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Subsidiarité, marge de manœuvre au milieu régional et incrémentalisme

6. PMAD et gouvernance: Le Grand Montréal 1 Introduction

6.5 Subsidiarité, marge de manœuvre au milieu régional et incrémentalisme

L’influence de la souscription de plus en plus importante aux préceptes d’une telle gouvernance sur la substance et les procédures de la planification se fait également sentir dans le fait que la marge de manœuvre laissée aux MRC en matière d’aménagement et le respect de leur autonomie locale au nom du principe de subsidiarité a constitué une clé de la construction de l’acceptation et de la mise en adéquation contextuelle (spatiale et temporelle) de la CMM et de sa planification par les milieux régional et local. Selon le directeur général d’une MRC de la couronne sud (MRCS1 2014-09-10), c’est là une des forces et probablement l’innovation la plus significative de l’approche renouvelée de la CMM en matière de planification: «le PMAD envoie beaucoup d’enjeux-clés à l’échelle régionale en laissant le milieu s’ajuster et il laisse une place au monde supralocal». Or sous l’égide de sa loi habilitante d’origine, la CMM ne pouvait procéder ainsi «parce qu’il n’y avait pas de zone tampon entre le local et le métropolitain», alors elle se trouvait «obligée de tout assumer ou de tout laisser au

milieu local», ce qui n’était ni souhaitable ni envisageable, à son avis. Selon un de ses homologues de la couronne nord (MRCN1 2014-09-05), c’est grâce à la grande souplesse du PMAD à cet égard, suffisante même pour les acteurs des banlieues, que les gens s’y sont ralliés. Elle constitue toutefois une lame à deux tranchants, selon lui, car elle leur laisse en contrepartie beaucoup plus de latitude pour poursuivre leur développement monofonctionnel épars. Le non respect des échéances pour la révision des SAD ou l’adoption de règlements de concordance par douze des quatorze autorités régionales fournit des arguments additionnels justifiant cette crainte.

La transformation de la planification en un processus continu a également rendu possible un certain cheminement réciproque des acteurs politiques et techniques du Grand Montréal vers un relativement nouveau terrain d’entente: le va-et-vient entre planification métropolitaine, aménagement régional et urbanisme local par incrémentalisme (Lindblom 1959). Le fait que le PMAD ne soit pour la forte majorité des acteurs interviewés qu’un point de départ révèle bien cette transformation qui s’est opérée dans les conceptions des parties prenantes de la planification métropolitaine grand-montréalaise durant l’épisode de 2011. En écho au fait que le PMAD soit le mieux que les acteurs de la région pouvaient livrer comme premier geste, l’employé de la CMM responsable de l’aménagement (CMM2 2013-12-10) soutient que ce qui y est écrit «est une transcription de ce que l’on considère actuellement être le plus faisable pour la région» et que, dans les circonstances, «le défi, à partir de maintenant, c’est d’aller plus loin; de prendre chaque point puis de le porter plus loin». Cette idée d’«aller plus loin» est évoquée par beaucoup d’acteurs interviewés. Le directeur général d’une MRC de la couronne nord (MRCN1 2014-09-05) abonde dans le même sens: «en travaillant avec, on se dit qu’on peut aller plus loin». Son homologue d’une MRC de la couronne sud (MRCS1 2014-09-10) profite aussi de la conjoncture créée par le PMAD pour «pousser [ses] communautés à aller plus loin sur une meilleure gestion de l’urbanisation à l’intérieur [du] territoire à urbaniser».

Leur conception à l’égard du PMAD s’apparente à l’approche de planification par petits pas (PPP) décrite par Proulx (2008): elle procède de manière éclatée, disjointe et incrémentale, par essais, erreurs et corrections successifs et cumulatifs. On la représente souvent par la démarche d’un individu faisant deux pas vers l’avant, puis un pas vers l’arrière, et à nouveau deux pas vers l’avant, etc. Le responsable de l’aménagement à la CMM (CMM2 2013-12-10) l’a quant à lui comparée au «principe de la saucisse Hygrade»: en révisant leur SAD, les MRC «iront plus loin» que le PMAD, pour reprendre l’expression attestée, puis en révisant le PMAD, la CMM «ira plus loin» que la MRC qui était allée le plus loin dans son SAD, et ainsi de suite. L’objectif est qu’ainsi, les MRC et municipalités «les plus avancées» (il cite la démarche de revitalisation du centre-ville de Châteauguay en exemple) servent de «modèles» à leurs voisines et que les citoyens des voisines en question enjoignent leurs autorités locales à en faire de même. Cet appui tous azimuts sur ses partenaires — de la CMM sur ses MRC, des MRC sur leurs municipalités ainsi que des municipalités les unes sur les autres et sur leurs citoyens

désireux de voir leur milieu de vie s’améliorer — est une manifestation de l’approche de gouvernance collaborative et de planification itérative à laquelle les acteurs de la région disent avoir souscrit en adoptant le PMAD.

En revanche, dans son avis sur le PPMAD, le MTQ (2011: 4) a souligné les dangers de cette approche axée sur la confiance des autorités provinciales (MAMOT) et métropolitaines (CMM) dans la bonne foi de leurs partenaires régionaux et locaux. Selon le ministère, ni le contexte légal ni l’histoire de l’aménagement régional québécois ne justifient une approche incrémentale basée sur le volontarisme:

la révision du PMAD n’est pas prévue de manière systématique dans la LAU actuelle. Une fois adopté et mis en vigueur, le PMAD pourrait rester tel quel pour un nombre indéterminé d’années. L’expérience reliée à la révision des schémas d’aménagement et de développement (SAD) montre qu’il n’y a rien d’acquis sur ce point et cela est dû en partie à la lourdeur du processus d’élaboration, de révision et de mise en vigueur de ces documents de planification des partenaires municipaux. À titre d’exemple [sic], le SAD de l’agglomération de Montréal et celui de la MRC de Laval datent respectivement de 1987 et 1990 et sont toujours en vigueur et opposables au gouvernement.

En effet, le SAD montréalais a été adopté en 1986 et est entré en vigueur en 1987. Ce n’est qu’à la fin janvier 2015 que l’agglomération de Montréal a adopté son SAD révisé, le deuxième seulement depuis l’adoption de la LAU en 1979. La CMM a émis son certificat de conformité au PMAD le 19 mars et le ministre a transmis son avis le 1er avril, confirmant son entrée immédiate en vigueur. La mise en conformité des plans et règlements d’urbanisme des villes liées et des arrondissements de la Ville de Montréal, qui aurait dû être complétée avant le 12 septembre 2012, n’a pas encore été annoncée. Les réticences des élus et des planificateurs des couronnes quant aux caractère contraignant du PMAD ne peuvent ainsi expliquer les retards majeurs dans la traduction des orientations du PMAD dans les documents de planification régionaux et locaux. À preuve, les deux seules autorités régionales à s’être acquittées de leurs responsabilités à cet égard dans le respect des délais prescrits sont en effet des MRC des couronnes, et non la Ville de Laval ou les agglomérations de Longueuil et de Montréal, pourtant beaucoup plus favorables au PMAD. Toutefois, selon l’employée de la CMM qui interagit avec les autorités régionales pour mettre en concordance leur SAD (CMM1 2014-07-24), les retardataires travaillent fort depuis l’entrée en vigueur du PMAD pour remplir leurs obligations en la matière, accréditant ainsi l’idée que la région est passée à l’ère de la planification en continu. Il faudra toutefois voir, au moment de la révision du PMAD, prévue par la CMM pour 2017 malgré l’absence d’exigence formelle à cet égard dans la LAU, dans quelle mesure la nouvelle approche de co-construction, le caractère désormais itératif de la planification et le «principe de la saucisse Hygrade» seront honorés. L’assez bon état de la gouvernance de la région et des relations entre les acteurs urbains et suburbains, depuis l’adoption du PMAD, permet toutefois à plusieurs acteurs de demeurer optimistes à cet égard.