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Evénements, sources et types de tensions identitaires

6. PRESENTATION DES RESULTATS

6.1. Marisa

6.1.2. Evénements, sources et types de tensions identitaires

Marisa revient sur un événement qui a perturbé l’équilibre qu’elle percevait au sein du laboratoire dans lequel elle a exercé pendant trois années. Le changement de nature d’une relation privilégiée avec une de ses collègues bouleverse son rapport à l’activité professionnelle.

« Si si, c’était mon mentor. Et à partir du moment où elle est tombée enceinte, elle a eu des congés maternité. Ensuite, elle a baissé son temps de travail. Elle était nettement moins disponible » (Entretien, 138-139). « Ca a beaucoup contribué [à son désengagement professionnel], parce que du coup, j’ai dû beaucoup plus m’ouvrir et on était pas une équipe vraiment sympa. Il y avait des gens vraiment … heu… (Entretien, 141-143).

A partir de cet évènement, elle réalise qu’elle ne désire pas ressembler à ses collègues. Son désengagement professionnel s’ancre sur un besoin d’éviter la réalisation d’une image négative d’elle-même fortement suggérée par ses collègues.

« Du coup, j’ai commencé à regarder un peu mes collègues, je m’ennuyais, et un jour, mais c’était vraiment… Je sais pas l’illumination. Je me suis dit : [Mince ! Dans 10 ans, je serai mes collègues qui sont là quoi !] » (Entretien, 145-147).

Le réseau relationnel au travail lui fait prendre conscience du décalage entre une identité visée (de professionnelle épanouie dans un travail stimulant) et l’offre identitaire du contexte professionnel. En effet, la perte d’illusion quant à son futur professionnel rend compte du malaise professionnel que vit Marisa. Pour justifier son désengagement, elle appuie son argumentaire sur le manque d’offre identitaire « Oui et au niveau du boulot, tu peux pas aller plus loin. Oui, tu peux un peu évoluer, mais pas grand chose. Pas énormément » (Entretien, 149-150). Autrement dit, les minces perspectives de

développement professionnel au sein du laboratoire lui font opérer de nouveaux arbitrages sur sa vie professionnelle. L’enchainement et l’imbrication de ces événements, en lien avec ses collègues, conduisent Marisa à une position de désengagement professionnel.

Moins de recherche et plus d’analyses

Marisa fait intervenir d’autres facteurs qui renforcent sa position de désengagement et qui vont l’amener à construire sa prise de décision pour changer d’activité professionnelle. Elle décrit son travail au laboratoire divisé en deux pôles d’activité : la recherche et les analyses. Premièrement, il y a la partie recherche qu’elle met en valeur pour deux raisons. D’abord, car elle lui permet de satisfaire son désir d’apprendre. La quête de culture académique est extrêmement précieuse pour Marisa pour qui l’ « apprendre » est une activité qui suscite de l’intérêt dans tous les domaines fréquentés dans son parcours (dans le domaine des analyses biomédicales, en psychologie et en sciences de l’éducation) « Exactement, et c’est hyper intéressant, parce que tu es en contact avec tout les articles que eux [les doctorants], ils doivent lire » (Entretien, 105-106). Deuxièmement, cette partie

« recherche » au travail est catégorisée de manière culturellement plus élevée par Marisa, ce qui lui permet de se sentir valorisée quand elle aborde son travail en famille. « Alors, au début, ça allait parce qu’il y avait tout ce projet de recherche et ça, c’était intéressant. Mais au bout d’un moment, bah non, tu vois. Il n’y avait rien de nouveau à raconter non plus» (Entretien, 172-173). La diminution des activités de recherche ne lui permet plus de s’inscrire dans une dynamique de continuité identitaire, car elle ne perçoit plus la reconnaissance de son travail par sa famille. Nous allons décrire plus en profondeur les facteurs contextuels et les dimensions individuelles qui ont participé au changement de trajectoire.

Le changement dans la répartition des activités au travail ne lui convient plus, car la partie analyse prend le dessus « Mais de moins en moins de recherche et de plus en plus d’analyses… » (Entretien, 130-131). Elle fait d’ailleurs référence à cette partie de l’activité professionnelle comme étant de la

« main d’œuvre » (Entretien, 286).

« Au bout d’un an un peu près... Moi, j’ai fait tout le tour de ce qu’il y avait à faire. J’avais appris les techniques, j’avais appris comment marchait le labo. J’avais bien compris le projet de recherche et ça commençait un peu à stagner. Tu vois au niveau de ce qu’il y avait à apprendre, au niveau de ce que je pouvais faire dans le laboratoire. Et là, j’ai commencé un peu à me poser des questions, à me dire : « [mais et maintenant ?] »

L’absence de perspectives et un environnement de travail pauvre amènent Marisa à questionner le sens qu’elle donne à son travail. Comme nous l’avons vu, la recherche de sens à l’origine de la reconversion professionnelle s’ouvre sur un processus de désinvestissement des activités professionnelles, de distanciation et de désidentification de l’univers relationnel au travail. La mise en évidence des contraintes organisationnelles comme source d’insatisfaction au travail est caractéristique du discours de la vocation contrée. Nous constatons que des éléments propres à l’organisation du travail et des éléments faisant référence à ses aspirations personnelles vont impulser la décision du changement et galvanisent son discours.

La remise en cause de son engagement professionnel s’ouvre sur un état d’incertitude quant à la redéfinition d’un projet identitaire. Autrement dit, Marisa n’est pas satisfaite de la situation actuelle, mais elle n’arrive pas encore à définir clairement un projet. Ces contours identitaires flous sont caractéristiques de la dynamique de gestation identitaire à l’œuvre. Un possible retour vers des études en psychologie ou un doctorat en biologie sont des possibilités qui traversent Marisa dans cette période de latence. Son expérience professionnelle en laboratoire l’informe sur ses nouvelles attentes.

Avec le temps, les contours de l’identité visée se dessinent avec plus de précision. Comme critères, il y a d’abord l’employabilité. Ensuite, nous constatons l’absolue nécessité d’engager des études universitaires dans le processus de reconversion professionnelle volontaire. Cette nécessité renvoie à un projet de confirmation du soi (relatif à son besoin de validation de la part de sa famille) et un projet de reconstruction du soi (en lien avec blessure identitaire de son enfance qu’elle souhaite reconstruire).

Marisa identifie un événement déclencheur lui ayant permis de passer d’un état d’incertitude à son nouveau projet professionnel. Il s’agit d’une discussion avec une amie proche.

« Mais c’est tombé par hasard en fait vraiment. Elle dit : [Ouai, je vais reprendre l’uni en Sciences de l’Education]. Et là, je me suis dit : [moi aussi] (rires). Mais vraiment je lui ai dit que : [j’ai vraiment envie de faire ça moi aussi avec toi.]. Puis, elle me dit [bah viens !] » (Entretien, 206-209).

A nouveau, le rôle des autrui est clairement signalé par Marisa comme décisif dans sa réorientation de trajectoire. Cette rencontre marque la bifurcation : « je l’ai suivie là dedans. Tu vois elle m’a ouvert la voie » (Entretien, 225). Marisa nous expose une causalité très forte entre son engagement à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation (FAPSE) et cet événement. De telle manière,

qu’à son entrée en formation, elle ne semble pas encore être en mesure d’expliciter clairement un projet professionnel. Cela nous permet de situer Marisa, même au début de son entrée à la FAPSE, toujours dans une dynamique de gestation identitaire, mais à la fois, dans une dynamique de transformation identitaire. Nous allons maintenant décrire plus précisément ce qui impulse son projet de transformation.

6.1.3. Régulation des tensions identitaires et engagement en formation