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Synthèse et discussion des résultats : du rôle de la mesure Première Ovation à sa

Chapitre 4 : Analyse et discussion des résultats

4.5. Synthèse et discussion des résultats : du rôle de la mesure Première Ovation à sa

EN ARTS ET EN CULTURE À QUÉBEC

Nous avons montré qu’au fil du temps, entre sa création en 2008 et aujourd’hui, Première Ovation n’a cessé de se développer, en s’ouvrant à de nouvelles disciplines des arts et de la culture, en innovant dans ses stratégies actives ainsi qu’en travaillant son image pour une meilleure visibilité à l’échelle de Québec. Ces efforts ont été sanctionnés par une sorte de promotion du programme dans l’éventail du dispositif global de politiques culturelles que constitue l’Entente de développement culturel. Donc, bien établie dans la continuation de sa mission ou de son rôle, il reste à voir si la mesure est pertinente dans son sens et efficace dans son action.

Nous pouvons, retenir au moins trois déterminants explicatifs du succès de Première Ovation, dont deux internes à la mesure elle-même et un qui lui est externe. Les deux premiers sont dans la manière dont elle fonctionne, entre la très forte implication des acteurs du milieu artistique et culturel de Québec et une bonne stratégie de communications et de marketing. Résultat : non seulement le programme est connu de tout le milieu des arts et de la culture de la ville, d’où l’afflux des jeunes artistes, mais surtout moyennant les retombées positives et pérennes subséquentes, parce qu’administré et piloté par des professionnels (artistes et organismes) ayant fait la preuve de leur expertise dans le domaine de la culture, il est très largement jugé efficace.

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Le troisième déterminant explicatif du succès de la mesure, et ce, indépendamment de celle-ci, se trouve justement du fait de la relève à Québec, de son apport prépondérant à ce succès, comme l’a bien démontré l’approche de sa pertinence.

Une fois établis les deux postulats selon lesquels, d’une part, la ville de Québec bénéficie d’une relève en arts et en culture jeune et dynamique et, d’autre part, qu’on considère satisfaisant et efficace le travail de Première Ovation, programme destiné à promouvoir et à enrichir ce « bassin de talents », il ne reste plus qu’à se pencher à nouveau sur nos deux questions et nos deux hypothèses de recherche pour non seulement apporter des réponses ou des pistes de réponse, mais pour vérifier également la validité de nos hypothèses de recherche.

À la première question de recherche sur les retombées de la mesure Première Ovation de l’Entente de développement culturel, comme politique culturelle, sur les conditions sociales, économiques et professionnelles des bénéficiaires 2009-2012 de la ville de Québec, force est de constater que l’impact général de la mesure Première Ovation sur la relève est réel et naturellement positif. Un soutien financier, c’est toujours un plus pour des artistes, pour la plupart, en pleine éclosion. Il en est de même pour un accompagnement professionnel, entre la mise à disposition de l’artiste d’un mentor et la facilitation de l’accès à un réseau actif dans son domaine de création. En effet, bien que présentant certaines nuances, toutes les dimensions appréhendées, découlant du soutien de la mesure Première Ovation, influent de manière indiscutable sur le parcours ou la carrière des artistes bénéficiaires. Précisons tout de même que les catégories « financière » et « professionnelle » ne sont pas à comprendre comme si l’une ou l’autre des dimensions analytiques renvoyait à une variable indépendante, car les deux dimensions se tiennent entre elles.

La dimension financière ou plus exactement le soutien financier ne dure que le temps du passage à Première Ovation, mais, comme nous l’avons vu, ayant permis la concrétisation du projet du bénéficiaire et favorisé les retombées subséquentes, son impact dépasse le simple clivage du projet à réaliser. La dimension professionnelle n’est pas figée dans le temps, elle est en construction permanente. Les enseignements et instructions qu’apporte l’accompagnement d’un mentor, sans parler de l’impact sur la réalisation du projet retenu, constituent un capital professionnel dans lequel l’artiste de la relève non seulement puise dès la sortie de Première Ovation pour la pratique de son art, mais surtout peut toujours puiser à l’avenir pour construire et reconstruire en permanence sa fibre propre ou sa touche créative. Le style est souvent essentiellement personnel, mais il se professionnalise suivant l’inspiration et le parcours ou l’expérience.

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Les nuances dont nous avons fait mention sont plutôt d’ordre chronologique. Par exemple, si nous divisons le parcours de nos répondants en périodes, long terme, court terme et immédiat, pour voir particulièrement ce que sont devenus nos répondants à long terme, la dimension professionnelle serait nettement plus intéressante à prendre en considération que celle financière.

Le moyen terme commence au moment même où s’achève la période du soutien accordé par Première Ovation. Nos répondants, pour être plus précis, en sont exactement à cette étape du moyen terme au moment de répondre à l’enquête. Toute réalisation de projet ou obtention de distinction ou même promotion professionnelle constitue une avancée dans cette période du moyen terme. C’est l’étape du parcours où l’artiste commence vraiment à se développer, il tient son art parce qu’ayant déjà été reconnu et parce qu’ayant vécu une expérience professionnelle l’ayant conduit à produire une œuvre en se confrontant à son milieu, à ses réalités et à ses acteurs et animateurs. On sort toujours de Première Ovation « grandi », nous a affirmé un de nos répondants. Tout le sens de ce projet semble se situer dans cette culture d’autonomie à transmettre aux artistes de la relève. Certains le développent bien avant leur passage à Première Ovation, mais ils reconnaissent tous que dans les arts et dans la création culturelle, toute expérience additionnelle est un plus pour la carrière.

Dans l’immédiat, obtenir une distinction est sans conteste source de motivation pour tout artiste. C’est pourquoi nos répondants disent que la mesure a bien en elle-même une « valeur propre », qu’elle servira toujours à des artistes en manque de moyens, de professionnalisme et de visibilité, mais également qu’elle servira toujours d’une manière ou d’une autre au développement de la création culturelle à Québec.

En outre, par rapport à la seconde question de recherche sur les représentations sociales des répondants, il se dégage un « univers d’opinions » à tonalité variable : de consentement ou d’approbation quand l’objet de la représentation spécifie le milieu culturel de Québec, et de critique quand la représentation tient compte des secteurs de production artistique et culturelle, ainsi que des résolutions politiques qui les déterminent. En effet, du fait même de la « flexibilité » du concept de représentation sociale qui permet l’adaptabilité et la variabilité du jugement ou de la perception en fonction des dimensions de l’objet représenté (Moliner et Guimelli, 2015), bien que qualifiant d’effervescent le milieu de l’art de Québec, cela n’empêche nullement les répondants de construire un schème de représentations sociales négatives à l’encontre de la gestion politique des secteurs de production. Par ailleurs, on fait constat d’une influence certaine de l’impact du soutien de la mesure sur ces représentations sociales en lien avec leur statut et leur parcours professionnel. En effet,

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rencontrés à la suite du soutien de Première Ovation, les enquêtés ont eu toute la latitude, par le truchement de leurs représentations sociales d’émettre des jugements propices ou défavorables en fonction de l’objet représenté. D’autre part, les retombées du passage à Première Ovation leur ont également permis d’avoir une plus juste compréhension non seulement de la productivité artistique et culturelle de Québec, mais aussi de leur carrière future.

On a déjà longuement discuté de la mesure. On pourrait prolonger la discussion en isolant les trois secteurs en question, mais, de notre point de vue, ceci sera un exercice superflu, car, tous les artistes se retrouvent, a priori, relativement égaux au départ lorsqu’il s’agit d’axer l’analyse sur les deux dimensions considérées dans notre recherche. L’Entente de développement culturel étudiée via la mesure Première Ovation produit un impact dans les deux dimensions considérées, et qui peuvent être intégrées dans le corpus du contenu de nos deux questions de recherche. Nos réponses ainsi que nos hypothèses sont toutes apportées et validées. En effet, du point de vue de l’impact socioéconomique, socioprofessionnel comme de celui des représentations sociales, l’impact est réel et visible.

Les projets artistiques n’ont pas tous les mêmes besoins lorsqu’il s’agit de réaliser un projet, et, comme nous l’avons compris dans l’analyse des bilans, la mesure tient rigoureusement compte de cet état de fait. En effet, il y a bien un effet global et général Première Ovation, indépendamment du parcours du bénéficiaire, mais également du secteur considéré. C’est une expérience marquante dans la vie artistique de chacun de nos répondants, comme en témoignent les nombreuses affirmations collectées lors de l’enquête de terrain et passées au crible de l’analyse.

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CONCLUSION

Rappelons succinctement qu’au départ nous nous sommes proposé, dans le macrocosme des politiques culturelles au Québec et plus précisément dans la foulée de l’accord triennal conclu entre la Ville de Québec et le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine (MCCCF), d’étudier l’impact de l’Entente de développement culturel sur la génération d’artistes bénéficiaires 2009-2012 du soutien de la mesure Première Ovation. Nous avons, pour ce faire, fait intervenir, au moyen d’entretiens individuels, dans leur parcours comme dans leur pratique, dans leur encadrement comme dans leurs motivations, dans leurs perceptions comme dans leurs propositions, vingt-deux répondants de trois différents secteurs de production artistique et culturelle, à savoir les arts littéraires, le théâtre et les arts visuels. Nous comptions, d’une part, par une approche sociologique et comparative de leur situation socio-économique et socioprofessionnelle avant, durant et après le soutien de la mesure Première Ovation, apprécier l’incidence réelle d’une telle politique sur la carrière des artistes bénéficiaires. D’autre part, dans une compréhension globale des politiques publiques québécoises destinées à la culture, nous voulions appréhender, en lien avec leur statut et leur parcours professionnels à la suite de l’encadrement et du soutien de Première Ovation, les représentations sociales des bénéficiaires rencontrés sur la culture, le fonctionnement des secteurs de production artistique et culturelle, ainsi que sur les décisions politiques qui les réglementent.

Pour construire notre problématique de recherche, entre contextualisation, conceptualisation et explication, nous nous sommes référé à la période allant de l’édification du ministère des Affaires culturelles à la politique culturelle du Québec « Notre culture — Notre avenir », soit de 1961 à 1992. Le recours à ce parcours historique s’explique à deux niveaux d’analyse. D’un côté, il permet de situer les grandes décisions de politique publique destinée à la culture dans leur contexte, donc de mieux comprendre les visées de l’Entente de développement culturelle et du programme Première Ovation. De l’autre, il permet de comprendre davantage l’interaction entre les acteurs (les artistes ou les regroupements d’artistes) et les institutions (l’État dans ses diverses ramifications), afin de mieux saisir les artistes rencontrés quant à leurs positions et quant à la trame décisionnelle qui conditionne, fort souvent, la carrière professionnelle.

Rappelons également, conjointement au cadre contextuel, que le rayonnement de la culture est une ambition forte de l’État québécois, détermination ponctuée de faits stratégiques qui tendent à favoriser la diffusion, la mise en valeur ou encore le prestige de l’unicité du Québec en matière d’art, de culture et de communications. Cette détermination s’exprime au moyen de programmes d’aide par le

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gouvernement québécois et s’opère par l’entremise, entre autres, du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC), des Offices jeunesse internationaux du Québec (LOJIQ), et, en ce qui nous concerne de façon spécifique, du ministère de la Culture et des Communications et de la Ville de Québec — Soutien aux projets des organismes culturels professionnels.

En conséquence, établie depuis 1979, l’Entente de développement culturel entre le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine et la Ville de Québec n’a eu de cesse de prendre progressivement une expansion autant dans le sens de la multiplication des secteurs artistiques et culturels pris en compte, que dans le sens d’un soutien politique, économique et stratégique de chacun de ces domaines. Elle marque fortement le dynamisme culturel dans la Capitale-Nationale. Bien qu’elle ne soit pas révolutionnaire, car il y avait une vie culturelle à Québec avant cette politique, l’Entente de développement culturel a contribué à maintenir la vitalité de ce secteur de production, grâce à une multiplication des programmes et une diversification des domaines d’intervention. La mesure Première Ovation destinée à la relève intègre cette dernière dimension de la politique culturelle de la Ville de Québec. Elle porte un caractère transversal, car intégrant aujourd’hui dix secteurs du domaine des arts et de la culture. Partie de deux secteurs en 2008, à savoir le théâtre et la musique, la mesure Première Ovation s’est vite amplifiée en intégrant dès l’année suivant sa création, cinq autres disciplines des arts et de la culture : la danse, les arts littéraires, les arts visuels, les arts médiatiques et les métiers d’art. Jusqu’en 2012, dernière année prise en compte par notre étude, elles étaient donc sept disciplines de création artistique et culturelle soutenues par le programme Première Ovation. Ce qui justifie le fait que nous ne parlons tout au long du présent document que de seulement sept secteurs. En effet, les arts multi ne viendront s’ajouter à la liste qu’en 2012, suivis en 2015 du cirque et du patrimoine.

Le programme Première Ovation, en tant que pilier stratégique de l’Entente de développement culturel, est jugé unanimement, autant par les artistes et les organismes professionnels de la culture que par le MCCCF et la Ville de Québec, comme une mesure efficace pour promouvoir le développement culturel de la Capitale-Nationale en misant sur la relève. En effet, les résultats de cette recherche objectivent un impact global et général de Première Ovation, donc de l’Entente de développement culturel, sur la vie socio-économique des bénéficiaires : c’est la dimension financière de la mesure, certes, jugée « insuffisante » par les enquêtés, mais dont les retombées positives, sur la matérialisation du projet à réaliser et au-delà, sont attestées par la quasi-totalité des artistes rencontrés. Il y a un impact aussi général et global de la mesure sur toute la suite du parcours de nos répondants,

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c’est l’apport du mentorat, qui au bout du compte professionnalise ceux-ci et leur donne une certaine assurance personnelle en termes de création et une certaine autonomie active et professionnelle en termes de mise en œuvre et de réalisation de projets artistiques et culturels dans leurs domaines respectifs. De plus, le passage à Première Ovation, qui reste le programme de l’Entente de développement culturel offrant aux artistes de la relève les moyens, entre autres, de vivre « leurs premières expériences professionnelles », leur a permis d’avoir une représentation sociale plus nette non seulement du milieu de l’art de Québec qu’ils jugent effervescent, mais aussi de la créativité artistique et culturelle de Québec qu’ils estiment entravée par des résolutions politiques en discordance avec la réalité des secteurs de production.

Cette étude de l’impact du soutien financier et professionnel de la mesure Première Ovation sur les artistes bénéficiaires (2009-2012) a permis, d’une part, par la mise en perspective des trois champs appréhendés, de saisir les spécificités organiques et sociologiques de ces secteurs artistiques respectifs, et, si elle ne prétend pas apporter à la sociologie de la culture québécoise un panorama des mondes de l’art québécois, elle offre néanmoins un regard critique sur la productivité artistique et culturelle de Québec. D’autre part, elle a permis, à la lumière des données collectées et de l’analyse qui en découle, un périple dans l’univers des politiques culturelles québécoises, notamment des structures d’entente et de financement au domaine culturel afin d’en apprécier leur impact. Par ailleurs, si l’élaboration d’une politique de la culture enjoint les gouvernements à « une vision explicite de la place qu’ils confèrent à la culture dans les choix de l’État » (Arpin, 1993 : 48), le Québec contemporain demeurant un champ riche qui permet, de manière critique et scientifique, l’étude des résolutions économiques, politiques, sociales et culturelles qui le déterminent, les résultats et les questionnements soulevés faciliteront l’exploration de nouveaux canaux décisionnels et la compréhension des décideurs politiques sur des questions d’envergure sous-jacentes.

La culture est une chose, la production culturelle en est une autre. La culture est ce qui donne une âme réelle à une société vivante, mais elle est aussi un secteur commercial ou économique, unique en son genre. Un produit culturel ou artistique n’est pas un produit commercial comme un autre, mais il demeure qu’il constitue un produit économique, c’est-à-dire avec une composante de production et une autre de consommation. À Québec, la composante de consommation est réelle et compétitive ; autrement dit, en regard de la taille démographique de la ville, Québec n’aurait pas à se plaindre du commerce culturel. La population et les touristes qui viennent découvrir ou visiter la ville consomment des produits divers d’art et de culture. Mais la composante de production, celle sur laquelle porte notre recherche, à en croire les principaux concernés, les artistes répondants, elle, est

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caractérisée par des dysfonctionnements institutionnels assez réels et forts dans les trois secteurs en question, telles l’insuffisance des soutiens financiers accordés à la culture et la mauvaise organisation du circuit de création artistique ou de production culturelle, lesquels manquements, au final, sont préjudiciables autant aux secteurs qu’aux artistes individuels. L’enjeu dépasse pourtant celui des conditions de vie spécifiques à certains professionnels. S’il est courant d’entendre dire que l’art ne fait pas vivre son homme, mais on ne dit jamais assez que le but de l’art n’est pas de faire vivre l’artiste. S’il y a une entité qui réellement vit de l’art, c’est bien la société. Ainsi, les artistes ne devraient pas avoir à être des bénévoles. Ce sont des innovateurs permanents, ils inventent en permanence la société, en partant d’une multitude de sources d’inspiration.

Partout dans nos trois secteurs étudiés, il ressort deux choses fortes : tous nos répondants aiment leur activité artistique et aimeraient pouvoir vivre de celle-ci, mais, très peu se considèrent autonomes grâce à leur art. Les artistes sont, en termes de création culturelle, les producteurs, mais, suivant leurs remarques critiques, ils demeurent trop souvent les parents pauvres du système qu’eux-mêmes nourrissent en permanence d’œuvres, d’innovations et d’inventions.

Du fait, s’il s’avère évident que la mesure Première Ovation, dispositif destiné à la relève artistique de Québec, comme toute structure établie, est organisée par des règles et des critères fonctionnels préalablement élaborés, cela induit-il pour autant de dévier du collimateur l’incertitude ou les déceptions qui se dégagent de la trame professionnelle de bon nombre de répondants ? Certes, le choix de cheminer activement dans l’art est personnel, mais l’ambition de développer les arts dans un pays ou une localité territoriale quelconque est une affaire politique. La Ville de Québec, dans ses visées de faire rayonner la cité artistiquement, négligerait-elle, entre autres talents, ses jeunes créateurs au profit de l’image d’une Capitale-Nationale bouillonnante culturellement ? Encore que, Howard S.