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Eléments marquants de la recherche

Nous souhaitons présenter trois éléments que notre étude a permis de mettre en lumière. Leur récurrence dans la présentation des résultats de recherche nous conduit à les inscrire comme étant constitutifs d’un processus de reconversion professionnelle volontaire.

Les ingrédients de la bifurcation

Tout d’abord, cette étude nous a permis de mettre en lumière que la prise de décision dans le processus de reconversion professionnelle volontaire prend source au carrefour d’une pluralité de facteurs combinés. Nous avons montré que la régulation des différentes images de soi est au cœur de ce processus. Les tensions identitaires parcourent l’existence. Lors d’un processus de reconversion professionnelle volontaire, elles se révèlent être éprouvées de manière intense par les personnes dans une période où les configurations qui auparavant « allaient de soi » sont désormais remises en question. Guidés par notre approche théorique et sa justification grâce aux éléments empiriques, nous avons pu établir les liens entre les théories identitaires et le processus de reconversion professionnelle volontaire. Nous avons repéré la source des tensions identitaires et avons constaté que ces tensions correspondent à l’interprétation d’événements plus ou moins contingents, à des changements structurels ou contextuels ou à des changements dans les logiques d’actions (Bidart, 2006) qui s’imbriquent de telle manière que la personne se trouve dans une position de conflit entre les différentes images d’elle-même.

La porosité des sphères de la vie

Deuxièmement, nous avons mis en lumière le caractère systémique et dynamique de l’identité. En effet, les personnes doivent jouer sur plusieurs tableaux à la fois. Les parcours biographiques montrent des inscriptions dans plusieurs espaces intersubjectifs. Il y a des enjeux différents entre les domaines, mais les uns se répercutent sur les autres. Les interactions entre les systèmes d’activité peuvent être complémentaires. Effectivement, des compétences développées dans le cadre familial peuvent être remobilisées en contexte professionnel. Selon cette même idée, la reconnaissance des interactions entre les sphères de la vie inscrit certaines reconversions comme étant guidées par un désir conscient d’accroître la cohérence entre les études entreprises et les intérêts

extra-professionnels. Au regard de nos entretiens, nous pouvons dire qu’aucun système n’est totalement cloisonné, maintenir l’intégrité de soi demande de prendre en compte cette dimension.

La capacité d’action sur la définition de soi

Enfin, terminons par le fait que la mise en œuvre de stratégies identitaires a une place centrale dans le processus de reconversion professionnelle volontaire de nos interviewées. Ces stratégies peuvent être mises en œuvre de manière inconsciente et pourtant elles montrent ce que Négroni (2007) appelle

« le travail de l’acteur sur soi ». La reprise d’études marque un tournant dans leurs vies. Il s’agit d’une période cruciale, car une fois la rupture professionnelle effectuée la formation se substitue à tout autre acte de mobilisation comme réducteur de tensions identitaires. En d’autres termes, l’engagement en formation est « substitutif » et s’inscrit comme stratégie identitaire principale.

Les limites du travail :

Les relances prévues lors des entretiens ont été principalement orientées vers la période entre le désengagement professionnel et la nouvelle insertion. Notre étude a éclairé un corpus de données brutes issues des discours. Il s’agit donc d’un travail d’interprétation effectué en fonction de nos choix méthodologiques et à travers notre propre grille de lecture. Nos résultats ont montré que certains événements biographiques du passé ont une importance dans les processus actuels. Il est donc possible que pour certaines raisons contextuelles ou personnelles, des éléments ayant pu avoir un impact sur notre recherche aient été omis ou simplement oubliés.

Le statut d’apprenti-chercheur que nous avons adopté est enclin à « généraliser » les données récoltées pour mettre en évidence certaines récurrences observées dans les ruptures de trajectoire en début de carrière. Or, il semble important de préciser que nous sommes partis d’un nombre très restreint de participants. Cependant, maintenir trois entretiens nous a permis de travailler en profondeur chacun des récits qui ont formé notre corpus.

Les pistes et perspectives nouvelles pour la recherche

Premièrement, nous souhaitons revenir sur notre question de recherche qui était de repérer quelles dynamiques identitaires sont à l’œuvre dans un processus de reconversion professionnelle volontaire.

Sur la base de la typologie des dynamiques identitaires élaborée par Kaddouri (2006), notre corpus a révélé la présence de trois dynamiques identitaires (continuité, transformation et gestation) à l’œuvre

à des moments distincts du processus et en fonction de la personne. Nous l’avons vu, les tensions entre identité actuelle et identité visée conduisent à l’engagement en formation. Nous pourrions supposer que lorsqu’il y a engagement en formation, cela implique exclusivement qu’une dynamique de transformation est en cours. Or, la reprise d’études implique des temps longs qui montrent des dynamiques identitaires qui se chevauchent, changent et ne sont pas exclusives. Concernant la période qui précède l’engagement en formation, il semble y avoir un lien important entre la phase de latence, caractérisée par une période d’incertitudes, et la dynamique de gestation identitaire en cours.

Ces pistes de réflexion pourraient être exploitées dans une recherche où le temps de la latence serait à l’étude de manière approfondie.

Pour finir

Enfin, nous voulons revenir sur l’importance accordée à la socialisation primaire. Dès l’enfance des valeurs, des croyances et des opinions collectives sont transmises aux individus. Dubar (1992) évoque Bourdieu (1980) qui utilise le terme d’habitus pour désigner l’ensemble des éléments identitaires hérités et intériorisés. Pour cet auteur, l'habitus est non seulement le produit des conditions sociales de leur transmission, mais également le principe générateur des pratiques individuelles, vécues comme librement choisies » (Bourdieu, 1980, cité par Dubar, 1992, p.506).

Notre analyse de corpus a montré que certains schèmes sont hérités, mais leur mise en lien avec la structure contextuelle demande une réflexion sur plusieurs niveaux : « on cesse de traiter à part et avec des concepts totalement hétérogènes les identités collectives construites historiquement dans et par les processus sociaux et les identités individuelles constituées dans et par les biographies et les interactions individuelles. » (Dubar, 1992, p. 507).

Dans le cadre de cette recherche en formation des adultes, nous avons mis en lumière la place de la socialisation secondaire comme étant au cœur du processus. Notre recherche nous a permis de comprendre à quel point la formation joue un rôle primordial dans les parcours. L’engagement en formation correspond au fait que l’individu met en œuvre des stratégies, il se fixe des objectifs et se donne les moyens d’y parvenir. Cela montre la place importante de la formation pour réajuster l’orientation identitaire que l’individu souhaite pour lui.

Nous avons présenté trois parcours relevant des dynamiques identitaires contrastées. Cependant, ils se rejoignent dans la mesure où nos trois interviewées nous ont raconté l’importance des autrui

l’aide affective et matérielle de l’entourage. Nous avons également montré que leur connaissance du contexte genevois leur a permis d’investir les structures institutionnelles comme une ressource dans la reconversion. Le programme de recherche « Etudes et Valeurs » place l’intérêt11 au travail en première position des conditions de satisfaction en Europe. La nouvelle autonomie des individus dans leur rapport au travail charge les reconversions professionnelles d’une dimension reposant sur des

« dispositions individuelles » (Denave, 2006) renvoyant à la manière dont les personnes investissent le contexte. Or, une réflexion plus large menée à partir des résultats de notre cherche, nous fait prendre conscience que l’accès à la formation n’est pas le même pour tous : certains ne bénéficient pas de tous ces « ingrédients favorables ». Il reste un certain chemin à parcourir pour que la formation devienne le socle d’ajustement des inégalités sociales tous niveaux de formation initiale et toutes origines confondus.

11 Le EVS (Européan Values Survey) a été conduit en trois enquêtes en 1981,1990 et 2000.