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Synthèse de mon analyse : renverser la vapeur

6. ANALYSE DE L’ENSEMBLE DU RÉCIT

6.5 Synthèse de mon analyse : renverser la vapeur

Je suis née. Je vis encore. Entre le moment de ma naissance et aujourd’hui, je suis devenue résiliente. C’est la construction de cette résilience qui est l’objet de ce mémoire réalisé à travers une démarche autobiographique.

Toute synthèse se doit d’être succincte, alors dès maintenant, je tiens à rappeler combien le phénomène de la résilience est complexe. Depuis déjà plusieurs années, ce phénomène fait l'objet de nombreuses recherches. Malgré cela, la résilience n'est pas encore bien définie et ses contours sont encore flous. Tout reste à découvrir en matière de résilience. Cette notion est constamment remise en question, jugée, critiquée, mise au déchet puis récupérée, et quoi encore? Nombreux sont ceux et celles qui doutent de l'existence même de ce phénomène. Pour moi, l’existence de la résilience ne fait aucun doute. Cette synthèse de mon mémoire est finalement une synthèse de ma vie à partir de l’analyse du phénomène qu'est la résilience. J'aurais pu dans cette analyse choisir un tout autre objet de recherche tant mon récit comporte une diversité de thématiques. Si mon choix s'est arrêté sur la résilience, c’est que ce phénomène m'interpelle particulièrement. Je cherche à comprendre comment je me suis sortie d'une série de traumatismes, quels ont été les mécanismes que j'ai mis en place pour y arriver.

Voici ma définition du processus de la résilience: toute personne qui, suite à un trauma, réussit à poursuivre son développement psychique, peut être considérée comme étant inscrite dans un processus de résilience. Faire face à sa réalité, à sa vérité, est se développer. La résilience signifie que la personne est encore bien vivante et présente au monde. L'analyse de mon récit témoigne du fait que j'ai pu poursuivre mon développement, mais bien évidemment seulement à certaines conditions.

Que révèle l'ensemble de mon récit? Premièrement, que je n'étais absolument pas résiliente lorsque j'étais enfant, adolescente ou jeune adulte, tant j'étais submergée au plan affectif. J'ai été plus ou moins effondrée psychiquement pendant toutes ces périodes et j'ai eu de graves problèmes de santé mentale et des troubles d'apprentissages.

Différentes étapes de mon développement affectif et social ont été plus ou moins arrêtées ou sont restées stagnantes. L’effet a en été que les étapes de développement subséquentes n’ont pu se poursuivre « normalement », les étapes antérieures n’ayant pas été finalisées. Deuxièmement, je suis entrée dans un parcours de résilience suite au décès de mon « chum » à l'âge de vingt et un ans. Je parle de cet événement comme séparant ma vie en « avant » et « après ». Le suicide a donné lieu à une cassure chez moi. J'affirme que cet événement a été un tel choc pour moi que cela a fracassé la coquille dans laquelle je me trouvais.

L'analyse de mon récit démontre très clairement à quel point les premiers mois de ma vie ont été des événements traumatiques. Il y a bien eu quelques personnes qui ont pris soin de moi mais la relation était précaire et instable. Je n'ai pu construire de lien d'attachement suffisamment sécurisant malgré les quelques bonnes personnes qui étaient dans mon environnement. Le précieux lien d'attachement dont Louise Noël fait mention dans sa définition de l'attachement n'a pu être établi tôt dans ma vie. La principale thématique de mon début de vie, c’est les enjeux existentiels. La perte de ma mère en terme de non-présence affective et les quelques placements (chez la nourrice et hospitalisations) ont été traumatisants pour moi. Mon premier trauma se situe dans le fait de ne pas avoir eu une mère disponible au plan affectif pour moi. Cela a eu des conséquences sur le reste de ma vie dont j'ai déjà fait mention dans mon analyse.

Cyrulnik mentionne que l'enveloppement corporel maternel composé du tricot affectif, sensitif, social et comportemental de la mère sert de matrice au nourrisson. Ma mère n'a pas été « contenante » avec moi. Son corps n'a pas été un contenant rassurant. Arriver dans ce vaste monde et ne pas avoir la possibilité d'être enveloppée physiquement avec tendresse a été déroutant pour le nourrisson que j'ai été. Je me suis sentie dans un vide insoutenable au plan existentiel. Cela a été très traumatisant, car j'étais dans une position de grande vulnérabilité et de dépendance. Donc, mon attachement précaire à ma mère donné lieu à des sensations corporelles de non attachement au monde. Les troubles psychotiques que j'ai vécus pendant une certaine période de mon enfance masquaient une extrême détresse.

Paradoxalement, il a fallu un deuxième événement traumatique de forte intensité pour me sortir d'une sensation léthargique que je vivais depuis ma naissance, pour qu'enfin je me sente vivre. Je fais mention dans mon récit de l'expérience vécue à l'été 2007 au petit cinoche de Belle-Île en mer en Bretagne, lors du visionnement d’une scène

du film s'intitulant Le scaphandre et le papillon qui relate la vie de Dominique Bauby (lignes 712-722 de mon récit). Je me suis mise à pleurer à la vue de Bauby isolé du monde dans son scaphandre. Cette vision correspondait à mon expérience sensorielle jusqu'au suicide de mon « chum ». Ma capacité de présence au monde était fortement altérée, je me sentais comme dans les limbes. Chose étrange, c'est par la mort que j'ai trouvé la vie. Il s'agit donc de ma deuxième entrée dans ce monde puisque la première a été ma naissance. Cette deuxième vie a été l'occasion d'explorer mon univers. C'est à partir de là que j'ai commencé à vivre des expériences plus positives.

Cyrulnik a principalement abordé le phénomène de la résilience sous l'angle de la biologie de l'attachement. De différentes manières, il a fait la preuve d'une relation très étroite entre le corps et l'esprit. Par le biais de l'imagerie cérébrale, il démontre scientifiquement toute l'importance de l'attachement, soit-il plus ou moins réussi, dans la suite du développement du nourrisson vers l'âge adulte. Pour Schore, et d'ailleurs pour Cyrulnik aussi, la résilience est la possibilité de s'attacher à une autre personne. Cependant, il a surtout abordé la question de l'attachement dans le cadre de la relation thérapeutique. Il a davantage élaboré la notion de la régulation des affects de cerveau droit à cerveau droit et celle du processus d'empathie (comme l’a aussi fait Cyrulnik). Je ne dis pas dans mon récit que j'ai été affectée biologiquement à cause des difficultés d'attachement et des autres traumatismes vécus dans ma famille, mais j'ai été gravement affectée à divers niveaux (santé mentale, troubles d'apprentissages, etc.). Je ne peux qu'être d'accord avec le fait que les interactions avec le monde extérieur ont des effets sur le développement du cerveau.

Je veux élaborer un peu plus à propos de la dernière section de mon récit, soit le point 6.4.9 qui se nomme « Remaniement de mon histoire. Mon enracinement ». Cela, parce que je constate que c'est durant cette période actuelle de ma vie que je suis le plus fortement et consciemment inscrite dans un processus de résilience. Je décris avec plus de précision le processus thérapeutique dans lequel je suis inscrite qui en est un de résilience en grande partie.

Ma thérapie a débuté en 2003. J’étais une adulte en mesure de me comprendre et de comprendre le monde. Cependant, j'ai voulu consulter à cause d'un symptôme que je vivais en présence de mon conjoint, mais aussi parce que je me sentais encore tenaillée par les stigmates nocifs de mon enfance.

De cette section de mon analyse, il ressort les thématiques suivantes: la notion de trauma, d'induction, d'effondrement psychique, d'attachement et de relation thérapeutique. La notion d'induction est importante. Toute petite et depuis toujours, j'ai senti qu'un jour j'allais m'en sortir. Enfant, je demandais à l'univers de m'aider à m'en sortir. La vie a mis sur mon chemin des personnes capables d'empathie envers moi et capables de me reconnaître. La spiritualité est une dimension très importante dans ma vie qui me soutient depuis toujours.

C'est par le bais de ma relation avec Louise (ma thérapeute) que j'ai pu reprendre certaines mailles de mon tricot d'attachement afin de poursuivre mon développement. Depuis 2003, il y a eu une série d'événements difficiles déjà énumérés dans l'analyse de mon récit. Bien que ces événements m'aient affectée fortement, je me sentais bien accompagnée par Louise. Ces événements ont été des occasions qui ont éveillé bien des mémoires corporelles et affectives que j'ai parfois accueillies et à d'autres moments plus ou moins rejetées tant j'avais peur. Puisque mon premier trauma a été vécu lorsque j'étais nourrisson, il a « fallu » que je retourne sur les « lieux du crime », pour assimiler ce trauma et l'évacuer. Cela peut paraître simple mais cet « exercice » a demandé des mois de travail avec Louise tellement j'avais peur d'entrer en résonance avec le nourrisson que j'avais été. Ce contact avec cette partie de mon histoire a fait en sorte que je me suis quelque peu effondrée psychiquement à l'hiver 2007 (quelques semaines). Par contre, c’est cela qui m’a permis d’accueillir le nourrisson que j'ai été et d’en prendre grand soin. J'ai été rejetée par ma mère, je me suis rejetée, mais je ne me rejette plus aujourd'hui. Ce n'est qu'en faisant face à ma réalité que j'ai pu me sentir plus libre d'être ce que je suis.

J'ai pu faire face à mes démons, car je me sentais en sécurité avec Louise et je la sentais réellement intéressée à ce que je vivais. Sa qualité de présence et son empathie ont certes aidé à ce que je m'ouvre. Malgré les événements si difficiles depuis 2003, et sans doute paradoxalement, cette période-ci de ma vie est très « vivante ».

J’’observe à travers mes nombreuses relectures de ce mémoire un thème qui revient sans que je le nomme comme tel : tout le long de mon récit, lorsque je parle des traumatismes que j’ai vécus, des traitements malsains que l’on m’a infligés, presque toujours je fais suivre ce morceau d’histoire triste d’un morceau d’histoire heureuse ou soutenante. J’alterne de manière abrupte entre des événements d’une extrême violence et des événements riches et réconfortants. Cette alternance n’est pas le fruit d’un hasard d’écriture. Cette façon d’écrire révèle-t-elle un mécanisme qui m’aurait aidée à survivre, à

développer ma résilience? J’émets l’hypothèse que ces passages rapides ont possiblement une fonction modulatrice au plan affectif. Puisque mon milieu ne pouvait moduler mes états d’âme, il semble que je me sois instinctivement tournée vers les éléments de la nature pour remplir cette fonction. Schore mentionne que la mère a une fonction modulatrice au plan des affects. Or, peut-être que la puissance de la nature ou encore le seul fait de se régaler de la beauté des lieux peut aussi moduler l’affect? Pourquoi pas? Un trop-plein de violence peut certes être apaisé par une odeur de pain enveloppante. Toute petite, je marchais dans les rues, saluant les gens au passage, donnant et cueillant des sourires. Où allais-je chercher mon espoir? C’est comme si un moment de désespoir suscitait en moi une montée d’espoir. Quel paradoxe! Cyrulnik mentionne que le bonheur ne peut être vécu sans l'expérience du malheur. Quel paradoxe là encore! L'ombre et la lumière se suivent tout au long de mon parcours de vie. Peut-être est-ce le fait d'avoir vécu tant de situations difficiles qui me rend si vivante? La résilience a encore bien des mystères.