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De l’impact socio-économique de Première Ovation sur les conditions de vie des

Chapitre 4 : Analyse et discussion des résultats

4.3. Vers une analyse de l’impact socio-économique et socioprofessionnel de l’Entente de

4.3.1. De l’impact socio-économique de Première Ovation sur les conditions de vie des

A priori, tous les bénéficiaires de la mesure Première Ovation sont conscients de la relève en matière

de création artistique et culturelle à Québec, car chacun des sélectionnés est en quelque sorte l’incarnation réelle de cette relève. L’intérêt d’avoir précédemment jeté un regard sur les rapports de l’Entente de développement culturel réside dans le fait que ceux-ci nous communiquent les sommes allouées à chaque programme et à chaque secteur dans chaque volet du programme considéré. Mais entre les propos des responsables de la mesure, les rapports sur les actions et activités de celle-ci et ce qu’en disent les bénéficiaires, il y a parfois une grande différence voire un grand décalage. À ce titre, de la lecture de ces rapports rappelons qu’il se dégage une remarque générale : en dehors de la rénovation et de la modernisation du patrimoine, c’est le théâtre qui se taille la part du lion. Cependant même les artistes qui s’adonnent à cet art, comme ceux des deux autres secteurs étudiés, trouvent pour la plupart que le soutien financier de Première Ovation demeure très peu conséquent par rapport aux dépenses encourues pour la concrétisation du projet retenu : « C’est sûr si on n’avait rien que Première Ovation pour monter un spectacle, ç’aurait été loin d’être suffisant. Ne serait-ce que payer les gens, le décor et tout ça, on n’y arriverait pas » (Annie, théâtre). Le soutien financier, selon les répondants, est, certes, limité, mais, l’art ne pouvant assouvir les besoins personnels de la grande majorité des artistes dits de la relève, paradoxalement, aucun d’eux ne disconvienne de son importance au moment où ils le reçoivent. Comment comprendre cette posture ambivalente des répondants partagés entre l’insuffisance et l’importance de la dimension financière de la mesure Première Ovation ?

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Lors des entretiens, à l’exception de très rares enquêtés qui disent vivre en toute autonomie de leur art, la grande majorité des participants à l’enquête sont pluriactifs ou polyactifs, c’est-à-dire allient travail, pour se faire un revenu réel et régulier, et activité de création artistique. Et, le montant attribué sous forme de bourse étant strictement destiné au financement du projet artistique, le fait, aux dires des répondants, qu’elle soit « insuffisante » à leurs yeux, peuvent s’avérer des motifs de frustration. Rappelons que la polyactivité désigne la conjugaison d’activités dans des secteurs distincts, alors que la pluriactivité consiste en l’exercice de plusieurs métiers dans le même secteur d’activités (Marie- Christine Bureau, Marc Perrenoud, Roberta Shapiro, 2009 : 20). Néanmoins, d’entrée de jeu, disons que cet avis d’une « bourse limitée, voire faible », grandement partagé par les répondants, n’occulte en rien, de leur point de vue, son impact véritable.

En effet, du point de vue financier, ils considèrent la mesure Première Ovation comme un « dépanneur », « un coup de main », c’est une aide immédiate pour permettre d’arriver au bout d’un projet précis, mais également pour permettre aux bénéficiaires de prendre leurs marques dans le monde actif et vivant de leur art. Selon les répondants toujours, à l’instar de Jean-Pierre (arts visuels) : « La bourse te permet de faire avancer la démarche et de ne te concentrer que sur ton projet ». Autrement dit, compte tenu de la situation économique précaire des bénéficiaires, le soutien financier permettrait avant tout, pendant des mois de réduire leur temps de travail « alimentaire », c’est-à-dire, limiter les heures préalablement dédiées aux boulots épars pour, de préférence, les canaliser et les consacrer principalement à leur projet de création. Par là, la bourse de création ne saurait être vue comme une occasion de vacances au profit du bénéficiaire, il s’agit d’un engagement pris par ce dernier à respecter un agenda bien précis et dont l’impact positif au bout du processus aboutirait à la concrétisation d’une « œuvre » ou d’un produit artistique.

En somme, bien que jugée modique au regard des coûts de production, il se dégage de la dimension financière du soutien de Première Ovation un impact réel sur l’immédiateté du projet à concrétiser. S’inscrivant pour la plupart comme étant des travailleurs polyactifs (comédienne et traductrice, romancier et coach artistique, tels Cynthia et Richard ; peintre et gérant d’immeubles, écrivain et travailleuse en ventes/marketing tels Mathieu et Sabine), ou des travailleurs pluriactifs (peintre- collagiste et enseignante en art, conceptrice de spectacle et enseignante de théâtre, telles Nicole et Annie), la bourse de Première Ovation, « bien que peu élevée, a permis l’exécution du projet dans une moins grande inquiétude financière » (Mathieu, arts visuels). Par son effet immédiat, le soutien financier de Première Ovation se présente ainsi à eux comme une manière de faire pencher la balance de leurs activités productives du côté de leur art.

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Outre cette retombée prompte et concrète, l’analyse ne dénote-t-elle pas d’autres impacts du soutien financier de la mesure Première Ovation sur les conditions de vie des artistes bénéficiaires ?

Bien que jugé « faible », voire « dérisoire », le soutien financier reste une composante forte de la mesure qui, au-delà de cette retombée immédiate et précise sur les conditions de vie du bénéficiaire, semble se répercuter sur des avenues plus larges qui débouchent sur d’autres perspectives et avantages.

D’une part, quand le regard scrute moins le montant attribué que la portée réelle de la bourse Première Ovation, ils sont quasi unanimes à affirmer qu’elle symbolise une source de motivation, qu’elle constitue un tremplin, des « échelles » qui mènent à des perspectives réelles d’avenir pour leur carrière artistique. En effet, la bourse de création de la mesure étant l’une des plus accessibles pour les créateurs débutants de Québec, sa dimension financière influence de façon évidente le jeune parcours du bénéficiaire, puisqu’au vu de leurs propos, le succès du projet artistique ou culturel permet, entre autres, d’étoffer un curriculum vitae, favorise l’accès à d’autres bourses ou résidences, et, de manière plus étendue, apporte la notoriété, aide à gravir des niveaux supérieurs, d’avoir « la reconnaissance des pairs », etc.

Annie (théâtre) : « C’est sûr que l’impact est là. Car, avant, si on n’avait pas reçu le soutien de Première Ovation, on n’aurait peut-être pas encore notre compagnie. Après, c’est toujours à recommencer. Puis, ça a apporté une certaine notoriété dans le secteur ».

Sammy (arts visuels) : « C’est comme des échelles. Quand on a reçu la bourse, on était content parce qu’on savait qu’on pouvait monter à l’autre marche. Du moment que t’as Première Ovation tu peux te considérer comme un artiste professionnel, que tu as la reconnaissance des pairs… Avoir l’aide de Première Ovation, ça te donne une bonne motivation de continuer ».

D’autre part, à l’analyse de plusieurs réponses telles que celles de la question 4/thématique 1 « Quelles étapes de votre parcours artistique jugez-vous importantes, voire déterminantes ? », celles de la question 6/thématique 2 « Quel est le sens et la place que vous accordez à l’octroi de cette aide dans votre métier d’artiste en tenant compte des aspects économique et social avant, durant et après le soutien reçu ? », il est aisé de comprendre que la question financière reste l’une des questions centrales lorsqu’il s’agit de porter un regard critique ou analytique sur l’apport réel de la mesure Première Ovation à ses bénéficiaires. Ce segment de l’analyse qui, chronologiquement, prend en compte les impacts du soutien financier de la mesure après le passage à Première Ovation, démontre clairement qu’il serait très réducteur de ne statuer que sur des incidences à très courte vue, car pour André (arts littéraires), par exemple, comme pour d’autres enquêtés, « Cette bourse s’inscrit dans un cheminement plus large. Elle est une pierre dans un édifice qui dépasse l’écriture scénaristique et qui

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a trait davantage à ma carrière ». Dans un premier niveau d’analyse, cela signifierait de par l’impact qu’elle engendre sur le parcours du jeune bénéficiaire, de considérer la bourse de Première Ovation comme une réelle opportunité de carrière, un pas qui conduirait vers d’autres étapes successives. Il faut comprendre par là également, dans un second niveau, que non seulement la bourse de la mesure est un atout considérable, mais aussi que la réussite pour ceux qui s’adonnent à la pratique de l’art est fonction du parcours individuel, et que seul ce zèle personnel manifesté tout au long du cheminement de l’artiste sous-tendra d’autres impacts importants sur la suite de la carrière. Ce cheminement est avant tout personnel. Il est un choix qui appartient entièrement à l’artiste. Il est le seul à pouvoir aller plus loin dans sa carrière. Le mot « carrière » ne s’inscrit que dans une perspective individuelle, car il va au-delà du soutien financier de la mesure à ses bénéficiaires. Néanmoins, les rares répondants qui, au moment des entretiens, disent vivre ou commencer à vivre de leur art assimilent leur réussite, entre autres, aux retombées de la bourse de la mesure. Car, Première Ovation, en leur octroyant un support financier pour matérialiser un projet qui leur était cher, a du même coup favorisé l’accès à d’autres avantages et opportunités de carrière. Certains le disent de façon explicitent : « Après, sur le plan économique, bien que ça arrive plus tard, il y a une retombée sur la carrière » (Jean-Pierre, arts visuels), « … je réalise des choses que je ne pensais pas pouvoir faire avant. Côté carrière, je suis rendu à un autre niveau à cause de cette aide qui m’a aidé à me propulser » (Bruno, théâtre).

Somme toute, l’analyse de la dimension financière de l’Entente de développement culturel via la mesure Première Ovation relève de façon certaine divers impacts socio-économiques, liés les uns aux autres, sur les conditions de vie de la cohorte d’artistes étudiés : un impact immédiat, dû au fait même de la bourse qui a permis au jeune talent de Québec, économiquement précaire, de disposer de fonds nécessaires pour la réalisation d’un projet artistique ou culturel ; un impact découlant des retombées ponctuelles du succès du projet et qui a permis au bénéficiaire « de sortir de l’ombre » et a valu, entre autres avantages, la reconnaissance des pairs ; un impact faisant suite à la situation précédente, tributaire de meilleures conditions de vie et qui résulte du parcours individuel ou de la carrière personnelle de l’artiste.

La question financière est naturellement importante, mais elle n’en demeure pas pour autant la seule marquante du dispositif de la mesure Première Ovation. Subséquemment, par le biais de l’autre dimension que nous prenons en compte dans le cadre de notre analyse, il reste à voir l’impact de la mesure Première Ovation sur le parcours socioprofessionnel de nos répondants.

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4.3.2. Vers une analyse de l’impact de l’Entente de développement culturel/Première