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Les représentations sociales des répondants des secteurs de production et des

Chapitre 4 : Analyse et discussion des résultats

4.4. Vers une analyse des représentations sociales des différents répondants en lien avec leur

4.4.2. Les représentations sociales des répondants des secteurs de production et des

Interrogés cette fois-ci sur leurs représentations sociales des secteurs de production et des politiques culturelles subséquentes, les réponses des enquêtés, et ce indifféremment des champs disciplinaires, révèle davantage une convergence d’opinion autour de critiques, voire de reproches, adressés aux décideurs politiques et gestionnaires de la chose culturelle, notamment du volet de l’Entente de développement culturel qui les concerne et dont ils sont bénéficiaires. En effet, de pair avec le lexique de la sociologie qui souligne que « les représentations sociales sont constituées d’idées, de croyances, de jugements, de visions du monde, d’opinions ou encore d’attitudes », les artistes participants à l’enquête jugent que la productivité artistique de Québec est entravée par des résolutions politico- culturelles inappropriées et qui traduisent, de surcroît, « une mésestimation des besoins réels des secteurs de production » (Julien, arts littéraires). À l’analyse de leurs représentations sociales, quand les critiques ne pointent pas du doigt la valse des décisions politico-culturelles en termes de ventilation inadaptée des subventions, elles se tendent vers la question du plafond d’âge ou vers la controverse de la rétention des artistes à Québec. Dans un premier temps, ces critiques mettent l’emphase sur une situation de précarité accrue, puis, enjoignent à changer de paradigme politique, c’est-à-dire changer le regard qu’on porte sur la culture, sur les artistes et sur les secteurs de production. Revenons à présent un à un sur les différents points qui retiennent les critiques des

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répondants, à savoir : les subventions, le critère de l’âge et la rétention des artistes, afin de mieux comprendre cette perception plus critique tout en la soumettant à notre analyse.

Premièrement, la question des subventions. La question des subventions, comme objet de représentation, permet de faire remonter en surface certaines difficultés que confrontent les répondants à ce stade de leur parcours artistique à Québec. Si les artistes rencontrés reconnaissent qu’une enveloppe substantielle est dégagée pour les trois années de l’Entente dont ils sont bénéficiaires, soit que de 2009 à 2012, 37,8 M$ ont été investis par les deux partenaires (Entente de développement culturel – 2009-2012, bilan 2011-2012), ils estiment néanmoins les subventions octroyées insuffisantes, inadaptées, voire « improductives » : « les montants octroyés donnent certainement un bon coup de pouce, mais ne suffisent pas à couvrir tous les frais de production » note Cynthia, artiste en théâtre. De plus, du fait d’une trop grande disparité entre les axes soutenus, la ventilation de cette enveloppe budgétaire paraît à leurs yeux « catastrophique » et préjudiciable aux secteurs de production. L’exploration des bilans de Première Ovation, comme nous l’avons vu précédemment, apporte un certain regard sur la gestion financière de l’Entente de développement culturel, du budget de la mesure à partir duquel sont déterminées justement les subventions des secteurs artistiques et culturels encadrés. À l’analyse, sur l’enveloppe triennale dégagée par les deux partenaires (MCCCF/Ville de Québec), parmi les trois champs artistiques et culturels retenus par l’étude, le secteur du théâtre reste le plus financé sur les trois années de l’entente, mais, conjointement aux autres artistes rencontrés dans le cadre de notre étude, ceux de ce dernier secteur trouvent également fort restrictive la subvention octroyée. Du point de vue analytique, le tableau de présentation des profils des répondants, précisément la colonne autres activités, permet de saisir cette précarité révélée par les représentations sociales des enquêtés. Sur l’ensemble des artistes rencontrés seulement cinq parviennent à vivre de leur art, et ce non sans grande difficulté pour certains, car « [i] l n’y a rien d’acquis, une année ça peut marcher, l’autre pas. Le défi c’est de survivre » (Éléonore, arts visuels). Aussi, malgré l’encadrement reçu, du fait des maigres subventions, force est de constater qu’une inquiétude profonde sur le travail, sur la situation financière ou encore sur la carrière s’étale : 37, 8 millions de dollars, certes, mais le poids négligeable de quelques milliers comme subvention dans une carrière, reste l’objet de la critique maîtresse qui met en lumière du même coup, à l’analyse des représentations sociales des répondants, une situation de grande précarité. Tout en jugeant conséquente l’enveloppe budgétaire allouée pour les trois années de l’Entente 2009-2012, que Québec est vigoureuse culturellement, il paraît, par rapport à cette posture critique adoptée dans la seconde phase de leurs représentations qui dépeignent les subventions, ou mieux leur adéquation avec

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la quotidienneté de leur réalité sociale et culturelle, que la vitalité culturelle de la ville est supportée, très notamment, par des artistes au prix de grands sacrifices.

Deuxièmement, du critère de l’âge. À l’instar d’autres organismes à vocation culturelle, l’admission à Première Ovation est régie par des critères auxquels doit répondre l’intéressé pour bénéficier pleinement du soutien et de l’encadrement offerts. Cependant, si, entre autres caractéristiques, celle géographique (être domicilié à Québec ou à Wendake) s’explique et ne fait pas débat chez les répondants, parallèlement, ils se représentent le critère de l’âge, notamment l’âge maximal de 35 ans que requiert la candidature au programme d’aide de Première Ovation, comme une mesure nettement déconnectée de la réalité des secteurs de production artistique et culturelle, du parcours artistique tout court. Car, les métiers artistiques, aux dires des répondants, ayant des réalités qui diffèrent considérablement d’avec d’autres activités professionnelles, dont le fait, entre autres exemples, qu’on y prend son essor souvent plus tard, par conséquent, il serait, de leur point de vue, nécessaire de reconsidérer la modalité quant à l’âge maximal fixé à 35 ans pour jouir de l’appui de la mesure. Vivre pleinement de son art, estiment-ils, c’est-à-dire être autonome financièrement, ne plus recourir aux subventions pour la matérialisation des projets personnels ou collectifs est tributaire d’une maturité artistique acquise par l’expérience qui s’échelonne sur des années de pratique, ce qui n’est pas le cas à 35 ans pour plusieurs disciplines artistiques dont la carrière débute parfois tard notamment avec des études plus poussées :

Richard (arts littéraires) : « J’ai toujours un malaise avec l’expression “relève artistique”, parce que généralement, ce qu’on entend par relève, ce sont des artistes de 35 ans et moins. Il y a des domaines où cette idée ne fonctionne pas. Dans le secteur de la danse, par exemple, un danseur de moins de 35 ans n’a souvent pas encore les outils pour vivre de son art et en faire. Je connais des artistes de la relève qui ont commencé à 40, 45 ans, et qui en sont tout de même à faire leurs premières armes ».

Selon les enquêtés toujours, tenant compte des critères plus exigeants pour l’obtention de bourses de plus grande envergure (montant, échelon provincial, fédéral ou international, etc.) offertes par d’autres institutions, l’artiste de 35 ans, fort souvent, ne satisfait pas encore pleinement aux exigences de celles-ci, puisque pour bon nombre d’artistes de Québec, comme le souligne Annie, artiste en théâtre, « c’est à 35-40 ans qu’ils viennent de monter leur compagnie, ils n’ont jamais fait de spectacles, donc ils tombent dans un creux où ils ne peuvent pas avoir le soutien de la relève ».

Le monde artistique offrant en effet un parcours atypique en regard de la régularité d’autres itinéraires professionnels, à l’analyse des représentations sociales des répondants, l’âge plafond de 35 ans pour bénéficier de la mesure semble incarner non seulement le reflet fidèle du décalage entre certaines

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décisions politico-culturelles et la réalité inhérente aux secteurs de production, mais constitue également une véritable épine aux pieds de la relève artistique de Québec, « un creux difficile à franchir ». Car, non autonome financièrement et trop âgé pour cette aide qui procure une certaine sérénité dans la pratique, l’artiste est astreint à toute sorte de louvoiements pour satisfaire ses besoins personnels, situation qui engendre un double déséquilibre : déficit de la productivité artistique, donc une certaine entrave au cheminement et à la progression personnelle de l’artiste. Tenant compte, toujours à l’analyse des bilans annuels de Première Ovation, que la mesure a soutenu 1507 artistes en 2010, soit 55 % des demandes, 1673 en 2011, soit 66 % des demandes et 1565 en 2012, soit 50 % des demandes, le regard étant éminemment pluriel, est-ce la résultante d’une démographie galopante de la relève artistique et culturelle de Québec qui pourrait expliquer certains critères d’admission ? Est- ce la carence de structures culturelles gouvernementales urbaines pour prendre le relais de Première Ovation dans l’encadrement et le soutien de ces jeunes artistes plus éligibles à la mesure, mais dépendant encore d’appui financier ou professionnel pour la poursuite de la carrière ? Bref, quel que soit le questionnement exprimé pour saisir ce phénomène (l’âge limite et ses retombées), de ces représentations sociales nuancées des répondants qui, à côté d’un assentiment sur le bouillonnement culturel de Québec, désapprouvent certaines résolutions politiques qui codifient le milieu, il semble aussi s’extérioriser la quête d’une meilleure appréhension des secteurs de production et des conditions d’évolution des artistes de la relève, eux-mêmes acteurs de ce dynamisme.

Troisièmement, la rétention des artistes. Pour les enquêtés, le problème de la rétention des artistes à Québec s’enracine profondément dans une incertitude sur le parcours professionnel avec pour effet pervers la propension au départ et, au final, l’exode vers de meilleures opportunités de carrière. En vertu de leurs représentations sociales, les répondants estiment que ce problème de départ est tributaire non seulement des faiblesses de vue et de planification, mais ils remettent également en question la mesure dans l’un de ses objectifs fondamentaux : faire de Québec la capitale de la relève artistique au pays. Car comment y parvenir, se questionnent-ils, si après l’encadrement, ni suivi, ni investissement ne sont assurés pour justement conforter cette relève : « Les discours, c’est bien, mais la réalité de la culture demande des investissements », « Déjà, à 9 millions d’écart entre les deux renouvellements, ça va avoir un impact. S’ils veulent faire de la culture un pilier économique, il faut plus d’investissement », notent respectivement Raphaël et Patrick, artistes en théâtre.

Par ailleurs, selon bon nombre d’artistes rencontrés dans le cadre de l’étude, le déséquilibre entre les résolutions politico-culturelles et les besoins réels de création, dû à la mauvaise appréhension des secteurs culturels, entraînant son lot de corollaires (précarité, départ, etc.), vient tout autant

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contrecarrer leurs motivations premières de faire carrière à Québec. Christophe (arts visuels) par exemple, après son passage à Première Ovation, s’est tout de même exilé à Montréal qui « offre plus d’opportunités », car pour lui, Montréal est un terreau plus fertile pour l’évolution des artistes en arts visuels. Cynthia, quoique détentrice d’un diplôme en art dramatique spécialisé en jeu, a dû décrocher un second diplôme en traduction pour assurer ses revenus personnels, mais, passionnée par son art et « réaliste », elle va partir incessamment pour Montréal en quête de plus d’opportunités de carrière. Quant à Marc (arts littéraires), s’il est à Montréal pour poursuivre ses études, on déduit quand même dans ses propos ce besoin d’émancipation qui a conduit à l’exil, car, même s’il estime qu’à Québec existe une « vie communautaire assez forte, en littérature, on se sent plutôt isolés, en regard de Montréal ». De plus, même chez plusieurs qui ont fait le choix de vivre et de pratiquer à Québec, l’appel de l’ailleurs n’est tout de même pas insignifiant. Car faut-il comprendre que les artistes rencontrés sont préoccupés par le défi de la longévité, de la poursuite de la carrière à Québec et, ce problème de rétention des artistes semble être étroitement lié à cette incertitude permanente, notamment au sortir de Première Ovation. En effet, dans les trois secteurs considérés, l’après-relève reste un sujet d’inquiétude constante pour la majorité des enquêtés : « Parce qu’un coup qu’on a eu Première Ovation, on se retrouve souvent avec rien. Du fait, c’est bien bizarre et la ville en ce moment se vide de ses créateurs » (Raphaël, théâtre).

Les réponses sur les représentations sociales des répondants des questions 14, 15, 16 du questionnaire d’enquête, à l’angle de cette approche critique, permettent également un second niveau d’analyse où sont mis en avant des faits sous-jacents de la réalité artistique des répondants, évidences souvent occultées par l’effervescence du milieu de l’art de Québec. En effet, le bouillonnement culturel de Québec témoigne, certes, d’une productivité substantielle, mais cette effervescence reste pourtant asymptomatique des circonstances de cette productivité, c’est-à-dire qu’elle masque la situation socioéconomique et socioprofessionnelle souvent précaire de nombreux artistes qui y contribuent. Contrairement au milieu culturel de Québec, quand l’objet de représentation tient compte des secteurs de production, alors, fusent de toute part des mercuriales indicatrices autant de l’insatisfaction que de l’incertitude dans lesquelles évoluent la plupart de nos répondants.

Il appert alors, en dépit de l’encadrement formateur des jeunes de la relève et, a contrario, de ce besoin de départ très marqué chez bon nombre d’entre eux, que la ville de Québec, culturellement, semble représenter davantage une manne ou une mère nourricière pour d’autres milieux artistiques. D’une part, aucun des secteurs considérés n’est épargné de cette recherche de meilleures opportunités de carrière, principalement à Montréal, par le biais de l’exil. D’autre part, en dépit de la vitalité culturelle

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de Québec, comme le jugent les enquêtés, il paraît compliqué d’offrir un climat rassuré, propice à l’évolution de ses jeunes artistes pour, à dessein, les retenir. Prendre des mesures, parvenir à des résolutions est une démarche de réglementation légitime, mais quand ces dernières ou certaines d’entre elles, au lieu d’être d’accompagnement ou d’encadrement, deviennent inappropriées et handicapantes du fait de leur pouvoir de coercition, le sociologiquement fondé de la démarche est sujet de questionnements.

Nous allons, comme annoncé au prélude du segment des représentations sociales, finir notre raisonnement par une synthèse analytique, mais en gardant en vue nos questions et nos hypothèses de recherche.

4.5. SYNTHÈSE ET DISCUSSION DES RÉSULTATS : DU RÔLE DE LA MESURE