectivités territoriales, Economica,

Tout dépend du type d’action contentieuse envisagé par ces dernières. Sous couvert de

l’écran étatique, elles sont souvent considérées comme de simples émanations de l’Etat461

qui les privent de tout recours direct auprès de la Cour de justice ; ou alors, elles sont assimilées à des requérants ordinaires (A). Cette ambivalence est loin d’être satisfaisante. Et à moins d’envisager un statut spécifique aux collectivités locales pour défendre leurs compétences ou contester la validité de normes européennes, les solutions palliatives envisagées jusqu’alors permettent aux collectivités un accès limité au prétoire de la Cour (B).

A. L

A DISTINCTION

E

TAT

/

COLLECTIVITES LOCALES DEVANT LES JURIDICTIONS DE L

’U

NION EUROPEENNE

En cas de violation du droit de l’UE, la Cour de justice considère l’Etat comme un

« tout »462, comme une « institution englobante, comprenant chacun des Etats membres et

ses organes traditionnels »463. Peu importe que la violation du droit de l’UE soit le fait

d’une de ses composantes. Le souci de garantir l’efficacité du droit de l’UE justifie que l’Etat soit considéré comme une entité globalisante. Dès lors, une collectivité locale ne pourra jamais introduire un recours en manquement ; seule l’intervention d’un Etat ou d’une institution de l’UE est reconnue par les traités de l’UE (1). Or, l’exclusion des entités infra-étatiques du prétoire n’étant pas satisfaisante, la Cour a reconnu que dans certaines circonstances (et selon certains types de recours) les collectivités locales disposaient d’un intérêt à agir (dans le cadre des recours en annulation) ; toutefois, ce dernier est assez strictement conditionnés (2).

461 CJCE, 26 février 1986, M.-H. Marshall c/ Southampton and South West Hampshire Area Health

Authority, aff.152/84, rec. p.723.

462 « Il n’est pas aberrant de soutenir que c’est la logique d’efficacité, le pragmatisme qui opèrent quand l’Etat est « un », quand il s’agit de responsabilité envers la Communauté ». Cf. Florence Zampini, op.

cit. p. 659.

463 Maryvonne Hecquard-Théron, « La notion d’Etat en droit communautaire », RTDE n°26 (4),

octobre-décembre 1990, pp.693 et s. ; Durand Patrick, La notion d’Etat dans l’ordre juridique communautaire,

1. Le recours en manquement, un recours réservé aux requérants