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PRATIQUES DE LA LIBERATION CONDITIONNELLE

4. Synthèse: deux conceptions de l'institution

Nous voulons, pour conclure, rendre compte de manière plus synthétique des principales observations constatées dans cette analyse empirique de la libération conditionnelle. Cette démarche ne prendra en considération que les cantons de Genève et de Vaud et cela pour deux raisons principales.

La première raison est d'ordre pratique. La grande majorité des dossiers qui constituent notre population d'analyse proviennent de ces deux cantons. C'est sur la base de ces chiffres et de leur consistance que nous pouvons avancer quelques remarques conclusives et les étayer par la comparaison entre ces deux cantons.

La deuxième raison est d'ordre heuristique. La comparaison entre Genève et Vaud a montré une nette différence dans le taux d'octroi de libération conditionnelle. Sur l'ensemble des dossiers concernés pour l'année 1990, Genève a accordé la libération conditionnelle dans 89%

des cas et le canton de Vaud dans 48% des cas seulement. Cette forte divergence entre ces deux cantons dans la pratique de l'octroi de la libération conditionnelle nous porte à croire que nous sommes en présence de deux conceptions antithétiques de la fonction et de l'utilité de cette institution32Les diverses analyses présentées plus haut ont en effet mis en exergue la nette sévérité du canton de Vaud en matière de libération conditionnelle à 1' égard de certaines catégories de détenus et la relative indistinction qui caractérise le traitement réservé aux détenus genevois. Il s'agit alors de relever les traits les plus saillants révélés par nos analyses afin d'exposer plus clairement les deux conceptions à 1' oeuvre dans la pratique de la libération conditionnelle.

A. Genève: la libération conditionnelle comme dernière étape du système progressif de l'exécution des peines.

L'analyse de la population des détenus genevois nous a montré une très forte homogénéité de traitement quant à l'octroi de la libération condi-tionnelle. En effet aucune des caractéristiques sociales ou pénales

32 Les tendances observées pour les cantons de Neuchâtel, de Fribourg et du Jura nous montrent, à quelques exceptions près, que leurs pratiques tendent à se rapprocher de celle en vigueur dans le canton de Genève.

n'exerce une influence déterminante sur la décision de 1' autorité. Le fort pourcentage de détenus étrangers (54% en 1990) que connaît le canton de Genève pouvait laisser supposer une pratique plus libérale à leur égard comparativement aux détenus nationaux. Or, à Genève, la natio-nalité n'a pas plus d'influence sur le taux de libération conditionnelle que dans les autres cantons. Sans doute doit-on interpréter cette absence de différence comme un nivellement par le haut, reflet de la politique délibérément libérale que ce canton adopte en matière de libération conditionnelle. On peut en donner pour preuve le fait que les détenus étrangers dont la peine a été assortie d'une mesure d'expulsion sont tout autant libérés que les autres (respectivement 88 %et 91 %), libération assortie d'un long délai d'épreuve de manière à ce que ces libérés hésitent à venir récidiver en Suisse. Cette pratique, qui ne tient pas compte de l'arrêté du Tribunal fédéral du 17 juin 197533, a déjà été relevée par Graber (op. cit. p. 35).

La libération conditionnelle s'inscrit alors, à Genève, dans la logique du régime progressif de l'exécution des peines et n'en constitue pas une étape indépendante. Tout détenu est ainsi presque automatiquement34 au profit d'un préavis positif qui le verra tout naturellement bénéficier de cette mesure. Seuls les cas aggravants (par exemple les détenus dont une libération conditionnelle a déjà été révoquée) ou particulièrement com-plexes feront l'objet d'un diagnostic plus approfondi et risqueront de se voir refuser la libération conditionnelle. Ces quelques éléments nous indiquent que la libération conditionnelle est ici conçue en termes de

«chance» pour l'individu qui va en bénéficier. Rien ne doit, en principe, s'opposer à cet octroi car la libération conditionnelle constitue une étape obligée et incontournable dans l'exécution de la peine. Cependant cet octroi largement accordé peut-il faire apparaître la libération condition-nelle comme une forme de libération anticipée? Sans vouloir définitive-ment trancher la question, on peut être en droit de le penser au vu de ce

33 Arrêt du TF du 17 juin 1975 (RO 101 lb 152 ss.). Par cet arrêt le Tribunal fédéral a considéré que, s'agissant d'un ressortissant étranger venu en Suisse pour y commettre des infractions par métier, la libération conditionnelle n'est justifiée que si 1' on a pu constater chez lui une évolution positive en détention, ou si d'autres circonstances précises permettent de poser à son égard un pronostic favorable. (GRABER, op. cit. p.19)

34 A Genève, seuls treize dossiers ont fait état d'un pronostic défavorable ce qui représente la plus faible proportion (9%) parmi les cantons étudiés.

qui précède mais aussi au regard du nombre de libérations qui se produisent avant le délai minimum légal. En effet Genève est le canton dans lequel le taux des décisions précoces et les libérations qui s'en suivent est le plus important. On pourrait alors voir cette forte proportion d'octroi de libération conditionnelle et les diverses mesures qui en facilitent la procédure comme diverses réponses indirectes destinées à réguler le surpeuplement carcéral.

B. Vaud: la libération conditionnelle comme institution indépendante?

L'analyse de la population des détenus vaudois a manifestement mis en évidence le traitement particulier réservé à une catégorie de détenus. Si dans le cas genevois aucune caractéristique sociale ou pénale ne semble influencer la décision de 1' autorité compétente, la probabilité pour un détenu vaudois d'être libéré conditionnellement est fortement détermi-née par la présence ou l'absence d'antécédents pénaux. En effet alors que 77% des détenus «primaires» sont libérés conditionnellement, ils ne sont plus que 35% à bénéficier de l'octroi lorsqu'ils sont «récidivistes»

et 26% lorsqu'une libération conditionnelle a déjà été révoquée. La différence est très nette avec le canton de Genève où «primaires» et

«récidivistes» sont libérés dans 94% des cas.

Cet impact marqué de la récidive sur la décision vaudoise est associé à d'autres variables. Ainsi la relation constatée entre un plus faible taux d'octroi de libération conditionnelle pour les détenus âgés de 35 à 45 ans ou ceux ayant commis des infractions relatives au patrimoine tient au lien «préalable» existant entre la récidive et ces caractéristiques sociales ou pénales, caractéristiques pour lesquelles la proportion de détenus récidivistes est plus importante.

Graber, qui en 1986 avait déjà constaté la très nette différence de pratique entre Genève et Vaud par rapport aux détenus «récidivistes», liait la sévérité du canton de Vaud à l'égard de ces derniers à une exigence plus marquée concernant la détermination du degré d'amen-dement. Ainsi «la récidive, la révocation d'un sursis ( ... ) y sont perçus en la forme d'une présomption de non amendement qu'il est très difficile pour le détenu de renverser.» Nos résultats contribuent à renforcer cette idée puisqu'ils montrent la très nette sévérité avec laquelle sont traités les récidivistes par l'autorité vaudoise. A l'appui de cette thèse, on peut

mentionner la forte proportion de pronostics défavorables, certains retards dans le délai légal de décision ou la possibilité de ne pas avoir été entendu par 1' autorité compétente; éléments de procédure décisionnelle qui, si ils ne caractérisent pas systématiquement tous les détenus récidivistes, sont de manière générale bien plus souvent 1' apanage de ce type de détenus dans le canton de Vaud.

En introduisant une telle distinction, les autorités vaudoises inscrivent la pratique de la libération conditionnelle dans une logique de prévention générale. La décision prise par 1' autorité compétente est évaluée en termes de «risque» et 1' octroi ou non de la libération conditionnelle apparaît tant comme un instrument destiné à discipliner les personnes condamnées que comme un moyen permettant de préserver la sécurité de la société. Ce double impératif se traduit aussi par 1' application plus importante qui est faite par le canton de Vaud des mesures sensées accompagner la libération conditionnelle. Ainsi les règles de conduite sont systématiquement appliquées dans ce canton alors qu'elles sont inexistantes à Genève et les libérations conditionnelles sont plus souvent assorties de l'obligation de se soumettre au patronage dans le canton de Vaud que dans le canton de Genève (63% et 53% respectivement). Cette utilisation plus marquée des mesures accompagnant 1' octroi renforce la sévérité de la pratique vaudoise. On est alors plus proche d'un «real time sentencing»35 puisque les mesures appliquées prolongent le contrôle sur l'individu au delà de la peine.

Enfin on notera que si dans le cas genevois, on pouvait parler d'une pratique «standardisée», on assiste dans le canton de Vaud à une forte hétérogénéité des traitements. Déjà conditionnée par la parcimonie avec laquelle est octroyée la libération conditionnelle, la pratique vaudoise semble faire de chaque décision un cas à part et s'ingénie à trouver la solution la plus adéquate en utilisant tout 1' appareillage légaliste qu'elle a à disposition.

M. S.

35 Que la peine prononcée soit effectivement subie dans son intégralité. Cette tendance de la politique criminelle vise à réduire au maximum l'écart qui peut exister entre la durée de la peine prononcée lors de la condamnation et celle effectivement passée en prison en prônant notamment 1' abolition de la libération

CHAPITRE VI

LA LIBERATION CONDITIONNELLE