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3. THÉORIE DE LA RÉSILIENCE

3.7 Et en guise de conclusion

Qu'est-ce que je retiens le plus suite à mes lectures sur la résilience et à quoi est- ce que je tiens le plus? J'en conclus que la dimension relationnelle est le moteur principal dans la construction de la résilience et « curieusement », cet aspect est ce à quoi je tiens le plus au monde et ce, du plus loin que je puisse me rappeler. Ainsi, il semble bien que nous soyons dans le vif du sujet. Pour écrire ma conclusion, je décide à l'instant de me laisser porter par un élan intérieur qui m'habite avec force. Je veux ainsi offrir au lecteur ma manière (une parmi tant d'autres…) d'appréhender le monde dont le point de départ, sans l'ombre d'un doute, prend généralement appui sur ce que je ressens et perçois.

Peut-être, est-ce en partie pour cette raison que je suis résiliente, soit le fait de reconnaître ce que je sens et ainsi, utiliser cette ressource pour m'orienter dans la vie et intégrer mes expériences de manière tout à fait concrète dont dans ce cas-ci, les apports théoriques que je me suis appropriée.

Depuis toujours, je constate que l'intégration de la matière théorique exige, et le terme n'est certes pas trop fort, que je passe généralement par le chemin de l'affect qu'est le cerveau droit, qui lui s'établit dans la relation, dans l'intersubjectivité pour qu'en parallèle, je puisse, entre autre, m'approprier des savoirs. Par conséquent, la démarche autobiographique prend tout son sens car elle considère que la production de connaissances élaborée par le sujet-acteur a de la valeur dans une optique de recherche. Que la connaissance circule à flot!

Ainsi, tous les auteurs sur la théorie de la résilience auxquels je me suis référée font consensus pour dire que la dimension relationnelle est capitale dans la construction de la résilience. J'adhère à cela avec vigueur et je suis tout autant portée à croire que malgré la mise en place d'une panoplie de facteurs dits de protection, s'il n'y a pas dans l'entourage de la personne une relation là où elle peut bénéficier d'un apport empathique tel que décrit par Cyrulnik, il est probable que l'édification d'un processus de résilience, du moins à ce moment-là de sa vie, soit chaotique. Je demeure toutefois prudente avec cette affirmation car je crois qu'il arrive aussi que l'empathie soit présente mais, pour toutes sortes de raisons, la personne n'arrive pas à prendre ou « métaboliser » ce qu'elle pourrait recevoir. La résilience n'est pas simple et ceci, d'autant plus qu'il reste énormément à comprendre, à découvrir en matière de résilience. De plus, parce que l'évolution d'un processus d'attachement se construit tout doucement, par une série de petits gestes dans un apprivoisement mutuel intersubjectif, il est à mon avis d'autant plus long à établir lorsqu'une personne n'a pu élaborer ce type de lien dès la tendre enfance. Ma recherche démontre le fait que nous avons besoin des êtres humains pour nous construire et nous re-construire. Cela, d'autant plus lors d'un trauma. La résilience ne se construit pas seule.

Une image vaut mille mots, dit-on; en voilà une qui me vient au moment où j'écris ces lignes: je m'imagine ces personnes qui n'ont pu co-naître (connaître) la grâce de ce qu'est l'attachement dans leur prime enfance. Je les vois tels des acrobates se promener dans la vie comme sur un fil et sans filet de sécurité (sans base de sécurité solide et sécurisant au plan de l'attachement), sans attache aucune pour les « attraper » au cas où elles tomberaient. Le filet que je mets en parallèle avec la relation d'attachement est dans

un tel cas à « tricoter » avec l'autre, à construire ou re-construire, en revisitant si nécessaire et « finalisant » au mieux les différentes étapes de développement jusque là inachevées. Cela dans une optique que la personne construise suffisamment de sécurité interne pour poursuivre son développement, être résiliente, et faire face à la vie. Et s'il fallait parfois devoir s'effondrer pour reprendre le développement, là où il a été arrêté? Lorsque j'ai aperçu le titre de l'ouvrage d'Hanus, soit La résilience à quel prix?, j'ai été attirée car je soupçonnais qu'il allait aborder la question des effondrements psychiques. La remise en question de la résilience lors d'un effondrement psychique tardif m'interpelle particulièrement. Pourquoi remettre en question la résilience à ce moment? Pourquoi penser que la personne qui s'effondre sur le tard vivait une pseudo-résilience, que nécessairement cette dernière ne répondait qu'à des standards sociaux esthétisants comme le dit Tisseron, qu'elle « faisait semblant » d'être bien? Pourtant, bien des gens peuvent s'effondrer psychiquement à un moment ou l'autre de leur vie. À ma connaissance, leur bien-être antérieur n'apparaît pas remis en question. Pourquoi est-ce autrement dans la question de la résilience? Voilà bien des questions auxquelles j'aimerais pouvoir répondre un jour.

Ainsi, Hanus, Szerman et Tisseron ont longuement réfléchi au sujet de la résilience et de la question des effondrements. Tisseron et Hanus surtout, se questionnent en partie sur la validité du phénomène. Le débat en cours au sujet de la résilience se situe bel et bien au sein de cette question. La résilience existe t-elle réellement ou est-ce de la « poudre aux yeux »? Notamment, leurs questionnements semblent provenir du fait que certaines personnes ayant vécu des traumatismes et apparaissant s'en sortir, s'effondrent tardivement. Alors pourquoi? Cette question a été en bonne partie au cœur de ma recherche. D'ailleurs, j'élaborerai davantage au sujet de cette question dans la section analyse de mon récit.

Néanmoins, Schore et Cyrulnik sont les deux auteurs qui m'ont principalement éclairée au sujet de la résilience. Leur réponse est circulaire et fait appel à une série de processus forts complexes prenant ancrage dans la théorie de l'attachement et surtout, le développement de cette notion dans un lien intersubjectif mère-nourrisson. Ces auteurs retracent millimètre par millimètre, le chemin parcouru à partir d'un point de vue tant biologique qu'affectif dans la création d'une relation. Ce lien qui se crée dans l'intersubjectivité et dans un ordre quasi-séquentiel au fil du temps module le cerveau du petit. Selon la qualité du lien, le petit apprendra à se tourner vers le monde avec confiance ou se retirera plus ou moins de ce dernier de différentes manières. Je ne répèterai pas ici

ce en quoi un attachement de type sécurisant ou non peut compromettre le développement de l'affect du cerveau, mais il n'en demeure pas moins que je suis en accord avec les auteurs pour dire que le type de base d'attachement que l'enfant a développé apparaît être en lien direct avec sa réponse lors d'un trauma.

Je me permets d'utiliser une expression typiquement québécoise, soit le fait de ne pas « mettre la charrue devant les bœufs » pour décrire l'idée que l'attachement est en quelque sorte, la prémisse de la relation à soi, à l'autre et au monde. Il me semble que les « défauts d'assemblages » dans l'attachement peuvent plus ou moins créer du vide. D'ailleurs, les personnes ayant un trouble de personnalité limite, qui présentent donc un trouble grave de l'attachement, se plaignent fréquemment de ce vide. Ainsi, la mère ou la personne qui prend soin du nourrisson est idéalement celle qui doit initier le lien. Cela est très important car c'est par le biais de cette initiation que le petit apprend à son tour à s'attacher comme le dit si bien Louise Noël (2003). Or, la notion intergénérationnelle abordée chez la plupart des auteurs prend tout son sens car il s'agit là, en quelque sorte, de « l'apprentissage » de l'attachement.

Dès lors, le désir de la mère puis le désir de la mère de la mère… (et nous pourrions poursuivre ainsi sur les générations antérieures) est porteur ou « lâcheur » d'attachement. D'ailleurs, Cyrulnik aborde cela sous l'aspect des traces mnésiques entre autres, les « lieux » d'enracinement de la mémoire qui nous rappelle sans cesse notre histoire, qui nous ramène à elle et ce, pour le meilleur et pour le pire. Nous voyons bien à quel point l'attachement est une dimension qui prend racine dans les générations antérieures en répétant parfois et malgré elle, des patrons d'attachements porteurs de sens et parfois plus ou moins « toxiques » pour l'enfant. Il me semble que la relation retrouve ses lettres de noblesse. Les jalons de la résilience sont décidément « tricotés » très finement si je peux m'exprimer ainsi. Je dis très finement car il s'agit là d'un processus qui m'apparaît microscopique, difficile à cerner.

Alors, puisque la notion d'attachement est au cœur de la résilience, comment une personne peut-elle espérer s'en sortir lorsqu'elle n'a pas eu cette base de sécurité affective? Schore répond en bonne partie à cette question en faisant appel à la notion de régulation affective. Bien que cette notion fasse beaucoup de sens pour moi, il me semble qu'il reste encore beaucoup à découvrir de cette matière. Enfin, le biais relationnel dans la relation thérapeutique est particulièrement étudié chez l'auteur. La notion d'intersubjectivité entre l'aidé et l'aidant, la communication entre cerveaux droits est une

dimension porteuse d'espoir sans toutefois être magique. Bien sûr, il s'agit là du processus d'empathie. Tout comme l'attachement dont « l'apprentissage » prend sa base dans un lien avec la mère ou toute autre personne significative, il en est de même pour l'empathie. Dans son lien à l'autre, la thérapeute doit nécessairement avoir pu établir ce type de processus pour être en mesure de le communiquer à la cliente.

C'est pourquoi j'affirme qu'il est essentiel lorsque nous pratiquons dans un contexte de relation d'aide et surtout, dans un contexte thérapeutique en santé mentale, d'être en mesure de se développer, se donner les moyens pour y arriver, tant au plan affectif que d'un point de vue théorique. Sans doute, l'aspect du développement affectif est selon moi la pierre angulaire sans quoi nous risquons d'être plus ou moins « mécaniques » dans nos interventions. Il me semble que tant Schore que Cyrulnik affirment cet état de la situation. Par ailleurs, je me permets d'avancer l'hypothèse que le cerveau droit qu'est l'inconscient, dépiste si l'on y prête attention, les « intrus » qui pourraient être tentés de s'introduire dans la relation dans une optique de contrôle. Et j'ajoute, gare aux pervers qui se veulent à tout prix être des « tuteurs de résilience » car la relation en contexte de résilience n'est certes pas banale, selon mon point de vue.

Enfin, comme le dit Cyrulnik, la résilience est effectivement neuronale, mais son assise principale est la capacité d’attachement. Les concepts dont fait mention Cyrulnik rejoignent à tout point de vue, me semble t-il, ceux de Schore. Ainsi, lorsque que Cyrulnik affirme que la « formule du bonheur » est composée de « dosages neurobiologiques » rythmés entre le manque et la satisfaction, il me semble faire référence à la « régulation affective » dont Schore fait mention. Cyrulnik mentionne explicitement, comme Schore, que la psychothérapie a un impact sur le cerveau.

J’ai annoncé au début dans cette section s'intitulant LA THÉORIE DE LA RÉSILIENCE que les nombreuses théories sur ce sujet suscitent de nouvelles questions. Elles ont également suscité chez moi quelques réflexions que je partage ici. Ainsi, la découverte des fondements neurologiques de la biologie de l'attachement m’interpelle particulièrement. La réparation du lien d'attachement en contexte thérapeutique, surtout lorsqu'il y a eu trauma précocement, m'apparaît tout à fait possible et j’y trouve beaucoup de sens. Il s'agit là bien sûr de la rencontre dans un lien intersubjectif ayant un potentiel réparateur au niveau des dysrégulations des affects. La nature de la rencontre est expliquée, du moins en partie, par le biais de l'empathie dont les empreintes, comme le dit

Cyrulnik, se trouvent inscrites dans la mémoire inconsciente, soit le roc biologique, la mémoire corporelle.

C'est donc à partir de cette mémoire dont l’assise se situe dans l’hémisphère droit que le travail de réparation du lien s'établit. Je ne peux qu'être en accord avec ces données scientifiques. Une autre réflexion concerne la banalisation que l’on fait parfois du concept de la résilience, comme si toute réaction à une épreuve est résilience. Cette banalisation du concept cache l’envers de la médaille de la résilience, soit l’énorme souffrance et énergie déployées seulement à « sortir la tête de l'eau ». De mon point de vue, la résilience prend racine dans le trauma et se sortir du trauma est une question de vie ou de mort : ce n’est pas chose banale, ordinaire!

Et enfin, je continue de me questionner sur la nature de la perversion. Les pervers sont-ils simplement des êtres monstrueux ou s’agirait-il de personnes ayant vécu des traumatismes et n’ayant pas obtenu le soutien de la rencontre et s’en être trouvées modifiées? La perversion pourrait-elle être vue comme un mécanisme de défense ou comme étant une réaction en miroir aux attentes d’une société en mal de positivisme? Il va sans dire que selon mon point de vue, une relation « fonctionnelle » n'est certes pas un élément qui de prime abord, me fait dire qu'une relation véritable est établie entre deux personnes. Pour moi, la relation va bien au-delà de la « fonctionnalité » et là, je rejoins en partie l'idée de Tisseron dans sa critique de la résilience qui par ailleurs, nous dit bien que le pouls de la résilience s'établit d'abord et avant tout dans la sphère du privé.