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La surveillance des polluants organiques dans le milieu aquatique . Les enjeux et les techniques actuelles

Avant - propos

1 La surveillance des polluants organiques dans le milieu aquatique . Les enjeux et les techniques actuelles

Le terme « pic hydrique », en analogie avec le terme de « pic pétrolier », fait, de nos jours, parti du vocabulaire des environnementalistes. Á la différence du pétrole, l’eau est un élément renouvelable mais ses disponibilités et son renouvellement ne permettent pas de compenser les utilisations humaines excessives. Sur l’ensemble de l’eau disponible sur terre 1 % seulement est de l’eau douce. Le terme de « pic hydrique » signifie que l’homme atteint les limites naturelles de disponibilité en eau et qu’au-delà de ce point, les ressources seront en déclin (Palaniappan et Gleick, 2009). Ces mêmes auteurs précisent qu’en 2020, afin répondre aux besoins de la population croissante, la consommation en eau douce dans le monde devrait augmenter de 40 %. En plus de sa raréfaction s’ajoute des problèmes lié à sa qualité. En 2003, le Programme mondial pour l'évaluation de l'eau des Nations Unies publiait que dans le monde, chaque jour, deux millions de tonnes d'eaux usées et de déchets industriels et agricoles sont déversés dans les écosystèmes aquatiques (World Water Assessment Programme, 2003). La carte présentée en Figure 1, illustre ce propos et montre les pressions anthropiques exercées sur l’eau et les écosystèmes aquatiques dans le monde en soulignant les disparités entre les continents.

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Figure 1 : Exemples de pressions anthropiques exercées sur les écosystèmes aquatiques (adapté de(UNEP/GRID-Arendal, 2010; UNEP/GRID-Arendal and Ahlenius, 2010).

9 L’absence de traitements des eaux usées et des déchets entraîne le relargage d’une quantité importante de minéraux, de composés organiques et de métaux ayant un impact sur la qualité du milieu.

Face à ces constats, il est plus que primordial de préserver l’eau en termes de quantité mais également de qualité. Aujourd’hui, des réglementations existent à l’échelle mondiale comme européenne. En 2001, la Convention de Stockholm a été adoptée ; en 2014, 152 pays ont approuvé cette convention visant à diminuer voire stopper la production de polluants organiques persistants (i.e pesticides organochlorés ; polychlorobiphényles, PCB ; dioxines ; furanes ; perfluorooctane sulfonique, PFOS) (www.pops.int). Sur le plan européen, depuis 1976, la directive européenne 76/464/CEE, abrogée en 2000 par la Directive 2000/60/CE ou Directive Cadre sur l’Eau (DCE), vise à réduire les rejets de substances dangereuses dans le milieu aquatique (Directive n°76/464/CEE, 1976, Directive n°2000/60/CE, 2000). La DCE a pour objectif de définir l’état écologique et chimique de chaque cours d’eau européen et d’en restaurer le « bon état ».

Des directives pour l’évaluation du risque environnemental ont été éditées par l’Agence de protection environnementale américaine (US EPA , Figure 2, (U.S Environmental Protection Agency, 1998).

La méthodologie est divisée en trois étapes :

i - La formulation du problème – correspondant à l’élaboration d’hypothèses sur les causes réelles ou potentielles d’effets écologiques par la mise au point de modèles conceptuels itératifs. Ces représentations mettent en relation les sources de stress avec des écosystèmes potentiellement à risques et les impacts environnementaux possibles ou observés.

ii – L’analyse – basée sur les hypothèses définies par les modèles, vise à donner les informations nécessaires pour prédire ou caractériser les réponses écologiques d’un écosystème soumis aux pressions. Cette phase est séparée en deux parties, la caractérisation de l’exposition et celle des effets écologiques. Les données obtenues permettent de caractériser le risque mais également de compléter les modèles conceptuels de l’étape précédente.

iii - La caractérisation du risque – cette ultime étape a pour but de recenser toutes les informations obtenues durant les phases précédentes afin de déterminer les liens existants entre les facteurs de stress, les milieux récepteurs et les effets pour estimer les risques pouvant exister sur l’écosystème et les communiquer aux gestionnaires.

La phase d’analyse est l’étape clé de l’évaluation du risque. Elle alimente à la fois la formulation du problème et la phase finale. Elle est constituée de deux éléments principaux, la caractérisation de l’exposition et celle des effets écologiques.

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Figure 2: Diagramme général de l'évaluation des risques écologiques (U.S Environmental Protection Agency, 1998).

L’évaluation de l’exposition requiert de déterminer la présence de contaminants dans les écosystèmes en estimant leur concentration et leur biodisponibilité. Cette partie fait appel à la chimie analytique environnementale. De par les différentes techniques de séparation et les détecteurs aujourd’hui disponibles, les instruments analytiques permettent d’analyser une large gamme de polluants organiques dans l’environnement. Les analyses ciblées sur une pré-sélection de molécules sont privilégiées pour la surveillance du milieu (Picó et Barceló, 2008). Ces analyses étant optimisées sur des composés prédéfinis, elles permettent d’atteindre des niveaux de concentrations pouvant être qualifiés de traces. Cependant, elles ne prennent pas en compte toutes les molécules présentes dans les échantillons et sont susceptibles de sous-estimer un danger potentiel. Pour pallier ces limites, de nouvelles techniques analytiques de recherches de molécules ont été développées comme la spectrométrie de masse haute résolution (HRSM) (Krauss et al., 2010; Dévier et al., 2011).

Néanmoins afin d’appréhender un risque réel, il est nécessaire de caractériser des effets écologiques et par conséquent de faire appel au domaine de la biologie. Dans l’évaluation du risque, cette étape est la caractérisation des effets. L’approche se base sur des essais multi-espèces pouvant être effectués en microcosmes et mésocosmes afin de essayer de déterminer les effets de mélange de contaminants et la possible bioaccumulation le long des

11 réseaux trophiques (Perrodin, 2012). L’évaluation des effets combinés est l’une des principales difficultés à résoudre et doit absolument être prise en compte pour une évaluation correcte et pertinente du risque.

La phase d’analyse (i.e. caractérisation de l’exposition et caractérisation de l’effet) amène à l’étape de la caractérisation du risque qui combine toutes les données obtenues (U.S Environmental Protection Agency, 1998). Cette dernière étape permet entre autre d’établir des valeurs guides renseignant sur le risque écologique. Les normes couramment employées à l’échelle mondiale sont la PEC (Predicted Environmental Concentration), c’est-à-dire la concentration attendue d’un composé dans l’environnement, et la PNEC (Predicted Non

Effect Concentration), c’est-à-dire la concentration d’un contaminant en-dessous desquelles il

n’y a pas d’effets biologiques. Le rapport PEC/PNEC permet d’estimer le potentiel risque d’un composé sur l’environnement. Au niveau européen, dans le cadre de la DCE et pour répondre à la politique communautaire, des Normes de Qualités Environnementales (NQE) ont été établies. Une fois enregistrées, ces valeurs sont utilisées afin de définir le « bon état écologique et chimique » des écosystèmes aquatiques et servent donc de données guides pour la surveillance de la qualité du milieu (Chochois and Migné-Fouillen, 2011).

1.2 Les limitations

La surveillance de l’environnement se réfère classiquement aux réglementations qui sont établies lors de l’évaluation du risque. Les conventions se focalisent sur un nombre défini de molécules. La DCE, par exemple, préconise la surveillance de 53 molécules (Directive

2013/39/UE, 2013). Or en mai 2014, la société américaine de chimie référençait plus de 88

millions de molécules (Chemical Abstract Service, CAS , www.cas.org). La présélection de composés ne représente donc qu’une infime partie des contaminants pouvant se retrouver dans l’environnement et peut même être qualifiée de dérisoire face aux nombre de molécules synthétisées. De plus, une fois introduits dans le milieu, ces composés subissent de nombreux processus biotiques et abiotiques (e.g. phototransformation, biotransformation) qui peuvent générer des sous-produits pouvant être plus dangereux que les molécules parents. Ce constat est décrit, entre autre, par Sinclair et Boxall, (2009) qui ont regroupé des données de toxicité d’un lot de pesticides et de leurs produits de transformation sur Daphnia pulex. Sur 157 comparaisons, 16,7 % des produits de transformation se sont révélés plus toxiques que les composés initiaux. Fenner et al., (2009) ont montré que la prise en considération des produits de transformation liés à la dégradation microbienne d’un herbicide, le diuron, augmentait de 70 % le danger encouru. Si l’on considère ce composé, actuellement dans le cadre de la DCE, seule la forme mère soit le diuron est suivie mais rien n’est stipulé quant à ses produits de dégradation comme le dichlorophénylméthyl-urée et le dichlorophényl-urée (Directive

2013/39/UE, 2013). Dans les réglementations européennes, une recommandation de

surveillance des produits de transformation existe dans le suivi de certains pesticides mais rien ne transparait clairement pour les autres classes de contaminants tels que les composés pharmaceutiques (Fenner et al., 2009). En plus de ces produits de transformation, il peut

12 exister des effets complexes de mélanges entre les molécules (Celander, 2011). Ces effets mélange sont difficiles à mettre en évidence et représentent un point laissé de côté dans l’évaluation du risque.

La sous-estimation du danger est d’autant plus importante que la détection de composés présents n’est pas toujours réalisable. En effet, la préparation des échantillons en elle-même peut entraîner une perte non négligeable de composés. Il est difficile voir quasiment impossible d’être exhaustif lors du traitement d’un échantillon. Du prélèvement à l’analyse, des molécules sont exclues à cause leurs diverses propriétés physico-chimiques. Á ce constat s’ajoute le fait que certains composés peuvent entraîner une réponse biologique à des concentrations extrêmement basses. A titre d’exemple, dans la DCE, plusieurs composés possèdent des NQE moyennes annuelles de l’ordre de la dizaine de pg/L. Un insecticide, la cyperméthrine, en est une illustration avec une NQE moyenne annuelle dans les eaux de surface intérieures (e.g. rivières, lacs...) de 80 pg/L. L’insecticide organochloré, l’heptachlore et son produit de dégradation l’époxyde d’heptachlore possèdent les NQE les plus basses (0,2 pg/L, NQE moyenne annuelle dans les eaux de surfaces) (Directive 2013/39/UE, 2013). Bien que performante, les techniques analytiques actuellement disponibles ne permettent pas la détection de ces molécules à ces niveaux de concentrations. Les tests biologiques utilisés pour rechercher les possibles effets sont souvent plus sensibles que les analyses chimiques. Cependant dans un échantillon environnemental, ils ne peuvent que constater l’effet biologique du mélange non caractérisé sans pouvoir remonter à la cause de la réponse.

Toutes ces limites amènent à la difficulté d’établir un lien correct entre molécules présentes et effets biologiques observés.

2 Une meilleure appréhension de la contamination grâce aux approches