• Aucun résultat trouvé

Les prémices d’une responsabilité des collectivités locales en cas de violation du droit de l’Union européenne

a. Une indifférence générale à l’égard des structures étatiques

2. Les prémices d’une responsabilité des collectivités locales en cas de violation du droit de l’Union européenne

Le 4 juillet 2000, la Cour de justice de l’UE a eu l’opportunité d’étendre le principe dégagé en 1991 aux collectivités locales. La Cour était saisie de plusieurs questions

préjudicielles, dont celle de savoir si le droit communautaire s'oppose à ce que la

responsabilité qui incombe à un organisme de droit public de réparer les dommages causés aux particuliers par des mesures qu'il a prises en violation du droit communautaire

305 Yves Galmot et Jean Claude Bonichot, « La Cour de Justice des Communautés européennes et la

transposition des directives en droit national », RFDA 1988, p.20.

306 CJCE, 12 juillet 1990, Foster, aff. 188/89, Rec. p.I-3313, point 22 ; Enrico Traversa, Rev. Trim. Dr.eur.

1991, p.431.

307 CJCE, 4 juillet 2000, Haim, aff. C-424/97, Rec. p. I-5148, Denys Simon, Europe 2000, n°289.

308 Nous rappellerons ici la jurisprudence Francovitch et Bonifaci , aff. Jointes C-6/90 et C-9/90, du 19

novembre 1991. Les arrêts Brasserie du pêcheur et factortame, aff. Jointes C-46/93 et C-48/93 du 5 mars 1996 viendront préciser les critères pour mettre en œuvre cette responsabilité.

puisse être engagée en plus de celle de l'Etat membre lui-même309. Les faits se déroulaient en Allemagne où M. Haim, ressortissant italien, dentiste de profession, s’était vu refuser son inscription au registre professionnel par l’association des dentistes mutualistes de Rhénanie du Nord (la « KVN » Kassenzahnärztliche Vereinigung Nordrhein) sous prétexte que ce dernier n’avait pas accompli les formalités nécessaires pour exercer sa profession en Allemagne. Il faut dire que le parcours de ce ressortissant italien est quelque peu original. Titulaire d’un diplôme de dentiste obtenu en Turquie en 1946 où il exerce jusque dans les années 80, il décide par la suite d’exercer en Allemagne, à titre privé et obtient « l’approbation ». Son diplôme turc bénéficiant de la reconnaissance mutuelle en Belgique, il exerce alors comme dentiste conventionné à Bruxelles. Et en 1988, il demande alors à la KVN son inscription au registre professionnel pour obtenir son conventionnement par une caisse maladie. L’association lui refuse l’agrément prétextant que la reconnaissance mutuelle de son diplôme turc dans un autre Etat membre que l’Allemagne ne permettait

pas une telle dérogation. Après une première décision310 qui avait permis à M. Haim de

s’inscrire au registre professionnel des dentistes, ce dernier n’en est pas resté là et entendait obtenir réparation en raison du manque à gagner généré par le refus de la KVN de l’inscrire au registre, en violation de la directive du Conseil du 25 juillet 1978 relative à la reconnaissance mutuelle des diplômes de l’art dentaire. Ainsi, il actionne la KVN devant le juge allemand afin d’obtenir réparation. La KVN est un organisme de droit public et la question qui se pose réellement était celle de savoir si l’association pouvait être poursuivie directement pour violation du droit de l’Union européenne.

La Cour n’innove pas mais prolonge le raisonnement qu’elle avait construit en 1991,

dans la jurisprudence Francovitch et Bonifaci. Après un rappel de l’état de la jurisprudence

qui reconnait que les Etats membres puissent voir leur responsabilité engagée pour violation du droit de l’Union européenne, la Cour rappelle :

27 […]il incombe à chacun des Etats membres de s'assurer que les particuliers obtiennent réparation du préjudice que leur cause le non-respect du droit communautaire, quelle que soit l'autorité publique auteur de cette violation et quelle que soit celle à

309 CJCE, Haim II, op.cit. point 25.

310 CJCE, 9 février 1994, Haim (C-319/92, Rec. p. I-425, ci-après l'«arrêt Haim I»). A la suite de cet arrêt, il

laquelle incombe en principe, selon le droit de l'Etat membre concerné, la charge de cette réparation (arrêt du 1er juin 1999, Konle, C-302/97, Rec. p. I-3099, point 62).

28 Les Etats membres ne sauraient, dès lors, se décharger de cette responsabilité ni en invoquant la répartition interne des compétences et des responsabilités entre les collectivités qui existent dans leur ordre juridique interne ni en faisant valoir que l'autorité publique auteur de la violation du droit communautaire ne disposait pas des compétences, des connaissances ou des moyens nécessaires.

29 Il ne résulte toutefois pas de la jurisprudence citée aux points 26 et 27 du présent arrêt que la réparation des dommages causés aux particuliers par des mesures d'ordre interne prises en violation du droit communautaire doive nécessairement être assurée par l'Etat membre lui-même pour que ses obligations communautaires soient remplies.

30 En effet, s'agissant des Etats membres à structure fédérale, la Cour a déjà jugé que, si les modalités procédurales existant dans l'ordre interne permettent une protection effective des droits que les particuliers tirent de l'ordre communautaire sans qu'il soit plus difficile de faire valoir ces droits que ceux qu'ils tiennent de l'ordre juridique interne, la réparation des dommages causés aux particuliers par des mesures d'ordre interne prises en violation du droit communautaire ne doit pas nécessairement être assurée par l'Etat fédéral pour que les obligations communautaires de l'Etat membre concerné soient remplies (arrêt Konle, précité, points 63 et 64).

31 Cela vaut également pour les Etats membres, qu'ils soient à structure fédérale ou non, dans lesquels certaines tâches législatives ou administratives sont assumées de façon décentralisée par des collectivités territoriales investies d'une certaine autonomie ou tout autre organisme de droit public juridiquement distinct de l'Etat. Dans ces Etats membres, la réparation des dommages causés aux particuliers par des mesures d'ordre interne prises en violation du droit communautaire par un organisme de droit public peut donc être assurée par celui-ci.

32 Le droit communautaire ne s'oppose pas non plus à ce que la responsabilité qui incombe à un organisme de droit public de réparer les dommages causés aux particuliers par des mesures qu'il a prises en violation du droit communautaire puisse être engagée en plus de celle de l'Etat membre lui-même.

Le juge de l’UE rappelle un principe -depuis longtemps établi- que les Etats membres doivent réparer les préjudices causés aux particuliers quand ils sont le produit d’une violation du droit de l’UE; peu importe que ces derniers aient pour auteur une collectivité publique et que ce soit à cette autorité qu’il revient, du point de vue du droit national, la charge de réparer les personnes ; le droit de l’UE se moque de la répartition interne des compétences ou des responsabilités entre l’Etat et ses collectivités, ou encore, le droit de l’UE ne se soucie aucunement de savoir si les autorités publiques disposaient ou non de la compétences pour agir, ou avaient les connaissances nécessaires. Ces arguments ne peuvent être recevables, car ils compromettent considérablement l’esprit et le système des traités qui investissent les Etats membres d’obligations, de responsabilités et de missions. Or, considérer ces « excuses » purement nationales pour faire échapper la mise en jeu de leur responsabilité porterait atteinte à l’équilibre des traités.

Ensuite, le juge rappelle que dans les Etats à structure fédérale, la réparation des dommages issus de mesures internes prises en violation du droit de l’Union européenne, ne doit pas être nécessairement assurée par l’Etat fédéral pour que ce dernier satisfasse à ses obligations communautaires. Ce raisonnement peut donc être étendu à tous les Etats, structure fédérale ou non. En effet, le juge rend compte que les collectivités publiques sont amenées à appliquer de manière décentralisées un certain nombre de taches Ŕ législatives ou administratives- et qu’elles sont parfois investies d’une autonomie ; ou encore, des organismes publics juridiquement distincts de l’Etat assument ces différentes obligations. Par conséquent, rien n’interdit que la collectivité en cause soit actionnée pour réparer le préjudice. Le juge renvoie alors le soin aux juridictions nationales d’établir le régime de responsabilité des collectivités en cas de violation du droit de l’UE qui leur serait imputable311.

311 Au nom du principe d’autonomie institutionnelle et procédurale, il appartient à chaque ordre national

d’établir un régime de responsabilité au regard de leur ordre constitutionnel et culture juridique. Point

33 de l’arrêt Haim II, « dès lors que les conditions de la responsabilité d'un État membre pour violation

du droit communautaire sont réunies, c'est dans le cadre du droit national de la responsabilité qu'il incombe à l'État de réparer les conséquences du préjudice causé, étant entendu que les conditions fixées par les législations nationales en matière de réparation des dommages ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne [principe d’équivalence] et ne sauraient être aménagées de manière à rendre, en pratique, impossible ou excessivement difficile l'obtention de la réparation [principe d’effectivité] (arrêts précités Francovich e.a., points 41 à 43, et Norbrook Laboratories, point 111) ».

Dès lors, la responsabilité européenne des collectivités locales rencontrent un fondement communautaire. Toutefois, il appartiendra à chaque ordre national d’établir les prémices de cette responsabilité dès lors qu’elles manqueront aux obligations communautaires, normalement imputables à leur Etat.

Les collectivités locales subissent de plus en plus une pression européenne. Bloquée par l’écran étatique, leur marge de manœuvre apparait très réduite. Dans la mesure où elles ne constituent toujours pas des acteurs de la construction européenne, comment parviennent-elles à s’affirmer dans le système de l’Union européenne ?

§ 2. L’

IMPACT DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITE

Le principe de subsidiarité, introduit tardivement par l’article 3B du traité de

Maastricht312, est un principe cardinal du droit de l’Union européenne qui commande la

répartition des compétences partagées par l’UE et les Etats membres. A priori, les acteurs infra-étatiques ne sont pas concernés par cette disposition puisqu’originellement, elle régulait les niveaux d’intervention : soit le niveau communautaire, soit le niveau

national313. Toutefois, la philosophie et l’instrumentalisation de la subsidiarité ont répondu

à un certain nombre de souhaits des collectivités locales. Dans la perspective d’une conception démocratique de la subsidiarité, les niveaux locaux sont naturellement désignés comme des niveaux d’intervention proches du citoyen européen qu’il faut en priorité favoriser.

312 Article 5 §.3 TUE : « En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa

compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union ». Le traité de Lisbonne consacre l’extension du principe aux rapports UE/EM/collectivités locales et régionales.

313 La subsidiarité est tantôt vecteur de décentralisation dès lors que l’on procède à une lecture combinée de

l’ancien article 5 TCE avec l’article 1 TUE : « […] les décisions sont prises […] le plus possible du

citoyen ». Tantôt, le principe est vecteur de centralisation, au profit de l’UE. Jean Luc SAURON, « La

mise en œuvre retardée du principe de subsidiarité », RMCUE Paris, n°425, novembre-décembre 1998,

Dès lors, le principe est instrumentalisé (A) afin de consolider le pouvoir régional et local dans l’Union européenne. Une conception démocratique du principe de subsidiarité se dessine et conduit à concevoir la subsidiarité à l’intérieur des Etats membres, tout en

respectant leur identité nationale314. Or, si dans certains Etats membres, on constate

l’existence d’une tradition de la subsidiarité dans les rapports entre l’Etat central et ses subdivisions, dans d’autres, elle est inexistante, ce qui ne facilite pas sa mise en œuvre (B).

A. L’

INSTRUMENTALISATION DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITE DANS LE SYSTEME DE L

’U

NION EUROPEENNE

Les racines du principe de subsidiarité puisent leurs sources dans des traditions

politiques et philosophiques anciennes315 que l’ordonnancement de l’UE a intégrées malgré

lui. Cependant, la subsidiarité forgée « à la mode communautaire » ne rend pas totalement

compte des préceptes philosophiques anciens qui sous-tendaient le principe316. Sous

l’empire de l’Union européenne, le principe de subsidiarité passe d’une « vie cachée » à

une « vie publique »317 (1). Toutefois, la « communautarisation » du principe apparait

éloignée de ses préceptes originels. Le principe s’étoffe progressivement en s’enrichissant d’une dimension parfois étrangère à sa philosophie (2).

314Cf. le nouvel article 5 TUE, op.cit. supra.

315 A partir d’Aristote, le concept de subsidiarité se forge. Toutefois, la doctrine sociale de l’Eglise

catholique octroie au principe son sens moderne. Pour un aperçu historique de la conceptualisation du

concept, voir Frédéric Baudin Cuilliere, Principe de subsidiarité et bonne administration, LGDJ,

Paris, 1995, p.8. Voir également, l’étude préparée pour le Comité directeur des autorités locales et régionales (CDLR), « Définition et limites du principe de subsidiarité », Communes et régions d’Europe, n°55, 1998, p. 11.

316 Préservation de l’autonomie et devoir d’assistance. Voir Jean Louis Clergerie, Le principe de

subsidiarité, Editions Ellipses, coll. « Le droit en questions », 1997, 128p.

317 Voir Melchior Wathelet, « Propos liminaires », in Le principe de subsidiarité, Francis Delpérée,