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4. MÉTHODOLOGIE

4.7 La construction de ma méthodologie

À priori, mon choix d'être inscrite dans une démarche autobiographique à la fois comme sujet et acteur s’inscrit dans un parcours personnel où je cherche, à partir de mon expérience, à approfondir le phénomène de la résilience et à transposer mes connaissances dans le cadre de mon travail en santé mentale. L’approche qualitative comme méthode de recherche m’a donc semblé la plus appropriée dans l'atteinte de mes objectifs de formation. La construction de sens nécessairement interprétative, qui est une partie essentielle de cette méthode, permet mieux que tout autre type de méthode d’extraire la richesse du phénomène étudié à cause de sa dimension longitudinale. Cauvier cite Josso (1991; 107) dans sa thèse : « Expliciter, c’est déployer le potentiel de sens d’une expérience ». (op.cit : 121).

À mes yeux, la démarche autobiographique est manifestement féconde, car elle reconnaît toute la richesse que peut apporter l'individu dans le vaste monde de la recherche. La boucle rétroactive du passage de la subjectivité vers l’intersubjectivité puis l’objectivité, est un mouvement de va-et-vient continuel tout au long du processus de recherche, générateur de sens, de connaissances intégratives et de savoirs théoriques. Bien sûr, cette transmutation doit être vue dans une perspective de compréhension du monde et plus particulièrement en ce qui nous concerne, du phénomène qu'est la résilience. Le passage de la subjectivité quasi microscopique de mon expérience vers l’objectivation, rendue possible grâce à la dialectique dans la communication établie entre

moi et mon interlocuteur, soulève des repères qui au fur et à mesure du processus construisent la théorie. Ainsi, la dialectique entre la dimension empirique et théorique produit la connaissance.

D'autre part, dans le cadre d'un cours s'intitulant Parcours biographique, travail

social et identité professionnelle, suivi avec Mme Danielle Desmarais à l'Université du

Québec à Montréal il y a un peu plus de deux ans, j'ai été « initiée » à la construction de la méthodologie d'une démarche autobiographique dans un groupe-classe. Bien que la construction de ma méthodologie prenne en partie appui sur ce que j'ai appris dans le cadre du cours avec Mme Desmarais, il n'en demeure pas moins que la construction de ma méthodologie dans le contexte actuel, est une matière en évolution, car très peu d'étudiants, en contexte de mémoire, ont fait ce type de démarche par le passé.

Les étapes de la construction méthodologique que j’ai vécues dans le cadre de mon cours avec Mme Desmarais sont les suivantes. Dans une première étape de recherche, les étudiants en dyade discutent oralement de leur parcours en lien avec l'objet de recherche. Ce premier jet entre interlocuteurs génère des réflexions, pose de nouvelles questions qui incessamment alimentent en boucle rétroactive le processus de recherche. Dans un deuxième temps, l'étudiant présente oralement devant le groupe l'amorce de son travail de recherche et ses nouvelles découvertes. Tout comme dans la dyade, les étudiants interlocuteurs émettent des commentaires, font part de leurs réflexions, intuitions etc. Ce processus fait nécessairement émerger du sens, se produire de nouvelles connaissances et surgir de nouvelles hypothèses au sujet de l'objet de recherche. Troisièmement, l'étudiant ayant bénéficié par l'entremise des interlocuteurs, d'enrichissement à différents niveaux de sa recherche, produit son récit écrit. Quatrièmement, les étudiants ayant été en dyade dans le début du processus de recherche, échangent mutuellement leur récit afin que l'un analyse celui de l'autre. En dernier lieu, l'étudiant présente oralement au groupe son analyse du récit de l'autre et cet autre bien sûr, en fait tout autant. Dans ce même temps et à tour de rôle, les autres étudiants-interlocuteurs dégagent d'autres pistes réflexives et hypothèses qui alimentent à nouveau le processus de recherche. La construction de l'objet de recherche s'enrichit toujours plus et ce, jusqu'à saturation.

Ainsi, qu'il s'agisse d'une démarche autobiographique en groupe ou d'une démarche autobiographique en contexte de mémoire, la dialectique entre interlocuteurs

est capitale dans le processus de recherche car il s'agit là, d'un « moteur » de recherche dynamisant dans la production de connaissances et l'émergence de nouvelles théories.

La production de mon récit s'inscrit dans un processus multidimensionnel et longitudinal. De manière progressive et en boucle rétroactive, une dialectique a cours à partir de mes lectures sur la théorie de la résilience, de mon processus thérapeutique, de ma formation en analyse bioénergétique et de mon expérience de travailleuse sociale. Bien sûr, s'ajoute à cette « liste » quelques interlocuteurs dont les commentaires et réflexions alimentent ma recherche.

Je me suis intéressée à la théorie de la résilience dès le début de ma scolarité à la maîtrise. Mes lectures sur ce sujet ont fait émerger bon nombre de questions et de réflexions. J’ai pris la décision d'effectuer ma recherche sur ce phénomène afin d'en comprendre tous les rouages. Ainsi, les quelques balises théoriques mises en place au début de ma scolarité à la maîtrise, m'ont servi de premier guide.

Enfin, sans en être tout à fait consciente à l'époque, la construction de ma méthodologie a débuté dès ma première année de scolarité à la maîtrise et a suscité bon nombre de réflexions. Depuis, ma recherche est en constante évolution tellement la recherche sur la théorie de la résilience est en pleine effervescence. De plus, sachant que la dimension relationnelle est considérable dans la construction de la résilience, je me suis questionnée sur la nature de mes propres rencontres depuis le début de ma vie. Aussi, étant déjà inscrite dans un processus thérapeutique au début de ma formation à la maîtrise, mes lectures sur la résilience ont fait émerger chez moi l'idée que j'avais possiblement vécu un trauma dans ma petite enfance. Du moins, la vie me transmettait quelques indices en ce sens. Cependant, comme je l'ai déjà mentionné, ce n'est qu'à la suite du cours que j'ai suivi avec Mme Danielle Desmarais, que j'ai pris la décision de m'inscrire dans une démarche autobiographique. La construction de ma méthodologie est le résultat d'une dialectique entre la théorie et la pratique.

Par ailleurs, l'intuition, cette dimension difficilement objectivable a aussi été un guide dans l'élaboration de mon récit. La production de ce dernier a donné lieu à quelques allers-retours dans le temps. Puisque dans le cadre de ma thérapie, je visitais et re-visitais des passages de mon existence qui ont été déterminants dans mon parcours de vie, mon écriture à certains égards, s'est construite de temps à autres en parallèle avec mon processus thérapeutique.

Je n'ai pas comptabilisé les heures à écrire mon récit. Toutefois, je peux affirmer que ce travail s'est échelonné sur deux ans. Ma thérapeute me disait à un certain moment donné que l'on ne peut forcer un processus tout comme l'on ne peut tirer sur un brin d'herbe pour qu'il pousse. J’ai accueilli cette parole de sage et j'ai fait confiance que ce qui avait à émerger, émergerait. Par conséquent, je ne me suis pas exigé d'écrire mon récit à tous les jours à telle heure. Lorsque les éléments émergeaient souvent sans crier gare, j’écrivais. Conséquemment, j'en profitais pour les élaborer en me remémorant, par exemple, la couleur des volets de la maison de mes voisins ou en refaisant dans mon esprit le chemin de l'aller-retour de mon école primaire.

Parfois, ce travail de mise en perspective s'est écrit suite à une rencontre déterminante ou significative avec ma thérapeute ou tout autre interlocuteur. Tout à coup, je contactais une partie de mon histoire qui avait du sens dans la construction de ma résilience. Je me « mettais » alors dans un contexte où je fermais la porte à l'extérieur et j'entrais dans ma « bulle » afin de refondre les éléments émergents dans la thérapie qui me faisaient dire que là, il y avait matière soit à résilience ou toute autre dimension y faisant appel. À d'autres moments, ce sont mes lectures sur la résilience qui ont suscité des résonances chez moi, des remises en question de tout ordre.

D'ailleurs, au moment où j'écris ces lignes, je revisite de nouveau ces lieux, je les vois dans mon esprit et je me rappelle la boulangerie de mon enfance, le « tourniquet » coloré du barbier du coin ainsi que l'immense maison victorienne de mes petits voisins. D'une certaine manière, il me semble que j'entre quelque peu dans un état de transe hypnotique pour faire cela. Puisque j'ai dû me dissocier pour faire face à mon histoire à une certaine époque de ma vie, il semble que la dissociation en contexte d'hypnose, soit une ressource. Et pourquoi pas?

Puisque ma recherche est axée sur les processus que j’ai mis en place depuis le début de ma vie pour survivre à divers niveaux, mon angle d’analyse se situe autour d’événements et de représentations qui ont suscité un processus de résilience. Mon principal angle d’analyse touche à la théorie de l’attachement, car c’est en partie par ce biais que j’ai pu me reconstruire. Cette hypothèse a du sens pour moi et corrobore aussi avec les récentes recherches dont celle de Schore au sujet de la reconstruction du lien d’attachement. À la lecture de mon récit, je me vois mettre une emphase importante sur les liens que je vis aujourd’hui et sur ceux que j’ai vécus par le passé, comme le dit si bien Bertaux (2005).

Aussi, puisque le processus d'analyse d'une démarche autobiographique se construit partiellement en inter-relation, j'ai demandé à un nombre très restreint de personnes d'effectuer la lecture de mon récit et par la suite de me transmettre leurs points de vue sans tenir compte de mon objet de recherche. J'ai ainsi voulu que cette première démarche se fasse aléatoirement afin de laisser le plus de place possible à l'émergence de tous les possibles, de l'inopportun à l'opportun. Conséquemment, leurs « feedback » m'aide à cogiter davantage et à faire circuler mes réflexions en poussant les frontières de ma conscience afin qu'émergent le sens et bien évidemment, la production de connaissances. Mes repères quant à l'analyse de mon récit me sont précieux. De fait, quels sont-ils? L'indice dont parle Bertaux (2005) m'apparaît être un élément fort appréciable dans le repérage. Je sais pertinemment que je peux me fier à mes intuitions. De plus, lorsque j'effectue mon travail avec une clientèle en santé mentale, je me laisse imprégner par la résonance que je vis avec tel client. Ceci m'aide à saisir de l'intérieur ce que peut vivre la personne devant moi. Or, je me suis dit qu'il en serait peut-être ainsi pour les personnes qui lisent mon récit.

4.7.1 Processus réflexif. Remémoration. Émergence de sens

En plus des lectures entreprises sur le concept de résilience depuis le début de ma scolarité à la maîtrise, qui ont certes suscité maintes réflexions quant à mon parcours, deux autres processus ont contribué à l'émergence de ma mémoire des événements. Il s'agit de mon inscription dans un processus thérapeutique en analyse bioénergétique et de ma formation au sein de cette même approche. La thérapie, espace de travail intense, est un lieu qui ouvre la voie à la dimension réflexive sur la vie et la recherche de sens. Le travail thérapeutique amorcé a fait en sorte que j’ai contacté et contacte encore une pluralité de souvenirs. Mon corps est bel et bien une archive contenant la totalité de mon histoire. Bien des événements ont ainsi pu remonter à la surface et être utilisés dans la production de mon récit.

Ma formation a aussi été un lieu de remémoration, de réflexion et bien sûr d'émergence de sens. Puisqu'une part de la formation est de type expérientiel, j'ai été témoin de l'histoire d'autrui. Être en écho avec l'histoire de l'autre a éveillé chez moi des éléments de mon histoire auparavant cachés. Cela m'a quelquefois ébranlée psychiquement tant la résonance m'interpellait, mais cela m'a aussi aidée à pousser bien davantage ma réflexion à partir de mes propres processus psychiques. De plus, cette formation s'adressant entre autres aux problématiques d'attachement, ce qui est d'ailleurs

mon cas, et aux troubles de santé mentale, ce qui est le cas de ma clientèle, j'ai été à même de découvrir les méandres et soubresauts de l'âme. J'y ai fait des apprentissages quant à moi monumentaux qui continuent de nourrir mes réflexions sur le concept de résilience. Mon processus thérapeutique et la formation ont été deux moteurs importants dans la construction de mon mémoire. Ils ont influencé mes choix de lectures et l'orientation de mon mémoire. En plus, les étudiants et formateurs ont été de précieux interlocuteurs depuis le début de ma formation il y aura bientôt cinq ans, en m'interpellant de différentes manières et en questionnant aussi mon parcours de résilience. Louise, ma thérapeute, a aussi été une interlocutrice de premier plan. Elle a su éveiller ma mémoire cognitive et procédurale afin que j'émerge en tant que sujet. La thérapie a été un lieu de remémoration fait de chair et d'âme.