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Représentations, motivations des artistes de la relève en théâtre

Chapitre 3 : Présentation de l’enquête de terrain : trois arts si proches et si loin dans leur

3.3. La relève en théâtre

3.3.5. Représentations, motivations des artistes de la relève en théâtre

Tous nos répondants en théâtre considèrent que le milieu du théâtre de Québec est dynamique et en pleine effervescence. D’une manière générale, ce n’est pas les artistes, les projets et les événements qui manquent. Les artistes et autres acteurs du milieu sont au courant de tout, l’information y circule en toute fluidité et les gens sont très impliqués. Seulement, pour que la relève serve à quelque chose, il est nécessaire, selon nos répondants, de soutenir les créations aux différentes phases de leur parcours. Cette dernière considération soulève des questions d’importance que retiendra notamment l’analyse des représentations sociales des répondants, puisqu’elle met en question et la mesure Première Ovation comme programme de soutien à la relève artistique de Québec et la relève elle-

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même dans sa connotation culturelle comme dans sa réalité. Revenons au point en cours. C’est Bruno, Annie et Raphaël qui le plus ont insisté sur le manque de moyens.

Bruno : « C’est très actif, il se passe plein de choses. Mais je dirais que le milieu, notamment le théâtre, est de plus en plus difficile, il y a de moins en moins de sous, de moins en moins de gens qui peuvent perdurer là-dedans. C’est un moment très difficile pour le théâtre ».

Annie : « Je trouve que le milieu est très effervescent, qu’il y a une offre vraiment diversifiée, c’est-à-dire que tout le monde peut trouver son compte. Je trouve le milieu théâtral extrêmement stimulant à Québec, qu’on a des spectacles vraiment très bons. Je trouve qu’on a une qualité artistique à Québec, probablement du fait qu’à Québec on a une formation très axée sur la création. On est la seule école au Québec vraiment axée sur la création, ce qui fait que c’est des créateurs qui sortent des écoles. C’est assez phénoménal à Québec. C’est par projet qu’on fonctionne, mais ici si on n’a pas le soutien financier à la hauteur de notre projet, on ne peut pas le faire. Même les gros noms qui font des tournées de par le monde ont besoin de moyens ». Raphaël : « C’est hyper bouillonnant, c’est en santé, il y a beaucoup d’idées, beaucoup de bons spectacles, énormément de bons artistes. Mais, comme je le disais avant, il n’y a rien de sûr. Même quand t’as le meilleur show, la meilleure pièce, tu n’as jamais de garantie. Ce n’est pas parce que t’as fait une tête d’affiche que tu vas avoir un show l’année suivante. Il n’y a pas de continuité. Il existe une vision à court terme, il n’y a pas une vision à long terme. Moi je veux rester à Québec, mais je ne peux pas rester deux ans sans job. La ville perd ses talents, ça n’a pas de sens ».

Première Ovation a permis à tous nos répondants de se confronter aux réalités du milieu du théâtre à Québec et de déceler ses forces et faiblesses. Par la suite, ceux-ci tentent de rapporter les enseignements de leur expérience à leur propre condition artistique et sociale. À la différence des artistes en arts littéraires et en arts visuels, nos répondants en théâtre affirment tous que leurs représentations sociales du milieu de la culture, du théâtre et des initiatives de soutien qui lui sont destinées ont réellement changé. Première Ovation permet d’entrer dans le milieu et d’achever un projet, mais la suite n’est point garantie. C’est Raphaël qui, mieux que tous les autres, dit le plus clairement l’effet de l’expérience sur ses représentations sociales du théâtre à Québec : « Tu vois comment le système marche et effectivement tu te rends compte qu’à un moment donné, après 10-11 ans (c’est mon cas) ils sont fatigués de se battre. Ils sont fatigués de monter des projets pendant plusieurs mois, puis d’aller travailler ailleurs. Oui, les choses évoluent, mais c’est à cause du dynamisme des acteurs du théâtre et non des programmes d’aide destinés à la culture, notamment au théâtre ».

Pour autant, en dehors de Cynthia, qui, pour des raisons conjugales, se prépare à aller s’installer à Montréal, bon nombre de nos répondants en théâtre aimeraient rester et pratiquer à Québec. Ils aiment tous le théâtre et la création en art dramaturgique, mais, ce qui est paradoxal et handicapant, plein de projets dorment dans les tiroirs parce qu’au moment même où l’artiste est à son apogée en création

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artistique, les aides manquent. Or tous les arts du spectacle, comme le théâtre, ont besoin d’un minimum de soutien financier pour se développer. Aussi Bruno de noter « Courir derrière des petites bourses au moment où l’on a atteint un niveau de création artistique assez élevé ou productif, cela n’est guère motivant ». Subséquemment, cet état de fait qui précarise leur devenir professionnel altère de façon certaine leur désir initial de faire carrière à Québec. À part Rachel, qui se projette entièrement à Québec pour plusieurs années encore, tous nos autres répondants sont pratiquement en « mode mobilité ». La relève c’est bien pour le développement culturel, mais si après il y a peu d’opportunités réelles à Québec, nos répondants n’excluent pas d’aller voir ailleurs.

Rachel : « Pour le moment, pour moi, c’est à Québec que ça se passe. Malgré le ralentissement, le théâtre tient bon. Bien sûr qu’on a toujours besoin d’aide dans un parcours artistique. Du moment qu’on ne l’obtient plus, on arrête, c’est la fin. Je connais très peu d’artistes de ma génération qui arrivent à vivre de leur art. Ils ont un emploi à côté, en ce sens je m’estime chanceuse. Je connais beaucoup de jeunes compagnies qui font avec presque rien. Pour améliorer, je dirais mettez plus d’argent, plus de soutien. Évidemment si les politiques décidaient d’augmenter les budgets, ça aiderait énormément, mais ça prend la volonté. Comme suggestion, je dirais d’augmenter l’âge de la relève, car à 35 ans, un artiste est encore très jeune en termes de production, de création artistique. On n’est pas à la hauteur des artistes établis, et on n’a plus accès nécessairement aux ressources de la relève. Ça devient une espèce de creux difficile à franchir, peut-être un petit pont qui peut venir soutenir ça, ça peut être le fun ».

Cynthia, qui déjà a planifié d’aller s’établir à Montréal : « Il n’y a pas vraiment de troupes de théâtre à Québec, le milieu est trop petit. Je pense qu’en tant qu’artiste de la relève à Québec, on a d’excellentes conditions, je ne vois rien à redire. C’est plus la poursuite d’une carrière artistique après trente ans qui pose problème dans mon cas. Comment ne pas décevoir les espoirs entretenus chez tous ces jeunes artistes alors qu’il n’y a pas assez de travail ? »

Annie : « Pour l’âge fixé à 35 ans, je trouve que ce n’est pas la meilleure façon de faire. Il y a des gens, c’est à 35-40 ans qu’ils viennent de monter leur compagnie, ils n’ont jamais fait de spectacles, donc ils tombent dans un creux où ils ne peuvent pas avoir le soutien de la relève. Aussi, l’ailleurs est souvent une solution. Le défi actuel, je parle pour le théâtre, on est beaucoup plus à sortir des écoles de théâtre qu’avant, mais il n’y a pas plus de places sur le marché. Comme on est beaucoup, ça fait qu’une année on peut avoir beaucoup de soutien et l’année suivante, même si ça a bien fonctionné, ça ne veut pas dire qu’on va travailler, c’est aussi un défi. Pour améliorer, je pense que c’est le développement du public, d’aller chercher les gens puis les intéresser au théâtre. Peut-être ça passe même à partir de l’école primaire et secondaire. Il faut cibler aussi les bons spectacles. Si on n’avait plus de public, si les salles étaient remplies, on pourrait ouvrir d’autres lieux de diffusion, ce qui ferait en sorte que les nouveaux artistes pourraient évoluer ».

À la suite de ce long exercice d’exploration des réponses de nos vingt-deux répondants, nous pouvons identifier deux orientations fortes qui pourraient nous conduire à des pistes pertinentes de réponses à notre question de recherche. La phase analytique à suivre nous en apprendra davantage. Les deux pistes analytiques en question renvoient, d’une part, à l’importance de la mesure Première Ovation comme dispositif de politique culturelle et, d’autre part, à la fragilité de la condition sociale des artistes à Québec malgré le bouillonnement culturel qui prévaut dans cette ville. Nous pouvons ajouter

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une troisième piste, celle de la manière dont les politiques culturelles sont conçues et mises en œuvre, mais cette dernière orientation ouvre plusieurs chemins critiques qui portent des déterminants reposant sur deux angles de vue : celui personnel ou du répondant interrogé dans le cadre de notre recherche, celui collectif ou de la culture en général et des trois secteurs culturels et artistiques en particulier. L’analyse nous permettra d’approfondir tous ces points, mais sans aucune forme d’abstraction. Dans cette dernière étape du présent mémoire, nous garderons en vue les réponses de nos répondants aux différentes questions posées, mais également les questions de recherche ainsi que les hypothèses formulées ayant trait à la construction de la problématique de recherche.

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