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3. THÉORIE DE LA RÉSILIENCE

3.3 La biologie de l’attachement

3.3.2 Rencontre et processus empathique

La rencontre devient ainsi un aspect primordial à la construction de la résilience. Il s'agit ici d'une rencontre significative qui fait du sens pour l'une et/ou l'autre personne. La rencontre est l'établissement d'une relation (re-lier), d'un lien. Voici très succinctement comment Stern (1989) semble comprendre la notion de relation qu'il transpose toutefois dans son ouvrage, à la notion de lien:

Il est devenu évident que ce caractère du lien interpersonnel – c’est-à-dire l’attachement – allait bien au-delà du lien initial mère/nourrisson et se développait tout au long de l’enfance, s’appliquant aussi bien aux pairs qu’à la mère. En fait, cela dure toute la vie. (Stern, 1989; 239).

Pour Stern, la relation est un « lien interpersonnel » dont l'édification est l'attachement. Puisque la relation est intimement liée à la notion d’empathie, il importe de définir cette dernière notion. Les éléments participants à la construction d’un processus d’empathie et ceux qui interfèrent ou empêchent l’établissement d’une telle dimension, seront abordés. La notion d’attachement prend de nouveau le devant de la scène dans la compréhension, voire la construction d’un lien tissé d’empathie.

Michel Lemay (2006), pédopsychiatre, a observé dans sa pratique que le terme rencontre revient fréquemment chez les sujets résilients. Cet auteur corrobore les observations d’autres chercheurs mentionnés dans ma recherche. Toutefois, Lemay ajoute une dimension dont je n’ai pu avoir écho chez les autres auteurs, soit la toute- puissance d’une rencontre, même brève, pourvu qu’elle ait été significative. Une telle rencontre peut induire assez d’espoir et de sécurité pour que la personne soit à l’affût de ressources dans son environnement lui permettant de se construire. Dans mon récit, cet aspect est très important. Enfin, tout comme d’autres auteurs, il ajoute que les prémisses

de l’attachement sont certes importantes, mais qu’il y a quand même possibilité d’attachement à tout âge.

Voici un exemple rapporté par Hanus dont l’aspect relationnel a changé le cours de la vie d’Anna. Cette dernière aurait pu avoir un destin terrible si elle n’avait pas eu une grande force d’opposition au destin. Étant régulièrement dévalorisée dans son milieu familial, elle aurait tenu en mémoire depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte les mots de son institutrice qui lui aurait signifié toute sa confiance en son potentiel et sa capacité de réussite. Plus tard, elle se serait effectivement donné les conditions favorables à sa réussite. Ainsi, Hanus rapporte : « Cette force d’opposition, qui a souvent grand poids, se retrouve chez la plupart des personnes qui ont eu des parents déficients et/ou qui ont voulu les inscrire dans un destin étriqué. » (Hanus, 2002 : 185).

Enfin, s’il avait fallu qu’Anna faillisse à la tâche, les aspects dévalorisants auraient été validés et elle aurait pu se sentir effectivement nulle. Toutefois, elle ne se serait pas soumise à l'injure de ses parents. Hanus rapporte qu’Anna aurait toujours été consciente de sa haine envers les membres de sa famille. Les mots de son institutrice auraient eu une grande puissance et ce, d’autant plus qu’il s’agit d’une personne de savoir. L’auteur mentionne que ces mots ont été tel un premier prix pour Anna. Se sentant encouragée et soutenue, elle aurait ainsi développé sa confiance en elle-même et en la vie.

Par ailleurs, Cyrulnik aborde la question de la rencontre par le biais de la dyade mère/nourrisson. Tout comme dans les sections précédentes de ce mémoire, il se réfère de manière constante à la neurobiologie de l’attachement puisqu’il s’agit là de l’aspect central de son ouvrage. Cependant, dans cette section-ci, il y lieu d'ajouter que l’emphase est aussi mise sur les éléments participant soit à la construction de la relation ou l’entravant. Dans son ouvrage, Hanus signale que pour Bowlby, la mère joue un rôle plus important que celui de l'enfant dans la formation du lien. Une autre étude, soit celle de Mary Main et son équipe en 1985, évoquée dans l'ouvrage de Hanus, a démontré que la relation mère/nourrisson prend forme bien avant la naissance du petit. La représentation que se fait la mère de son nourrisson lors de la gestation a une influence positive ou négative quant au devenir de l'attachement. Également, le vécu émotionnel de la mère au sujet de sa propre naissance ainsi que son lien à sa propre mère, constituent des facteurs capitaux dans sa capacité à s'attacher à son nourrisson. Ainsworth M. D. (1969), cité par Hanus, examine quelques éléments favorisant un attachement sécurisant : « le contact soutenu et fréquent entre la mère et l'enfant, surtout au cours des six premiers mois […];

la sensibilité de la mère à l'égard des signaux de son enfant et sa capacité à intervenir […]; un environnement régulé. » (Hanus, 2002; 119).

Hanus mentionne dans son ouvrage qu'au-delà de l'attachement, certains chercheurs dont Bowlby et Robertson (1971) ont scruté la portée de l'intimité reliée aux interactions mère-enfant. Bowlby a fait ressortir tout l'héritage reçu de la mère transmis à son enfant. Le nourrisson aurait dès sa naissance une histoire transgénérationnelle imprégnée au-dedans de lui. De façon plus importante encore que le développement biologique en tant que tel, la qualité de la vie intra-utérine est sans aucun doute le fruit tricoté tôt dans la dyade mère/fœtus. Par conséquent, le fait d'avoir été désiré par les parents dès sa conception ou du moins très tôt dans sa vie est un élément favorisant un attachement sécurisant.

Par ailleurs, d'un point de vue biologique, Cyrulnik souligne que le passage du bonheur au malheur ne tient qu'à un fil. Nous sous-estimons à quel point notre biologie inonde notre monde émotionnel et vice-versa. Ainsi, le seul fait d'entrer en relation avec une personne aimante peut mettre un frein à la souffrance et par ricochet augmenter la production d'endorphine. D’ailleurs, Cyrulnik mentionne qu’une rencontre signifiante peut effectivement faire basculer la personne dans un tout autre état d'esprit et faire une différence dans sa vie. Le soutien et l’affection que peut apporter un individu sont sans contredit inestimables dans la construction de la résilience.

Pour qu'un enfant ressente du bonheur à retrouver son parent, il lui est nécessaire que ce dernier lui ait manqué. Dans un certain sens, le manque invite à l’attachement. Un lien d'attachement sécurisant empêchera que la biologie de l’enfant soit entachée lors des inévitables séparations. Par contre, selon Curylnik, des séparations fréquentes de plus de trois heures plongent l'organisme du petit en état d'alerte biologique et affectif qui se manifestera à la moindre séparation subséquente. Nul doute que la relation est alors entachée.

D'après Cyrulnik, les effets de la séparation sont exacerbés s'il y a eu stress prénatal chez la mère et que celle-ci se portait mal. L'enfant devient hypersensible aux stimulations, et ce, davantage chez les filles qui sécrètent plus de cortisol (l’hormone du stress) que chez les garçons. Dès lors, l'organisme des filles accuse un niveau de toxicité plus élevé que chez ces derniers qui sont mieux protégés, car ils métabolisent plus de vasopressine que les filles. Les hormones du stress épuisent l'organisme dont les cellules

de l'hippocampe qui ont la fonction de soutien à la mémoire. Cette défaillance des cellules de l'hippocampe amoindrit les capacités d'apprentissages chez la petite. Il en découle une mémoire altérée. Un excès de stress crée des altérations cérébrales, comportementales et morphologiques. Ainsi, on peut constater jusqu’à quel point il peut être dévastateur de vivre une relation pauvre au plan affectif. Cela a des effets sur l’ensemble de la vie de la personne.

En outre, l’hémisphère droit qui est très sensible aux émotions d'autrui est en alerte chez un nourrisson dont le parent est maltraitant. À la vue de ce dernier, des manifestations de retrait prennent place. La maltraitance répétée dans les premiers mois de sa vie risque de développer chez le nourrisson un style d'attachement teinté d'insécurité et la possibilité de dépression ultérieure. Dans ce cas-ci, ce n’est pas une lésion du cerveau qui provoque son déraillement, mais bien l'histoire parentale participant à la relation au nourrisson.

Bien sûr, l’adulte qui a été écorché par la vie durant l'enfance risque de ressasser son histoire et d'ainsi voir son humeur altérée par la négative, car c'est ce que lui aurait appris sa mémoire affective. Toutefois, s'il est invité dans la relation à se décentrer de lui- même, le processus de résilience verbale peut être entamé et sa mémoire identitaire en être modifiée. « Le remaniement de la mémoire autobiographique a des effets d'entraînement cérébral. » (Cyrulnik, 2006; 66)

La reconstruction narrative en présence d'une personne avec qui la relation est signifiante, stimule l'amygdale rhinencéphalique. Nous aurions nécessairement besoin des autres pour que notre cerveau se développe. La reconstruction du récit fait en sorte que les représentations de l'histoire trouvent sens et se modulent. Nos représentations forgées de mots et d'images ont certes des effets sur notre cerveau. C'est pourquoi, dit l'auteur, la relation, entre autres, inscrite dans un processus de psychothérapie, a un impact durable sur le cerveau. D’ailleurs, Allan Schore démontre aussi ce phénomène. Cyrulnik ajoute que nos représentations sont la « ficelle qui unit l'âme au cerveau ».

Néanmoins, le déficit culturel limitant les représentations et l'isolement affectif par manque de stimulations aboutissent aux mêmes résultats biologiques, soit une atrophie fronto-limbique. La détresse liée aux pertes affectives réelles ou à ses représentations fait en sorte que les endeuillés sécrètent moins d'hormones sexuelles, d’hormones de croissance, d'ocytocine et de prolactine. Il peut aussi y avoir une diminution des

lymphocytes et des anticorps, ce qui peut occasionner entre autres des allergies ou des maladies. Un système immunitaire affaibli indique que la personne est sous stress et chagrinée. Toutefois, le plaisir vécu de part et d'autre participe à l'augmentation de l'ocytocine « dont le récepteur le plus sensible se trouve dans l'hippocampe des circuits de la mémoire ». (Cyrulnik : 62). Le désir améliore la mémoire. Attendre l'autre lorsque nous avons en mémoire le souvenir apaisant des retrouvailles rend heureux.

Comme je l’ai déjà mentionné au début de cette section, la relation et l’empathie sont intimement liées. D’ailleurs, le titre même du chapitre 4 de l’ouvrage de Cyrulnik soit,

Le souci de l’autre est une entrée en matière tout à fait révélatrice de ce qu’est l’empathie.

J’ajoute qu’il y a souci de l’autre à partir du moment où une relation est établie entre deux êtres. La compréhension du processus empathique m’apparaît être la pierre angulaire à la construction de la résilience, sinon une contribution importante.

L’empathie qu'est la « connaissance d'autrui », selon Th., Lipps cité dans l'ouvrage de Cyrulnik, est primordiale en contexte de résilience. Pour qu'il y ait empathie, il est nécessaire que la mère ou toute autre personne signifiante ayant en charge l'enfant, ait d'abord vécu elle-même le « Mitsein », l’« être avec », l’expérience d'empathie. Pour Cyrulnik, l'empathie est la capacité de se laisser toucher par le monde intime de l'autre, de pouvoir se le représenter et, par effet rebond, s'en trouver modifié. Néanmoins, il ne s'agit pas d'une disposition strictement intellectuelle, mais bien d'une connexion intersubjective au plan de l'affect entre deux individus dont l'édification est l'attachement. La connexion intersubjective qui se construit dans les deux premières années de la vie du nourrisson est « tapissée » de « l’enveloppe sensorielle » dont fait mention Cyrulnik.

Ce dernier rapporte une expérience réalisée par John Bowlby en 1970 auprès de bébés de douze mois dont la mère portait un « nounours » avec elle. Cette dernière devait simuler des pleurs auprès de son enfant. À la vue de leur mère, certains bébés l’ont câlinée, d'autres se sont montrés impassibles et d’autres encore l'ont tapée. D'après l'étude de Bowlby, l'agression est le « contrepoint » de l'empathie, soit la manifestation d'une déficience empathique. Bowlby a démontré que les enfants s'étant montrés agressifs proviennent de milieux dont « l'enveloppe sensorielle » est déficiente. Cette pauvreté sensorielle du milieu inhibe le processus empathique.

La réciprocité est essentielle dans la mise en place d’un processus empathique. Au-delà du fait de se représenter le monde, le petit est aussi appelé à développer ce que

Cyrulnik nomme « théorie de l'esprit », i.e. le fait d'être en mesure de décrypter ce qui se passe dans l'esprit d'autrui. Ce phénomène se manifeste bien avant la naissance selon l'auteur, et se développe sous l'effet de transactions avec l'environnement. Déjà, le fœtus est réceptif aux informations fournies par son milieu. Cette « prouesse intellectuelle » comme la nomme l’auteur est possible dans un contexte où le petit baigne dans un milieu riche de transactions. Toutefois, les enfants dont le milieu est appauvri s'isolent jusqu'à parfois figer leur pensée. Il est rare selon l'auteur qu'un trouble psychique soit d'origine génétique.

Toujours selon cet auteur, le point d'appui du processus empathique se trouve dans ce qu'il appelle le « phénomène des neurones-miroirs », phénomène d’abord observé chez les singes. Des chercheurs ont constaté que la même région neuronale s’active lorsque deux singes s’observent et s’imitent. La résonance débute dès la première « interaction biologique », ce qui permet aux chercheurs de faire l’hypothèse que l’imitation est d’abord neurobiologique avant d’être historique chez l’humain. Chez ce dernier cependant, il s’agit davantage d’un phénomène de résonance par imitation ou de « récits miroirs » que de « neurones miroirs ». La réponse de la mère vis-à-vis son enfant trouve sa source dans l’histoire de celle-ci avec sa propre mère. Il s'agit donc de transmission intergénérationnelle. Ainsi, tous les aspects du non verbal de la mère face à son enfant réfèrent à deux mondes intimes : le nourrisson non seulement synchronise ses expressions faciales à celle d’une personne signifiante autour de lui, mais il est également contaminé par le monde émotionnel ambiant.

Selon Cyrulnik, lorsqu’un petit éprouve de la douleur physique ou psychique, l’aire cingulaire antérieure de son cerveau provoque un certain type de vocalisation exprimant sa souffrance. Cet appel fait en sorte que la personne signifiante se décentre d’elle-même afin d’aller à la rescousse de l’autre pour la soulager. Par contre, la personne interpellée par les vocalisations peut tout aussi bien en être irritée à cause de son histoire et refuser de tenter de soulager la douleur. Mais dans le cas où la personne signifiante arrive vraiment à se décentrer d’elle-même dans un élan d’empathie, l’attachement s’en trouvera solidifié bien au-delà du strict soulagement de la douleur. Notre naissance qui est sans contredit notre premier contact avec la douleur est l’occasion d’entrer en relation avec « l’enveloppe sensorielle » qu’est notre mère. L’apaisement incessant de la douleur du petit par sa mère suscite l’espoir chez ce dernier et sa capacité à se sécuriser.

L’attente même de l’apaisement par la représentation de la mère est un moteur de l’attachement. Le petit qui ne trouve pas de port d’attache ne peut se représenter un autre apaisant, ni se décentrer de lui-même. Conséquemment, l’établissement de son propre processus d’empathie est chaotique. La représentation d’autrui est impossible et la fusion va se poursuivre, selon Cyrulnik. La représentation étant impossible, l’enfant peut y substituer d’autres représentations par mécanisme de projection.

L’utilisation de la projection rend difficile le décodage des mimiques faciales chez autrui, ce qui donnera lieu à de nombreuses interprétations souvent erronées qui entraveront le processus empathique. L’empathie cesse évidemment à partir de l’instant où l’autre est perçu comme terrifiant. Sans empathie, le souci de l’autre est inexistant et ceci résultera en une affectivité soit distante ou à une « hémorragie narcissique », une « prise d’otage » sur le petit. Cette déviation affective altère la socialisation et la sécurité affective du petit. Une fois devenu adulte et parent, il risque de répéter ce scénario avec son petit. C’est la transmission du trouble non-héréditaire, mais hérité entre les générations.

On peut observer la formation de l’empathie chez le bébé dès l’âge de deux mois lorsqu’il commence à imiter l’adulte. Les « neurones-miroirs » du petit situés au « milieu

de la frontale ascendante » s’animent en réaction à une mimique perçue. Le petit sourit au

contact du parent qui lui sourit. Il n’en est pas ainsi chez les autistes. Chez eux, le « Mitsein » fait défaut et la cause peut être d’ordre neurologique ou le fait de la pauvreté affective du milieu. Par conséquent, le petit ne peut que demeurer centré sur lui-même. Les personnalités de type paranoïaque, narcissique ou psychotique portent aussi en elles cette dysfonction empathique. À la limite de ce dysfonctionnement se trouve la psychopathie.

De plus, selon Cyrulnik, l’imagerie cérébrale a démontré chez des partenaires amoureux que le seul fait d’être témoin de la douleur de l’autre alerte la même région cérébrale, soit « la partie antérieure de l’aire cingulaire antérieure, l’insula, le thalamus et

la partie pariétale sensitive ». (op.cit : 180). La représentation de la douleur chez l’être

aimé ne crée pas le même malaise chez le partenaire, mais son bonheur en est altéré. La seule représentation d’une chirurgie provoque de la douleur tout comme l’idée d’en être soulagé nous apaise. Nos représentations ont un pouvoir inestimable sur notre organisme. D’ailleurs, chaque culture a sa manière de produire des récits qui ont des effets placebos

ou nocebos sur la communauté ce qui, par ricochet, oriente les représentations. Le remaniement des émotions par la parole peut donc s’avérer salvateur ou nocif.