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c. Le droit à un recours juridictionnel

Selon l’article 11 de la Charte, « Les collectivités locales doivent disposer d’un droit de

recours juridictionnel afin d’assurer le libre exercice de leur compétences et le respect des principes d’autonomie locale qui sont consacrés dans la Constitution ou la législation interne ». Les auteurs de la Charte retiennent une notion beaucoup plus étendue que celle identifiée dans l’ensemble des ordres juridiques nationaux. Si le recours est habituellement exercé devant un tribunal dûment constitué, le rapport explicatif rappelle que le recours

peut également être exercé devant un « organe équivalent » qui respecte les conditions

d’indépendance. Cet organe non juridictionnel est obligatoirement institué par la loi qui habilite ce dernier à statuer sur les questions de savoir si les actes pris, les décisions et même les omissions sont conformes ou non à la loi ; ou encore, l’organe non juridictionnel émet un avis sur le sens de la décision à rendre.

Ce droit à un recours juridictionnel des collectivités locales devient primordial lorsque la collectivité fait l’objet d’un contrôle administratif. Rappelons que l’article 8 de la Charte

fait état de ce contrôle administratif des actes des collectivités, « Tout contrôle

administratif sur les collectivités locales ne peut être exercé que selon les formes et dans les cas prévus par la Constitution ou par la loi ». L’existence d’un contrôle des actes des

déjà reconnu le principe de péréquation entre les collectivités territoriales (Décision n°91-191 du 6 mai 1991, loi instituant une dotation de solidarité urbaine et un fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France, réformant la dotation globale de fonctionnement des communes et des départements et modifiant le code des communes) du moment qu’il ne porte pas atteinte à la libre

administration des collectivités. En 2004, le Conseil constitutionnel a considéré qu’ « il est loisible au

législateur de mettre en œuvre la péréquation financière entre ces collectivités en les regroupant par catégorie dès lors que la définition de celles-ci repose sur des critères objectifs et rationnels », décision n°2004-511 DC du 29 décembre 2004, loi de finances pour 2005, cons. 29.

74 Article 9-5 de la Charte : « La protection des collectivités locales financièrement plus faibles appelle la

mise en place de procédures de péréquation financière ou des mesures équivalentes destinées à corriger les effets de la répartition inégale des sources potentielles de financement ainsi que des charges qui leur incombent […]».

collectivités locales n’est pas foncièrement incompatible avec le principe d’autonomie locale. Dès lors que l’Etat confie à ses collectivités locales des compétences qu’elles exercent librement, elles en assument par la même l’entière responsabilité. Et pour garantir que ces dernières ne seront pas tentées d’abuser de cette autonomie, des mécanismes de contrôle s’imposent naturellement.

« Par ailleurs, la reconnaissance de l'autonomie locale comme sphère de pouvoirs définis implique que l'exercice de ces pouvoirs ne doit porter atteinte ni à l'exercice des compétences de l'Etat (et éventuellement à celles des autres échelons de gouvernement) ni à l'exercice des droits garantis aux citoyens par la loi. Cela justifie l'introduction de contrôles administratifs et judiciaires, pour sauvegarder les rôles, définis par la loi, des divers pouvoirs publics et assurer le respect des principes de l'Etat de droit75 ».

Ainsi le droit d’accès des collectivités locales à un recours revêt une importance majeure dès lors que l’autorité de contrôle a les moyens d’annuler les actes pris par les collectivités, ou encore le pouvoir de prononcer des sanctions à leur endroit.

Cependant, si la Charte européenne sur l’autonomie locale consacre un mouvement irréversible : l’autonomie des collectivités infra-étatiques, des zones d’ombre persistent dans le texte.

2. Les faiblesses du texte

Les Etats signataires s’engagent à garantir, dans leur ordre national, l’autonomie à leurs collectivités locales. Cependant, les Etats s’engagent seulement à accepter (au moins) vingt

paragraphes, sur les trente que compte la partie I de la Charte. Ce système dit « à la carte »

a pu générer le sentiment de minoration de la portée réelle de la Charte (a). Ensuite, la Charte ne bénéficie pas à l’échelle européenne d’une protection juridictionnelle à l’image

75 Voir « Le contrôle et l’audit de l’action des collectivités locales », Rapport du Comité directeur sur la

démocratie locale et régionale (CDLR) préparé avec la collaboration du professeur Juan Santamaria

Pastor et du professeur Jean-Claude Nemery, Communes et Régions d’Europe, n°66, Editions du

de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme76. C’est le Congrès qui est chargé de contrôler l’état de la mise en œuvre de la Charte. Cette fonction dite de

monitoring constitue une fonction essentielle ; toutefois, assure-t-elle une protection efficace à l’application de la Charte ? (b)

a. Un système d’adhésion « à la carte »

Afin de concilier la diversité des systèmes juridiques nationaux, la Charte permet aux Etats de moduler leur engagement. L’article 12 énonce que les Etats parties doivent adhérer à, au moins vingt paragraphes de la partie I de la Charte, dont dix sont obligatoirement choisis parmi une liste de quatorze paragraphes :

_ Article 2 (fondement constitutionnel et légal de l’autonomie locale),

Ŕ article 3, paragraphes 1 (l’autonomie locale) et 2 (fondement démocratique de l’autonomie locale),

Ŕ article 4, paragraphes 1 (les compétences), 2 (liberté dans l’exercice de ces

compétences) et 4 (plénitude des compétences exercées par la collectivité),

Ŕ article 5 (protection des limites territoriales des collectivités locales), Ŕ article 7, paragraphe 1 (statut des élus locaux),

Ŕ article 8, paragraphe 2 (contrôle des actes des collectivités locales),

Ŕ article 9, paragraphes 1 (ressources propres et suffisantes), 2 (ressources

proportionnées aux compétences) et 3 (le pouvoir de fixer le taux de l’imposition ou la

taxe),

Ŕ article 10, paragraphe 1 (le droit de coopérer et de s’associer), Ŕ article 11 (protection légale de l’autonomie).

76 La Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4

novembre 1950 met en place un dispositif juridictionnel qui peut être aujourd’hui exercé devant la Cour européenne des droits de l’Homme par la voie de requêtes interétatiques ou individuelles.

Au moment de leur engagement, les Etats s’engagent principalement à respecter un « noyau dur » obligatoire constitué par les quatorze principes fondamentaux énumérés à l’article 12. Ce système de dérogation présente à la fois un avantage et un inconvénient. En attendant de remplir la totalité des conditions énumérées par la Charte, les gouvernements choisissent de n’adhérer qu’à certaines dispositions dans la mesure où dans un premier temps, ils ne satisfont pas à la totalité des exigences de la Charte. Cependant, ce système « à la carte » rend compte de ratifications hétérogènes : les Etats qui adhèrent à la Charte, n’auront pas forcément ratifié les mêmes dispositions. S’ils s’engagent à respecter un socle minimal de principes fondamentaux énumérés par la Charte, en revanche, les obligations souscrites par les uns ne sont pas forcement identiques à celles ratifiées par les autres. Pourtant, ce système « à la carte » s’avère nécessaire. En dépit des principes généraux énoncés de manière plutôt vague et évasive, les Etats qui rencontrent des difficultés pratiques ou constitutionnelles et qui les empêchent d’adhérer à l’ensemble des dispositions de la Charte, conservent toujours la possibilité de ratifier des dispositions supplémentaires. Ainsi, progressivement, il pourra adhérer, à terme, à l’ensemble du dispositif de la Charte77.

Cette technique d’adhésion progressive est fréquemment utilisée dans le cadre des conventions du Conseil de l’Europe. Il s’agit de faciliter l’adhésion du plus grand nombre d’Etats aux différents instruments proposés par le Conseil. Cette technique n’a pas pour but de faire échapper les Etats à des dispositions qu’ils jugeraient difficiles à mettre en œuvre ; elle ne traduit pas non plus l’opportunisme d’un Etat décidé à se soustraire à certaines dispositions qu’il considérerait gênantes. Cette technique permet au contraire, de s’adapter progressivement à ce cadre commun. Les principes et valeurs énoncés par la Charte

constituent un socle de normes que « tous reconnaissent comme faisant partie du

patrimoine commun78». Toutefois, il est impératif de tenir compte de la situation propre à

77 Article 12-3 : « Toute Partie peut, à tout moment ultérieur, notifier au Secrétaire Général qu'elle se

considère comme liée par tout autre paragraphe de la présente Charte, qu'elle n'avait pas encore accepté conformément aux dispositions du paragraphe 1 du présent article. Ces engagements ultérieurs seront réputés partie intégrante de la ratification, de l'acceptation ou de l'approbation de la Partie faisant la notification et porteront les mêmes effets dès le premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de trois mois après la date de réception de la notification par le Secrétaire Général »

78 Alfonso Zardi, « Démocratie locale et régionale en Europe aujourd’hui : le rôle et l’action du Conseil de

l’Europe » pp.55-67, in Hélène Pauliat (dir.), L’autonomie des collectivités territoriales en Europe. Une

chacun de ces Etats. Selon les ordonnancements nationaux, des aménagements seront nécessaires pour accueillir les enseignements de la Charte dans l’ordre interne ; et ils seront parfois amenés à entreprendre des réformes de longue haleine pour atteindre les seuils d’exigence du Conseil de l’Europe. Dans le système de la Charte, chaque Etat demeure libre d’avancer à son propre rythme, mais toujours dans le sens du progrès dicté par l’éthique de la Charte. Cette dernière constitue un sérieux rempart contre toute tentative de retours en arrière.

Ce dernier aspect pose habilement la question du contrôle de la Charte.