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La rationalisation du processus de libération conditionnelle La libération conditionnelle n'occupe pas véritablement le coeur du

débat sur la réforme des sanctions pénales en Suisse; ce sont la suppres-sion des courtes peines privatives de liberté et le développement des substituts à cette dernière qui nourrissent les débats les plus intenses et les controverses les plus vives. La situation est quelque peu différente à l'étranger: la libération conditionnelle, ou la libération anticipée dont il est parfois difficile de la distinguer, fait depuis deux décennies environ l'objet d'un large débat et de réformes radicales dans plusieurs états étrangers, singulièrement en Amérique du Nord, en Angleterre16 et aux Pays-Bas17

L'accusé fut condamné pour son comportement actif de soustraction à la justice, mais acquitté pour ses simples omissions de dénoncer: sauf cas particuliers telle la surveillance lors d'un congé, l'article 305 CP n'instaure pas d'obligation juridique d'agir. L'arrêt a été confirmé par le Tribunal fédéral. Il est largement reproduit dans les BJM 1988, pp. 90 ss. Il est résumé dans BJP 1992 no 228.

L'avant-projet de révision du code pénal dont il sera question plus bas opte franchement pour la Bewiihrungshilfe et propose l'expression française d' «assistance de probation».

15 Sur la pratique en matière de réintégration, voir le chapitre VII ci-dessous.

16 Le processus de réforme, engagé dans les années quatre-vingt et marqué par la publication en 1988 d'un très remarquable rapport sur «The Parole System in England and Wales» (rédigé par une commission présidée par Lord Carlisle of Bucklow), a abouti avec l'adoption du Criminal Justice Act de 1991, dont la deuxième partie est consacrée aux diverses modalités d' «earl y release of priso-n ers». L'epriso-nsemble de ces sources et travaux a été publiée à l'enseigne du Her Majesty's Stationery Office, à Londres.

17 L'évolution des Pays-Bas est peut-être la plus significative de toutes. La phase libérale de la politique criminelle de cet état longtemps considéré comme le plus

Ce débat a ouvert trois perspectives principales.

a. La modification fondamentale, voire l'abolition complète de l'insti-tution. C'est cette voie qu'ont suivie une bonne douzaine d'états américains18Cette mesure radicale s'inscrit dans le cadre de la réalisation d'un programme neo-rétributif, internationalement connu sous l'appellation <<just deserts» (juste peine, ou peine méritée seraient les traductions les plus appropriées)19Il serait téméraire de résumer en quelques lignes ou même en quelques alinéas ce mouve-ment, au sein duquel coexistent d'ailleurs des opinions qui ne sont pas uniformes. Pour ce qui touche à notre sujet, l'idée dominante est celle d'une détermination stricte de la durée de la peine dans le jugement de condamnation et, par conséquent, le refus d'une institution qui modifie a posteriori, et pour des motifs qui n'ont en principe plus de rapport avec 1' infraction commise, le sort du condamné. Dans cette optique, la libération conditionnelle pervertit la pureté de l'acte rétributif; la scission entre peine formellement infligée et peine réellement subie est insupportable. L'objectif est d'imposer le real time sentencing: que la peine prononcée soit effectivement subie dans son intégralité2°.

«progressiste» a connu son apogée avec la loi de 1987 substituant à la libération conditionnelle une libération anticipée. Un virage radical semble avoir été pris depuis peu, qui conduit les autorités à repenser l'ensemble du système d'exécu-tion des peines, avec pour objectif une «effective detend'exécu-tion», pour reprendre le titre d'une brochure publiée en 1993 par le Ministère de la justice. Comme aux Etats-Unis, comme en Angleterre, la gestion du risque passe, pour ce qui touche à la libération anticipée, au premier plan, au détriment de l'octroi d'une chance.

18 En 1990, Californie, Colorado, Indiana, Illinois, Minnesota, Connecticut, Caro-line du Nord, Washington, Floride, Nouveau Mexique et Idaho, cf. BoTTOMLEY A.K., Parole in Transition: A Comparative Study of Origins, Developments, and Prospects for the 1990s, in: Crime and Justice. A Review of Research, vol.12, Chicago 1990, p. 341, n. 4.

19 Pour un excellent bilan des réformes liées à ce mouvement et aux critiques auxquelles elles ont donné lieu, cf. voN HIRSCH A., The poli tics of <<just deserts», Rev. canad. crim., 1990, pp. 397 ss. L'auteur est le théoricien le plus connu des

«just deserts». Son article est publié dans un numéro de la Revue canadienne de criminologie consacrée aux réformes de la libération conditionnelle.

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Cf. 1' article remarquablement synthétique de BRODEUR J.-P., Les politiques crimi-nelles en Amérique du Nord, Arch. polit. crim., no 12, 1990, en particulier p. 179.

b. Une variante des réformes radicales résumées ci-dessus vise, sans s'en prendre à l'institution elle-même, à en modifier le fonctionne-ment. Un premier objectif, proche de ceux des «just deserts», est de coordonner mieux, voire d'intégrer la phase de fixation de la peine, exclusivement judiciaire, et celle d'administration de la libération conditionnelle21Cela conduit à modifier le tableau des compétences et à introduire - ou à installer plus fermement dans les pays dans lesquels il n'est pas aujourd'hui absent -le juge dans le processus de libération conditionnelle. D'autres améliorations quant au fonction-nement de cette dernière sont proposées, que nous résumerons au point 3.

c. Sur le fond, et comme déjà indiqué, l'idée dominante dans la littérature est derationaliserle processus de libération conditionnelle.

Il est frappant de constater que, des deux côtés de l'Atlantique, la réflexion mène, sans apparente concertation, à une conclusion très proche: il faut substituer à la notion de pronostic, affaiblie par les critiques de toutes sortes auxquelles elle a donné lieu, celle de gestion ou d'évaluation du risque ( «risk assessment» )22. Cette dernière notion présente deux avantages:

- elle est scientifiquement plus modeste;

- elle illustre bien le fait que la décision de l'organe chargé d'oc-troyer ou de refuser la libération conditionnelle ne prend pas en compte exclusivement le comportement de l'individu, mais éga-lement - et même, pour certains auteurs, essentieléga-lement - la capacité pour la société à admettre une libération anticipée et les besoins de la sécurité publique.

De nombreuses questions restent ouvertes dans la mise au point d'une politique de gestion du risque. La plus intéressante est sans doute celle de la possibilité, à la fois scientifique et déontologique, d'utiliser les données statistiques disponibles sur le suivi de la libération

condition-21 Commission canadienne sur la détermination de la peine, Réformer la sentence, une approche canadienne, Ottawa, 1987, p. 259; BENZVY-MILLER S./ CoLE D.P., Integrating sentencing and parole, Rev. canad. crim., 1990, p. 499.

22 FRISCH W., Dogmatische Grundfragen der bedingten Entlassung und der Locke-rungen des Vollzugs von Strafen und Massnahmen ZStw 1990,passim pp. 719 et 735 ss.; Bucklow Committee, op. cit. note 16, pp. 77-79; BRODEUR J.-P., The attrition of parole, Rev. canad. crim., 1990, pp. 506-507.

nelle. Pour le dire en termes concrets: a-t-on le droit de refuser la libération conditionnelle s'il ressort d'une ou, pire encore, de plusieurs études que les libérés qui présentent exactement le même profil que le candidat- âge, type d'infractions commises, caractéristiques du com-portement en prison - présentent un risque de récidive élevé23Un mirage prétendument scientifique en remplacera-t-il un autre?

3. Des améliorations concrètes

L'ensemble du débat sur la réforme du droit de l'exécution de la peine est traversé par un leitmotiv: la nécessité ou l'opportunité d'une redéfi-nition des tâches respectives des autorités judiciaires et administratives;

autrement dit les perspectives d'améliorations liées à une «judiciarisa-tion»24. La libération conditionnelle n'a pas échappé à cette question.

On distingue classiquement trois modèles d'organisation de l'autorité compétente pour se prononcer sur les dossiers de libération condition-nelle: le modèle judiciaire2S, le modèle administratif pur, et un modèle mixte (généralement une autorité, composée pour partie seulement de fonctionnaires et dotée d'un statut administratif assorti d'une autonomie particulière)26. Les cantons suisses se partagent assez équitablement entre les deux derniers modèles, entre lesquels se répartissent à parts égales les cantons romands27. Les tenants d'une réforme modérée de l'institution proposent généralement de s'orienter vers le modèle judi-ciaire. Les deux arguments principaux qui se rencontrent chez les partisans d'une telle évolution sont d'une part le souci d'assurer la meilleure protection des droits du détenu et d'autre part, comme il a déjà

23 Cf.les fort intéressants développements de FRISCH, op. cit. note 21, pp. 725 ss. et son ouvrage Prognoseentscheidungen im Strafrecht, Berlin, 1983.

24 RoTH R., Lajudiciarisation de 1' exécution des peines, in: Présence et actualité de la Constitution dans l'ordre juridique, Bâle, 1991, pp. 301 ss.

25 Qui n'est pour l'heure pratiqué en Suisse que par le canton de Thurgovie.

26 FATTAH E.A., Etude comparative de trois modèles différents de libération condi-tionnelle, Arch. polit. crim., no 8, 1985, pp. 55 ss.

27 Genève, Vaud et le Valais (depuis 1991) connaissent le modèle mixte; Neuchâtel, Jura et Fribourg, le modèle administratif pur. La frontière entre les deux groupes de cantons est toutefois loin d'être étanche: ainsi, à Fribourg, une commission consultative composée selon le modèle mixte joue un rôle déterminant dans la politique en matière de libération conditionnelle. Voir ci-dessous chapitre III.

été indiqué, de rapprocher autant que possible le processus de libération conditionnelle de celui de fixation de la peine28.

A l'inverse, ceux qui plaident pour le maintien ou le développement d'un modèle administratif, pur ou mixte, insistent sur la spécificité de la démarche suivie par l'autorité, en ce qu'elle fonde sa prédiction pour le comportement en liberté sur le bilan d'un séjour en prison. La dimension prédictive demeure présente dans le cadre de l'évaluation du risque29, au prix d'un retournement de la question posée à l'autorité.

D'autres améliorations, de nature plus strictement procédurale et qui sonnent familièrement aux oreilles du juriste suisse, méritent d'être mentionnées ici. Il s'agit en premier lieu de 1' obligation de motivation des décisions d'octroi ou de refus de la libération conditionnelle. La pratique helvétique évolue en la matière, la jurisprudence en matière de libération conditionnelle ne faisant toutefois que s'adapter au renforce-ment des exigences quant à la motivation de la fixation de la peine30 Certes, ils' agit là de décisions judiciaires et, ici, d'une décision de type administratif, à 1' égard de laquelle les exigences en matière de motiva-tion sont tradimotiva-tionnellement moindres. Toutefois, «il faut que les expli-cations, bien que succinctes, permettent de saisir les éléments sur lesquels l'autorité s'est fondée»31

En second lieu vient la proposition d'introduire la disclosure, c'est-à-dire la publicité soit des séances, soit des décisions rendues par l' autorité32Tout comme la précédente, cette réforme n'est pas exclusi-vement, ni même principalement envisagée dans 1 'intérêt du détenu;

comme pour la réorientation vers l'évaluation du risque lié à la libéra-tion, il s'agit tout autant d'informer et de rassurer le public.

28 Parmi de nombreux autres exemples, Commission canadienne sur la détermina-tion de la peine, op. cit. note 20, p. 286; pour la Belgique, ELIAERTS, op. cit. note 3, p. 915; pour! a France, BoRRICAND J., La libération conditionnelle: quel avenir?, Re v .sc.crim., 1989, p. 596; pour la Suisse, MEYER, op. cit. note 12, pp. 361-362.

29 Bucklow Committee, op. cit. note 16, p. 77.

30 ATF 117 IV 112; 117 IV 401; 118 IV 14; 118 IV 18.

31 ATF 119 IV 8. Dans l'esprit du raidissement entourant la libération conditionnel-le, on peut relever la précision de MEYER, op. cit. note 12, p. 359: une décision de libération «en présence d'éléments négatifs>> (résultant du dossier) «devrait répondre aux mêmes exigences en matière de motivation>>.

32 Cf. Bucklow Committee, op. cit. note 16, pp. 46, 81 et 85.

4. Brève analyse de l'avant-projet de réforme suisse Le 15 juillet 1993, le Département de justice et police a mis en consultation un avant-projet de révision de la partie générale et du troisième livre du Code pénal. La libération conditionnelle subit des modifications moins radicales que d'autres institutions du droit des sanctions. Il faut toutefois relever ce qui suit.

a. La question, vivement débattue, du dies a quo a été résolue par un compromis: aux termes de l'article 86 ch. 1 et 4, la libération conditionnelle à partir des deux tiers reste la règle; «exceptionnelle-ment, le détenu qui a subi la moitié de sa peine» peut être libéré «si des circonstances particulières le justifient».

b. Le délai d'épreuve doit correspondre à la durée du solde de peine, sauf si celui-ci est inférieur à une année ou supérieur à cinq ans (art.

87 ch. 1; les limites sont reprises du Code actuel). Les règles de conduite et le patronage, rebaptisé «assistance de probation»- ce qui tranche le débat en faveur de laBewiihrungshilfe, voir ci-dessus point 1 - sont maintenus (art. 87). La violation des règles de conduite n'entraîne toutefois pas de conséquences sur le plan de la réintégra-tion; elle est purement considérée comme une indiscipline, sanction-née le cas échéant par 1' article 292 CP (insoumission aux actes de 1' autorité).

c. L'institution de la réintégration subsiste (art. 88 a). Une modification essentielle consiste dans le transfert de la compétence d'ordonner la réintégration au juge. La raison de ce transfert tient davantage à la technique qu'à un projet de politique criminelle. Dans le système proposé, en effet, le juge est invité à prononcer une peine d'ensemble à la fois pour la nouvelle infraction commise par le libéré et pour le solde de la peine devenue exécutoire à la suite de la réintégration (art. 88 a ch. 3).

Appendice: Note sur la libération conditionnelle en matière de mesures de sûreté

L'article 45 CP traite de la libération conditionnelle et à l'essai des délinquants d'habitude internés (art. 42 CP), des délinquants anormaux internés (art. 43 CP), des délinquants alcooliques et toxicomanes inter-nés (art. 44 CP).

L'autorité compétente doit examiner d'office si et quand la libération conditionnelle ou à 1' essai doit être ordonnée. Elle est tenue de se prononcer au minimum une fois par année dès 1 'expiration de la durée minimum légale de la mesure (art. 45 ch.l CP).

Les «délinquants d'habitude» au sens de 1' article 42 CP demeurent dans 1' établissement pendant une durée égale aux deux tiers de la peine, mais d'au moins trois ans, déduction faite de la détention préventive imputée (art. 69 CP). L'autorité compétente ordonne la libération conditionnelle pour trois ans au moment où le délai minimum fixé pour cette libération est écoulé, si 1' internement ne paraît plus nécessaire (art.

42 ch.4 CP)33

S'agissant des délinquants anormaux, si la cause de la mesure n'a pas entièrement disparu, l'autorité compétente peut ordonner une libération à l'essai de l'établissement (art. 43 ch.4 CP).

S'agissant des alcooliques et des toxicomanes, lorsque 1' autorité compétente tient l'interné pour guéri, elle le libère. Elle peut le libérer conditionnellement pour un à trois ans (art. 44 ch.4 CP).

Quant à la réintégration, l'article 45 ch.3 CP énonce les mêmes

33 Nous possédons sur 1' application de 1' article 42 CP des données chiffrées, certes partielles puisqu'elles portent esentiellement sur les cantons de la Suisse orien-tale (y compris Zurich), qui font défaut par ailleurs. La thèse d'HoFMANN U., Die Verwahrung nach Art. 42, insbesondere in der Praxis der Ostschweizer Konkor-datskantone, Zurich, 1985, fournit en effet d'intéressantes informations. Il en ressort entre autres que plus de la moitié de la population étudiée a été libérée de la mesure d'internement exactement aux deux tiers de la peine (24 cas sur 40, op.

cit. p. 154) et que les motifs dominants de libération conditionnelle tenaient à la bonne conduite (klaglos) durant l'internement (90% des 117 cas étudiés) et aux assurances quant au travail et au logement à la sortie de l'établissement (30% des cas, op. cit. p. 156).

conditions que l'article 38 ch.4 CP, mais permet en plus à l'autorité compétente de proposer au juge l'exécution des peines suspendues en lieu et place de la réintégration.

En outre, 1' autorité compétente peut également ordonner la réinté-gration si l'état du libéré l'exige.

Quant à la durée de la réintégration, le nouvel internement d'un délinquant d'habitude durera en règle générale au moins cinq ans (art. 42 ch.4 CP). La durée maximum de la réintégration dans un établissement prévue à l'article 44 est de 2 ans. En cas de réintégrations réitérées, la durée totale de la mesure ne dépassera pas 6 ans (art. 45 ch.3 CP).

A noter que l'article 45 CP exige, quelle que soit la mesure, que l'intéressé ou son représentant soient toujours entendus préalablement et qu'un rapport de la direction de l'établissement soit requis.

L'article 1 OOter CP, quant à lui, institue la libération conditionnelle des jeunes adultes placés en maison d'éducation au travail (art. lOObis CP). Trois conditions doivent être réunies pour autoriser la libération conditionnelle: la mesure doit avoir duré une année au moins, il y a lieu d'admettre que le jeune est apte et disposé à travailler et, enfin, il se conduira bien en liberté.

Quant à la réintégration, elle est ordonnée par l'autorité compétente aux mêmes conditions que pour la libération d'une peine privative de liberté. La réintégration dure deux ans au plus. La durée totale de la mesure n'excède jamais quatre ans. L'interné doit être libéré au plus tard lorsqu'il atteint l'âge de trente ans révolus.

R.R.

CHAPITRE III

LES PROCEDURES DANS LES