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Chapitre 3 : Présentation de l’enquête de terrain : trois arts si proches et si loin dans leur

3.1. Première Ovation sous la loupe de ses bénéficiaires en arts littéraires

3.1.6. Première Ovation et la relève en arts littéraires

Les réponses de nos répondants aux questions sur Première Ovation sont d’une très grande variété. Si tout le monde reconnaît l’importance du soutien financier et professionnel dans le cheminement progressif d’un écrivain, ils ont en revanche des opinions différentes sur la mesure elle-même, sur ses objectifs et sur ses moyens. Plusieurs points peuvent être soulignés dans cette section et qui montrent qu’il n’y a pas d’unanimité sur Première Ovation et son ambition de faire de la Capitale nationale la capitale de la relève culturelle au Québec.

La mesure Première Ovation elle-même selon ses bénéficiaires en arts littéraires

Ils ont tous pris connaissance de l’existence du programme de soutien à la relève à travers les médias : médias sociaux, sites web consacrés à la culture ou alors affiches à des lieux de culture comme les bibliothèques. Certains de nos répondants considèrent que le programme n’est pas assez connu du grand public, c’est pourquoi il n’attire pas beaucoup de monde, alors qu’il aide beaucoup le bénéficiaire dans sa maturation professionnelle. La plupart de nos répondants jugent aussi le soutien financier faible, même s’ils considèrent que le plus important demeure le fait de disposer d’un mentor qui permet d’avancer dans ses projets et d’achever des travaux entamés.

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Les réponses de Richard résument à elles seules l’ensemble des réponses recueillies, car elles font la part des choses. Trois affirmations de Richard :

« Il est évident que la mesure Première Ovation est nécessaire et doit être encouragée. Cela dit, à savoir si le soutien est suffisant, je crois que non. La bourse obtenue est un bel encouragement, mais je crois qu’il serait intéressant d’offrir quelque chose de plus substantiel, quitte à réduire le nombre de bourses offertes par année. Sachant que les candidats se font tout de même rares d’année en année, la mesure étant peu connue du public, j’ai l’impression qu’il y a de moins en moins de sélection qui se fait, et cela amoindrit la valeur de la mesure ».

« La rencontre avec mon mentor est un des moments déterminants de mon parcours. Un cours de création nous donne des pistes, évidemment, mais être plongé dans l’écriture d’un livre auprès de quelqu’un qui en a l’expérience, et qui est capable de vous pointer vos lacunes et réflexes d’auteur sans avoir à les “évaluer” (comme un professeur le ferait, par exemple), change-la donne ». « Sur le plan social, Première Ovation m’a assuré une visibilité que je n’aurais pas pu atteindre par mes propres moyens. N’étant pas né à Québec, je manquais parfois d’outils et de contacts dans le milieu pour réaliser mes projets. Les gens de Première Ovation m’ont souvent recommandé à d’autres artistes, et j’ai ainsi pu obtenir plusieurs contrats intéressants, et fait de très belles rencontres ».

Julien aussi va dans ce sens :

« D’un point de vue financier, l’apport de Première Ovation était plutôt symbolique. Je ne dis pas ça pour critiquer le programme : pour écrire, au fond, l’argent est secondaire. Néanmoins, comme tous les autres moments où j’ai eu l’occasion d’obtenir un avis extérieur sur mon travail, je juge que Première Ovation a eu un impact positif sur celui-ci, mais d’un point de vue strictement artistique — pas économique ou social ».

De même qu’André:

« Cette bourse s’inscrit dans un cheminement plus large. Elle est une pierre dans un édifice qui dépasse l’écriture scénaristique et qui a trait davantage à ma carrière. Pour l’aspect monétaire, la bourse Première Ovation, même si elle n’est pas énorme, permet d’envisager que certaines périodes de l’année puissent, dans l’avenir, être dédiées entièrement à l’écriture, ou alors que le fait de dédier certains moments de l’année à l’écriture peut être cohérent financièrement. Comme je le disais plus haut, je juge ce montant peu élevé. Cela, toutefois, en comparaison avec des bourses comme celles du CALQ ou du CAC, plus généreuses. Cependant, je crois que les bourses Première Ovation ont pour ceux qui les reçoivent une valeur plus grande que celle qui est liée uniquement à l’argent : par le cadre qu’elle installe (soutien d’un professionnel et production d’un texte pour une soirée littéraire) et par la reconnaissance dont elle est synonyme ».

Objectifs et bilan de Première Ovation

Lorsqu’on demande aux répondants en arts littéraires de la relève Première Ovation 2009-2012 ce qu’ils pensent de la mesure elle-même indépendamment du fait qu’ils en ont été des bénéficiaires, les réponses sont mitigées. D’une manière générale, ils considèrent que l’initiative est en elle-même intéressante, voire nécessaire, mais son impact sur le rayonnement littéraire et plus largement culturel de Québec à l’échelle de la province est minime. Comme le pense Marc, Québec ne peut pas

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concurrencer Montréal en production culturelle, ce n’est pas la même échelle ou le même ordre de grandeur, mais il mentionne que les choses évoluent positivement du côté de la Capitale nationale. Marc :

« En ce qui a trait à la littérature, c’est un échec partiel. La force médiatique de Montréal est trop importante pour qu’une initiative, aussi belle soit-elle, puisse permettre de changer la force des pôles qui sont, par ailleurs, historiques. Dans le milieu littéraire, l’Université constitue le fédérateur principal, avec sa masse critique d’étudiants, d’activités savantes et culturelles, ses revues (souvent animées par des professeurs et des étudiants des cycles supérieurs), etc. Cependant, Première Ovation a donné un élan, une volonté littéraire à la ville de Québec que la Maison de la littérature et le Festival Québec en toutes lettres semblent avoir confirmé. Québec commence à reconquérir une identité littéraire ».

Par ailleurs, ils sont plusieurs à penser que Première Ovation n’est qu’une petite initiative qui permet à quelques jeunes d’avancer dans leur projet, mais la mesure ne peut pas à elle seule garantir une relève réelle et consistante à la ville de Québec en matière d’arts littéraires. Sabine va même jusqu’à dire qu’elle n’est pas nécessaire. Julien, tout en reconnaissant la contribution de Première Ovation au développement de la culture à Québec, fait remarquer que cette dernière ville est trop petite et homogène pour espérer pouvoir être un lieu de bouillonnement culturel.

Sabine : « Je ne dirais pas que je juge nécessaire son renouvellement, mais bien souhaitable. Tant mieux si elle existe, mais je ne crois pas que sa disparition serait un frein à la vie artistique ni de Québec ni du Québec […] c’est avec d’autres institutions que la chose va évoluer : il faut que l’écrivain participe au milieu avec d’autres instances pour se légitimer et se faire connaître, par exemple la Maison de la littérature ».

Julien : « Première Ovation contribue, sans doute oui, au développement de la culture à Québec. Mais comme je le disais, ce n’est qu’un seul facteur parmi tant d’autres. Il reste, peu importe l’implication étatique, que Québec est une ville de taille moyenne, avec un petit centre-ville et une population assez homogène : rien de cela n’est pas propice au développement d’une vie artistique particulièrement florissante ».

Québec, capitale de la relève en arts littéraires ?

C’est en toute cohérence que nos répondants, dans la suite de leurs réponses sur la mesure et sur ses objectifs et moyens, considèrent qu’on est loin du compte, car les moyens sont limités, les dispositions sociales, culturelles et globales de la ville elle-même très peu favorables et les ambitions trop fortes. Résultat : c’est une petite relève qui est assurée, et cela n’aura aucune portée réelle sur l’ambition « démesurée » de Québec de vouloir « être la capitale de tout ». À ce niveau, les réponses de Julien et de Richard sont très parlantes.

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Julien : « Non, je ne jugerais pas que l’objectif est atteint, mais il me semble que c’était à la base un objectif un peu démesuré, surtout par rapport aux moyens déployés. Être une “capitale artistique” dépend de beaucoup plus de facteurs que simplement la présence d’un programme de soutien comme Première Ovation (d’autant plus que financièrement, en tout cas dans mon cas, le soutien était anecdotique). Je ne sais pas si on peut parler d’une évolution ou d’un échec : c’est une question à laquelle les statistiques pourraient mieux répondre que moi ».

Richard : « Les ambitions sont grandes en ce qui a trait à Première Ovation. Vouloir faire de Québec la “capitale de la relève artistique au pays” n’est pas une mince affaire. Je crois qu’il faudrait, en fait, revoir les attentes et plutôt chercher à encourager la relève artistique et à l’accompagner. Je ne crois pas que Québec peut aspirer à devenir la “capitale de la relève artistique”. On est rapidement tombé dans le piège de vouloir donner des miettes à tout le monde, plutôt que d’offrir un véritable soutien à certains artistes ».

Richard, ne se contentant pas de mentionner « l’ambition fantasmagorique » de la ville de Québec, va même plus loin dans son raisonnement. Il remet en question l’expression « relève artistique » elle- même. Ce qui ouvre un autre débat. Au-delà même des moyens et des résultats de Première Ovation, c’est la conception du programme, elle-même, qui est remise en question. Cette remarque peut être très intéressante, car, bien que répondant d’un même domaine, celui de la culture, les différents secteurs de création culturelle entretiennent, chacun, une très grande spécificité quant aux usages, aux pratiques et aux modes de fonctionnement qui y sont courants. Peut-être que la remarque faite par Richard sur la danse pourrait aussi être retrouvée chez nos répondants en théâtre. Richard :

« Aussi, j’ai toujours un malaise avec l’expression “relève artistique”, parce que généralement, ce qu’on entend par relève, ce sont des artistes de 35 ans et moins. Il y a des domaines où cette idée ne fonctionne pas. Dans le secteur de la danse, par exemple, un danseur de moins de 35 ans n’a souvent pas encore les outils pour vivre de son art et en faire. Je connais des artistes de la relève qui ont commencé à 40, 45 ans, et qui en sont tout de même à faire leurs premières armes ».

Représentations sociales, motivations des bénéficiaires en arts littéraires

La dernière section du questionnaire est celle qui compte le plus de questions. Celles-ci renvoient aux représentations sociales des bénéficiaires de leur art, de Première Ovation ainsi que du milieu culturel. Elles s’intéressent également à leurs motivations à s’activer dans un domaine qui certes est passionnant, mais qui ne nourrit pas son homme. À certaines questions, les réponses semblent unanimes tandis qu’à d’autres elles sont nettement différentes.

Représentations sociales du milieu culturel à Québec

Les réponses sur les représentations sociales du milieu culturel à Québec sont très variées. En effet, chacun des répondants aborde la question selon son entendement de la notion de « représentations sociales », mais au bout du compte, toutes les réponses sont cohérentes avec la signification sociologique de celle-ci. Marc par exemple parle d’un milieu « hiérarchisé » et fonctionnant au

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« relationnel », tandis qu’André, lui, considère que Québec a très peu d’intérêt pour la littérature ; quant à Julien, il met l’accent sur la taille « modeste » du monde littéraire de la ville de Québec. Trois regards différents, mais qui se rejoignent pour nous donner un aperçu de comment les artistes rencontrés se représentent le domaine de la littérature de la vie culturelle de la Capitale-Nationale, mais également dans la vie globale, tout court, de la ville de Québec. À ce sujet, Marc affirme :

« Un milieu hiérarchisé, structuré autour d’un capital relationnel : l’ami de, la connaissance de, celui qui appartient à tel groupe sera entendu. Le milieu littéraire fonctionne à deux vitesses, celui, universitaire, et celui médiatique. Tous deux sont de plus en plus étroitement reliés ».

André voit les choses sous un autre angle, celui de l’intérêt de la municipalité de Québec pour un certain nombre de domaines au détriment d’autres :

« Globalement, Québec est très animé, je trouve qu’il y a un grand nombre d’artistes bien formés et productifs. J’ai le sentiment que la ville fait bien en matière de théâtre, mais je ne sais pas tout à fait si le public est au rendez-vous. Côté cinéma, on a bien le souhait de s’imposer, mais le milieu reste réduit, malgré la passion de plusieurs. Pour ce qui est de la littérature, je garde le sentiment que le milieu est peu développé. Je n’ai pas le sentiment qu’il y a à Québec un engouement très grand pour la littérature. Politiquement, de toute façon, les messages envoyés par le palier municipal semblent tournés davantage vers le sport et les grands évènements festifs ». Quant à Julien, il considère que la place de la culture, et plus précisément de la littérature, est à l’image et à la taille de la ville, petite et très peu munie en structures de production et de diffusion littéraire :

« Je ne peux parler que de la littérature. J’ai l’impression (mais elle peut être erronée) que le milieu littéraire à Québec est assez proportionnel à la taille de la ville, donc relativement modeste, centré autour de quelques librairies (Pantoute), quelques lieux (maison de la littérature, Studio P) et quelques maisons d’édition (Alto) ».

À la question de savoir si leurs représentations sociales du milieu culturel de Québec ont évolué à la suite de leur expérience de Première Ovation, les réponses sont pratiquement unanimes : « Non ». Nos répondants n’ont pas attendu la mesure Première Ovation pour mettre le pied dans le milieu. Certains avaient même déjà publié un ou deux ouvrages avant de bénéficier du soutien de la mesure. L’exception, qui confirme la règle, nous vient de Richard qui avant l’expérience Première Ovation avait tendance à penser que le milieu littéraire de Québec était « fermé sur lui-même ». Richard : « J’avais, au départ, l’impression d’un milieu plutôt fermé sur lui-même, particulièrement en arts littéraires où les collaborations me semblaient rares. J’ai tout de même adouci ma position après Première Ovation et les expériences qui s’en sont ensuivies ».

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Au-delà des représentations sociales, Première Ovation a eu un effet sur la trajectoire active de la plupart des répondants. Elle a permis à certains d’entre eux de s’ouvrir à de nouveaux réseaux et d’élargir leur champ d’activités. C’est Suzanne et Richard qui témoignent le plus de cet effet.

Suzanne : « Oui, la publication de mon premier recueil, qui avait reçu l’appui de la mesure Première Ovation, m’a permis d’agrandir mon réseau et de rencontrer des personnes formidables qui aujourd’hui encore font partie de mon existence. Ce réseau continue de s’agrandir au fil de mes publications ».

Richard : « La mesure Première Ovation a certainement été un moteur pour moi, une confirmation que j’avais ma place dans le milieu artistique. Quoique j’aie toujours été motivé par l’idée de faire de mon art une profession, je crois que j’avais besoin d’un coup de pouce comme celui-là pour m’affirmer en tant qu’artiste et assumer mon intention d’en faire ma profession ».

Il faut signaler, au passage, bien que ce point ait une place de choix dans l’analyse, que la ville de Québec a beaucoup de mal à retenir les bénéficiaires de la relève sur son sol. Certains de nos répondants, bien qu’ayant bénéficié de Première Ovation, ont choisi, pour des raisons diverses, d’aller exercer leur art ailleurs. Ce qui pose un sérieux problème à la mesure. C’est comme si Première Ovation travaillait en partie pour Montréal et d’autres régions de la province. Richard et Marc, par exemple, sont allés s’installer ailleurs, après avoir bénéficié de la mesure Première Ovation, le premier aux Îles-de-la-Madeleine, le second à Montréal.

Motivations des répondants

Les réponses aux questions de cette sous-section du questionnaire sont presque unanimes. D’une part, le rapport de l’artiste à l’œuvre est le même chez tous les répondants en arts littéraires ; d’autre part, ceux-ci restent tous, pleinement, motivés à continuer d’écrire et de produire des œuvres en arts littéraires. Recevoir un prix, une bourse ou un soutien quelconque, c’est, bien sûr, encourageant, mais nos répondants soutiennent tous que ce n’est pas cela qui les motive. Sabine : « l’œuvre est une nécessité et un plaisir immense. L’impression brute et physique de faire (lors du geste d’écrire, de raconter) ce qu’il faut pour “être”, tout simplement ». Julien : L’œuvre, c’est un plaisir, une nécessité. Tout cela à la fois, je crois ! C’est une nécessité parce que je ne me conçois que comme écrivain et je ne suis pas capable d’abandonner ce pan immense de ma représentation de soi ». Suzanne : « Le rapport à l’œuvre est pour moi une nécessité : j’en ai déjà parlé dans les autres réponses. C’est pour moi un mode d’existence sans lequel je ne serais pas complète. Je ne crois pas qu’un tel rapport s’explique : je ne sais pas si je l’ai développé ou s’il a toujours été en moi. Avant d’écrire, j’ai fait, dès l’enfance, de la peinture, j’ai d’ailleurs un certificat universitaire en arts visuels ; j’ai toujours créé ».

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