• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 : Présentation de l’enquête de terrain : trois arts si proches et si loin dans leur

3.2. La relève 2009-2012 de Première Ovation en arts visuels

3.2.4. Première Ovation et le développement culturel à Québec

Les réponses de nos répondants en arts visuels aux questions de la section consacrée à la mesure Première Ovation et plus largement aux politiques culturelles de la Ville de Québec ont toutes leur pesant propre dans l’éventail des informations recueillies. D’une manière générale, il y a deux ou trois questions dont les réponses vont dans le même sens. Pour tout le reste, chaque répondant y est allé de ses propres analyses et développements. Dans le présent passage consacré au compte-rendu des entretiens de la deuxième section du questionnaire, nous présenterons d’abord les questions qui ont recueilli l’unanimité dans les réponses, ensuite nous nous intéresserons au reste des réponses et aux développements qu’elles pourraient susciter dans la phase analytique.

À la question de savoir comment nos répondants ont connu Première Ovation et qu’est-ce qui a motivé leur candidature, les réponses sont quasi convergentes. D’une part, l’information de l’existence de la mesure ne pouvait point leur échapper, car non seulement ils s’informent tous des événements courants dans leur domaine artistique, mais également ils semblent pour la plupart d’entre eux avoir un réseau de connaissances ou d’amis, très au diapason des nouveautés et opportunités dans le domaine, qui les auraient mis au courant. Entre autres affirmations : Nicole : « J’avais quelques amis autour de moi qui avaient eu accès à cette bourse-là, je savais que c’était accessible, j’avais l’âge pour participer, je me suis dit je tente le coup. Donc, j’ai soumis mon projet et ça a marché ». Christophe : « Je l’ai su par les réseaux sociaux, puis, je dirais que Québec c’est un petit milieu, les artistes se tiennent avec les artistes, ce n’est pas long qu’une bonne nouvelle fasse le tour de tout le monde ». Emmy : « J’ai eu vent de la mesure Première Ovation par le biais du milieu des arts visuels ». Éléonore : « Tout le monde dans le milieu est au courant de la mesure Première Ovation ». Contrairement aux réponses recueillies chez une partie des répondants en arts littéraires et qui déploraient un certain déficit d’information dans le réseau littéraire de Québec, celles en arts visuels nous font comprendre que dans ce dernier secteur l’information circule de manière fluide et que « tout le monde est au courant de tout ».

Il en va de même de la question sur l’importance de la mesure Première Ovation pour assurer la relève culturelle à Québec. En témoignent les affirmations suivantes :

60

Jean-Pierre : « La bourse de Première Ovation a été une super tape dans le dos […]. C’est une mesure qui aide beaucoup dans l’acheminement. Pour son renouvellement, ça dépend de ce qu’on veut comme société. Moi je dirais oui aussi longtemps que l’on considère que la culture et les arts c’est un apport important à la vie en commun ».

Nicole : « La bourse m’a permis de financer le projet, chose que je n’aurais pas pu faire parce que j’ai dû prendre un congé sans solde pour réaliser le projet. Clairement, il n’y a aucun doute là- dessus, l’octroi de la bourse a aidé, je ne serais pas là où je suis aujourd’hui s’il n’y avait pas eu ce moment-là ».

Chloé : « La mesure venait de sortir, je pense que c’était après les fêtes du 400e. Je me suis dit : enfin ! Une vraie mesure pour aider la relève. J’étais contente et fière que ma ville soutienne la culture. Il y avait tellement de coupures en culture partout, et voilà enfin une nouvelle positive. Je me disais que je n’étais pas assez bonne pour postuler, mais j’ai tenté ma chance ».

Éléonore : « Je voulais me démarquer avec cette technique et c’est ce que cette bourse m’a permis de faire. Donc, les retombées jusqu’à aujourd’hui on peut dire que c’est à cause de l’aide de Première Ovation. Avant, ce n’était pas le cas, encore que l’équipement pour cette technique est très cher, je ne pense pas pouvoir acheter ça avec mes propres fonds ».

Les rares bémols émis sur la mesure Première Ovation tournent principalement autour du montant alloué, jugé trop faible, et sur la limite d’âge. La quasi-totalité des répondants en arts visuels soutiennent que le montant doit être relevé, car il ne représente qu’« une petite dépanne pour sauver un peu de temps consacré au projet artistique pour lequel on est choisi dans le cadre de la mesure Première Ovation ». Au-delà du besoin d’augmentation du soutien financier, tous nos répondants plaident haut et fort pour le maintien de Première Ovation, qui est une initiative jugée unique en son genre. Ils estiment tous que les « débutants » et les bénéficiaires, d’une manière générale, en ont besoin parce que c’est plus qu’une simple reconnaissance ou un simple encouragement, c’est une porte ouverte sur une carrière qui peut, au bout du cheminement, générer des revenus conséquents. C’est pourquoi ils sont nombreux parmi les répondants en arts visuels à considérer que l’effet réel de la bourse devrait se mesurer sur le « long terme ».

Nicole : « Moi, je trouve que c’est une aide qui est géniale. Première Ovation c’est une mesure de première ligne en fait, quand on commence, Première Ovation est là comme pour nous donner un coup de pouce, c’est un levier que je considère vraiment important. Dans mon cas, je ne trouve pas son augmentation nécessaire, mais son maintien oui, absolument ».

Chloé : « C’est sûr que s’il y avait plus de sous offerts, personne ne s’en plaindrait. Toutefois, il faut que cette mesure demeure. Je me dis tout le temps, à voir toutes ces coupures dans tous les domaines, il ne faut pas que celle-ci disparaisse. Toute la vitalité de Québec s’y trouve. Les artistes ont tellement besoin de ces petites sommes qui font, au final, une différence énorme sur leurs finances déjà bien minces ».

61

Éléonore a été la plus explicite dans ses propos sur la limite d’âge. Elle juge « navrant » et « dommage » l’exclusion de l’artiste de 35 ans du programme de soutien de Première Ovation, et dire que, fort souvent, dans une carrière artistique c’est un âge d’épanouissement. Éléonore :

« Je trouve ça très bien d’aider la relève, c’est pertinent et important. Toutefois, je trouve cela navrant qu’à 35 ans et plus on tombe en bas. Encore une fois, je dirai que c’est dommage qu’à 35 ans et plus on n’y a plus accès, et dire que c’est à ce moment qu’on s’épanouit comme artiste ». Unanimité aussi autour du bilan de la mesure Première Ovation. L’initiative de soutenir la relève dans une grande diversité de secteurs de création artistique et culturelle a été saluée par l’ensemble des répondants en arts visuels. Personne ne dit que c’est une réussite totale, mais tout le monde refuse de dire que c’est un échec :

Jean-Pierre : « Je ne dirais pas que c’est un échec. Est-ce que c’est en évolution ? Certainement. C’est peut-être un peu tôt pour avoir un portrait définitif ».

Nicole : « Je ne sais pas si c’est atteint, je sais que ça encourage vraiment bien la création artistique. Ce n’est vraiment pas un échec, c’est en évolution très positive ».

Sammy : « Je ne pense pas que ça soit un échec, je ne pense pas que ça soit en évolution, je pense que ça stagne. Tout est faisable avec de l’argent, s’ils veulent arriver à cet objectif il faut mettre beaucoup plus d’argent. C’est sûr qu’on veut contribuer, mais ils pourraient trouver des moyens adaptés pour aider la création artistique ».

Emmy : « Oui, il faut le renouveler, je pense que c’est un outil de rétention du personnel artistique à Québec. Je trouve que c’est essentiel d’avoir de quoi pour la relève qui est quand même assez accessible, car ce n’est pas difficile de faire une demande de bourse et en plus ça te pratique pour en faire d’autres à des niveaux plus professionnels. En tous les cas, ça aide, ça aide à intégrer les artistes dans le milieu ».

Certes la Ville de Québec n’est pas la capitale de la relève parce qu’elle ne peut pas rivaliser avec Montréal, comme le pense Emmy (« Non. C’est à Montréal ou à Toronto que ça se passe. Si on veut effectivement pousser les jeunes artistes, ce n’est pas nécessairement en donnant de l’argent, mais c’est en mettant des conditions comme des ateliers, en faisant du réseautage avec des commissaires, des galeristes, des gens assez importants dans le milieu pour leur assurer une visibilité »). Mais cette dernière est la plus incisive, à l’égard de cette remarque, dans l’ensemble de nos répondants en arts visuels. Tous les autres y croient fermement, mais ils soutiennent encore unanimement que la culture a un prix.

Jean-Pierre : « Un écart entre la vision politique et les moyens mis sur le terrain […] Si on met l’accent très fort dans la culture au quotidien, oui ça fait du sens. Plus on est capable de démontrer que l’investissement en art amène de l’argent dans la ville de Québec plus les gens vont avoir le goût d’en consommer ».

62

Nicole : « C’est sûr que mon a priori c’est oui, parce qu’il y a toute sorte d’événements à Québec qui sont super chouettes : le Carrefour international de théâtre, le Printemps de la poésie, le Festival d’été, ça amène beaucoup de gens, ça fait sortir le monde, il y a des bénéfices attribués à ça ».

Sammy : « Pour bien répondre, il faudrait comparer ces sommes-là aux sommes allouées à d’autres secteurs. S’ils investissent moins, c’est sûr qu’ils vont avoir un moins gros retour. Il faut voir l’argent alloué à la culture comme un investissement à long terme, ce n’est pas comme l’argent alloué à déneiger les rues ».

Emmy : « On sent déjà l’intention de diminuer le budget, mais je dirai que oui, ça contribue. En réalité, ce qui contribue vraiment à l’essor pour faire de la culture un pilier économique c’est les organismes culturels. C’est eux qui soutiennent les artistes, c’est eux qui travaillent en maudit, c’est eux qui organisent les expositions, c’est eux qui ont vraiment besoin d’argent et à qui il faut en donner. Ainsi, ils seront capables de donner de meilleurs cachets aux artistes, de faire des prix relève. Ils travaillent souvent à temps partiel avec de mauvais salaires, mais ils aident à faire tout : à monter des dossiers, à monter des projets et dire que ces organismes sont essoufflés, incapables de renouveler leurs employés, par exemple, par manque de bons budgets, de bonnes conditions de travail ».