• Aucun résultat trouvé

J’aborde la gouvernance et la planification dans une acception métropolitaine collaborative. À la lumière des acceptions et des définitions retenues dans les deux sections précédentes à l’égard de ces concepts, je distille ma posture théorique en une réponse brève à la question fondamentale suivante: la gouvernance est-elle la cause ou la résultante de la nature et de l’état de la planification? Lacaze (1979: 294) soutient que «[la] manière de poser les problèmes influe sur le caractère des solutions, surtout dans un domaine aussi complexe que l’urbanisme». La manière de produire les plans censés offrir des solutions à ces problèmes influe également sur le caractère de ces solutions, c’est-à-dire sur le contenu et les objectifs des plans. En d’autres mots, la conduite de la gouvernance conditionne en bonne partie la substance de la planification. Or, et c’est là selon moi un aspect original de la thèse, la réalisation des exercices de planification conditionne elle aussi en bonne partie la dynamique de la gouvernance, en retour. Je qualifie cette dialectique de «symbiose de la planification et de la gouvernance». Au nom de cette relation symbiotique, je me penche sur la mise en place d’outils de planification donnant vie à la gouvernance métropolitaine et, inversement, sur la réalisation d’exercices de planification dans une optique de gouvernance, procédurale, davantage que d’aménagement, substantielle. Afin de pouvoir présenter les résultats de l’étude empirique effectuée sur ces dynamiques dans le Grand Montréal à cette enseigne, je dois d’abord esquisser ci-dessous le lien dialectique qui unit les deux concepts. Stead et Meijers (2009) ont constaté qu’un nouveau rôle double d’intégration intersectorielle et de définition d’objectifs sectoriels émerge pour la planification. Un cadre englobant pour les politiques sectorielles est selon eux devenu crucial pour leur intégration ou, à défaut, leur coordination — et ils jugent la planification en mesure d’en offrir un. En raison de son recours aux méthodes de gouvernance collaborative, ils croient qu’elle offre des possibilités d’intégration de politiques et que cette intégration peut en réciproque offrir à la planification une nouvelle rationalité ainsi qu’une justification pour qu’elle revête une importance accrue dans le domaine des politiques publiques. Pour ce faire, toutefois, la planification devrait selon eux être assortie de nouvelles ressources et responsabilités et d’outils novateurs. Le récent saut d’échelle de la planification du local au métropolitain peut offrir une occasion de renouvellement de ces ressources, responsabilités et outils. Gallez et Maksim (2007: 49) ainsi que

Gallez et coll. (2013a) plaident pour une planification en tant qu’objet de négociations et prenant la forme d’un espace public de débat politique permettant l’expression de contradictions, la concevant comme «un outil au service d’une plus grande cohérence de l’action publique». Proulx (2008: 51) abonde aussi en ce sens:

si le Québec désire innover davantage sur ses territoires centraux et périphériques, il devra envisager la mise en œuvre d’une procédure de planification plus visionnaire et plus interactive que celles qui ont cours actuellement. Il devra interpeller les acteurs engagés plus ou moins radicalement dans des projets de transformation sociale, culturelle, politique et économique, notamment les secteurs privé et communautaire. La capacité territoriale d’innovation ainsi que d’appropriation de responsabilités publiques et de leviers de développement dépend de ce déplacement horizontal hors du cadre stratégique, certes utile, [sic] mais trop conservateur face à l’ordre existant […].

Ce déplacement horizontal auquel il fait référence n’est nul autre que la souscription à la gouvernance, pour que la planification et sa mise en œuvre s’éloignent de la verticalité, du pouvoir descendant et de l’exercice de l’autorité par l’État central. Selon Gallez et Maksim (2007), la complexification des enjeux, la multiplication des échelles et la diversification des systèmes d’acteurs caractéristiques du passage récent du gouvernement des villes à la gouvernance urbaine (Le Galès 1995) assignent à la planification des objectifs tant substantiels que procéduraux. Ainsi soutiennent-elles que la manière dont un plan est produit importe au moins autant que son contenu. En d’autres mots, pour reprendre le libellé des trois questions fondamentales de l’ouvrage de Prost et Rioux (1977) cité ci-dessus, il ne s’agit plus seulement de s’attarder à quoi planifier mais désormais de se concentrer tout autant sur qui planifie et sur comment planifier. Or, par cette thèse, je cherche à vérifier si ce qui est planifié est plus fortement tributaire de la manière dont la planification est réalisée que de l’identité de ceux qui planifient. Dans cette optique, la planification se façonnerait dans l’intervention et l’interaction. Cela revient à dire que la question «Qui planifie?» renvoie aux dimensions tant politique que stratégique de l’action publique, donc à la question de l’exercice partagé du pouvoir. Dans cette optique, Gallez et Maksim (2007: 61) ont montré en France et en Suisse que la planification «s’insère dans le processus de production de l’action publique» en tant qu’outil d’orientation ou de gouvernance. Sa capacité à orienter l’action publique est toutefois incertaine, dans le contexte de déterritorialisation et de reterritorialisation exposé précédemment. Que la planification soit plutôt un outil de gouvernance est en effet beaucoup plus plausible, et c’est ce que j’analyse en ces pages dans le cas du Grand Montréal. Une mise en garde s’impose toutefois, car Gallez et Maksim (2007) doutent que l’évolution de la planification, décrite ci-dessus, de la «quête d’un optimum dimensionnel dans les années 1960 et 1970, à l’ambition de coordonner différents acteurs au sein de périmètres élargis dans les années 1990», soit d’une rationalité technique descendante à une perspective d’intersubjectivité hétérarchique et horizontale associée à la gouvernance, puisse véritablement s’accompagner «d’un changement des manières de penser et d’agir sur le lien urbanisme-transport» (ibid.). Selon elles, cela est attribuable

tant au caractère technique et au mode de production très institutionnalisé de ces procédures — qui les fait «s’enfermer dans la recherche de solutions plutôt que de s’ouvrir à la formulation de nouveaux problèmes» — qu’à la mobilisation du transport «au profit du renforcement des identités territoriales» — réduisant ses liens avec l’aménagement «aux enjeux de densification de l’habitat aux abords des gares ou des stations de transports publics [sic]» (ibid.). En Amérique du Nord, ce processus prend surtout appui sur le TOD. Comme je le montre en détail dans la section suivante, je me penche sur ce concept à l’aune de sa capacité non pas à engendrer cette densification axée sur le transport collectif mais plutôt à ouvrir la voie à une gouvernance métropolitaine. Autrement dit, je m’intéresse au TOD afin de déterminer s’il est ou non en mesure de susciter un tel changement des manières de réfléchir et d’interagir en matière de transport et d’aménagement. Dans les mots de cette posture théorique, je me pose la question fondamentale de sa capacité à constituer l’«agent liant» de la symbiose de la planification et de la gouvernance métropolitaines.