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6. PRESENTATION DES RESULTATS

6.1. Marisa

6.1.4. Synthèse et retour vers les hypothèses

Cette première analyse liée au parcours biographique de Marisa nous permet de mieux cerner les tensions identitaires et l’imbrication d’événements qui la conduisent à s’orienter en Sciences de l’éducation. Ces tensions sont effectivement ancrées dans des enjeux existentiels.

Marisa est dans un processus de résolution de tensions identitaires, car elle éprouve le besoin

« d’opérer des transformations » dans sa pratique professionnelle en laboratoire jugée insatisfaisante et non congruente avec l’identité visée. Cette identité visée repose à la fois sur son désir d’apprendre, mais également sur son besoin de reconnaissance. A ses yeux, sa famille appartient à une catégorie scolaire et culturelle plus élevée qu’elle. Au cœur des tensions éprouvées, il y a donc des enjeux interpersonnels puisque son engagement en formation est une stratégie identitaire pour restaurer une image de soi brisée aux yeux de sa famille. Comme nous l’avons vu, pour Bourgeois « la dimension interpersonnelle de la tension identitaire est donc susceptible d'en majorer l'importance et donc celle de l'engagement dans une formation susceptible de participer positivement à la régulation de cette tension dans sa double dimension cognitive et relationnelle » (2006, p.98).

Pour Marisa, l’engagement en formation prend d’autant plus de valeur, car il lui permet d’appartenir à une communauté de pratique valorisée : non pas celle des enseignants, mais celle des universitaires.

Nous pouvons nous questionner sur ce qui est à l’origine de la reconversion professionnelle volontaire, le désir de changement professionnel ou la soif d’université ? Son enthousiasme, sa soif d’apprendre et son intérêt pour les différents professeurs universitaires sont des indicateurs émotionnels, cognitifs et comportementaux qui témoignent d’un engagement élevé. Chez Marisa, l’engagement dans une formation universitaire n’est pas le moyen d’aller vers une identité visée, c’est l’expression-même d’une dynamique de continuité identitaire particulièrement valorisée.

« Oui complètement, mais j’étais fière [d’être à l’université], mais je sais pas je me suis rendue compte un peu qu’ils [sa famille] s’en fichaient quoi ! Il y avait juste moi qui…

(rires) » (Entretien, 319-320). Mais pour moi c’était une fierté, j’étais tellement fière d’être en LME, d’appartenir à ce groupe et au niveau des études, j’ai adoré. C’était le moyen d’atteindre tous les outils de réflexion que j’utilise aujourd’hui, mais je ne m’en rendais pas compte » (Entretien, 483-485).

La reconstruction de la trame biographique de l’entretien permet de mettre en lumière des événements déterminants dans la reconversion professionnelle de Marisa. Nous constatons la construction de nouvelles émergenances de sens, impulsées par l’engagement en formation. D’abord, car l’engagement lui permet de se sentir appartenir à un groupe extrêmement valorisé à ses yeux, ensuite, car son interêt pour les sciences de l’éducation s’intensifie au contact des disciplines académiques. Elle explique avec humour s’être « fait avoir » (Entretien, 323), car le métier d’enseignant est peu valorisé en Colombie. Or, cette fois-ci, le bien-être et la fièrté qu’elle éprouve au sein de la FAPSE ne sont pas liés à un projet de soi pour autrui reposant exclusivement sur le besoin de reconnaissance familiale. Son goût pour l’étude et son plaisir à fréquenter l’université deviennent les éléments motivationnels de son engagement en formation. De nouvelles émergences de sens modifient la nature du projet identitaire qui devient alors un projet de soi pour soi, « Autant quand j’étais laborantine ça me faisait mal, tu vois. J’étais pas fière de moi, mais là, on aurait pu me dire n’importe quoi, j’étais bien. Je me sentais bien et ça c’était très important au final, c’est très important. » (Entretien, 329-331).

Le métier d’enseigante plait à Marisa. Cette deuxième insertion lui convient parfaitement et elle exprime ne plus sentir cette soif d’université : « bon je vais faire enseignante pendant quelques années, mais après, je retourne à l’uni. Pour faire de la recherche en éducation, je me suis dit c’est exactement ce qui est bon pour moi, mais ça, ça a changé à partir du moment où j’ai commencé à travailler » (Entretien, 416-419). Marisa a été longuement partagée entre ses aspirations peu verbalisées et la force du projet familial. Finalement, c’est en en tenant compte des dimensions individuelles liées à son parcours biographique qu’elle construit son identité d’enseignante et une position professionnelle engagée face à la question des élèves issus de l’immigration.

« C’est tout l’accueil que ma mère n’a pas eu. Je le donne aux parents. Ne pas prendre les gens de haut. Et c’est quelque chose que j’ai absolument tenu à mettre en place. Mais dès la première année. En fait, dans ma première classe, j’ai eu tout un groupe d’élèves

sud-américains, de parents qui ne parlaient pas français, je me suis dit, mais c’est parfait ! C’était MA classe quoi, une vraie revanche » (Entretien, 402-406).

Pour Marisa, tenir compte de ces questions est central dans sa pratique, car elles s’inscrivent désormais comme des valeurs ancrées dans son parcours. Ce travail de reconstruction actif des valeurs fondant la reconaissance de soi et d’autrui met en lumière la question de l’intersignification des activités et de la place active de Marisa pour retrouver un nouvel équilibre identitaire. Pour conclure, nous voyons comment l’axe biographique, relationnel mais également la porosité des shères de vie (majoritairement familiale et le chez Marisa) influencent les dynamiques identitiares à l’œuvre au cours de la reconversion professionnelle volontaire. Les éléments que nous avons relevés concerant la période où elle fréquente la fillière LME et dans sa pratique d’enseignante montrent une dynamique de continuité identitaire à l’œuvre. Elle est satisfaite de son activité (d’étudiante, puis d’enseignante) et n’exprime aucun décalge entre identité « actuelle » et identité « visée ». Pour finir, nous pouvons dire que c’est grâce à un questionnement sur les dimensions individuelles et les facteurs contextuels que nous avons pu comprendre la reconversion professionnelle volontaire de Marisa.