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M E T HOD OL OGI E

4.2 Sur la même longueur d’onde ?

Le but ici est d’articuler notre critique du système économique avec les réflexions des personnes interviewées. Dans quelle mesure celles-ci font des parallèles, directs ou indirects, avec notre critique ? En quoi les acteurs sont-ils sur la même longueur d’onde, d’un point de vue économique, social et écologique ?

Lorsqu’il s’agit de définir la transition écologique, les points de vue des acteurs sont homogènes. L’un des membres du comité d’APRÈS-VD est explicite à ce sujet : « c’est une transition qui n’est pas strictement écologique, c’est une transition globale, économique, culturelle. C’est un changement de civilisation » (Burnand, entretien no 1). Corroborant ce propos, une autre personne déclare : « c’est vraiment une transition vers une autre façon de penser, d’appréhender le fonctionnement même de nos sociétés. Pour moi, c’est une transition de durabilité forte. Ça implique de repenser les fondements de la façon dont on conçoit l’économie, son rôle, dont on conçoit les relations sociales » (Paul, entretien no 8). Dans la même veine, le membre du comité d’APRÈS-GE indique que « cette transition est un énorme challenge ; elle est peu adressée aujourd’hui, peu reconnue en tant que telle, peu enseignée, relativement peu étudiée. (…) Si vous travaillez en prospective durable, à quoi peut ressembler cette société, en 2050, qui respecte les limites planétaires ? C’est des changements absolument considérables » (Dunand, entretien no 3). Les autres acteurs se rejoignent sur ce point : la transition écologique est globale, multidimensionnelle et implique une transformation profonde de la société. En résumé :

« Pour moi, la transition écologique, c’est une transformation en profondeur de la société, des structures, des institutions, mais aussi des imaginaires, des comportements, des dynamiques sociales, humaines.

C’est vraiment, presque une révolution, même si placide, fin… calme. En tout cas, c’est une transformation en profondeur de la société actuelle, de sorte à construire une société qui permette de respecter les limites biophysiques de la planète. En passant aussi, toutes les questions d’équité et tout ça. Pour moi, on peut pas parler de transition écologique sans parler des questions sociales par exemple » (Serlavós, entretien no 9).

Car, comme nous l’avons montré précédemment, la dimension écologique n’est pas dissociable de la dimension sociale. À partir de là, l’étendue de la transition écologique devient vaste. À cet égard, la membre du comité d’APRÈS-VD signale : « y’a pas de transition

écologique sans transition sociale. Voilà, j’ai pas envie de vivre dans un monde qui respecte les limites planétaires mais qui ne respecte pas l’humain. Pour moi, faut faire les deux » (Brenet, entretien no 2). Le responsable pédagogique des jardins du Rocher soulève aussi l’enjeu du consentement populaire : « (…) pour moi, clairement – y’a qu’à voir ce qui se passe en France – y’a intérêt que [la transition] soit socialement jouable pour y trouver une adhésion, fin voilà… » (Anglada, entretien no 10). L’autre membre du comité de la chambre vaudoise partage la même vision, et met en lumière, entre autres, le rôle des inégalités socioéconomiques dans la transition écologique :

« Pour bien considérer l’élément écologique, beaucoup de valeurs, normes, fonctionnements sont à changer. C’est une nouvelle narration. De là, on traitera bien la transition. (…) Y’a une question d’équité

et de justice là-derrière. Si on veut mieux traiter l’écologie, ce sera aussi en changeant nos rapports humains, non pas par la compétition, mais par la solidarité, la coopération et l’échange, et donc une certaine forme de justice, de répartition des ressources. (…) Y’a une distribution très inégale des effets néfastes de la destruction de l’environnement. Donc c’est indissociable, pour ces raisons-là. C’est pour ça que c’est une transition culturelle : y’a trop de boutons sur lesquels appuyer pour inverser la machine » (Burnand, entretien no 1).

Cet acteur, en définissant la dimension sociale, souligne les liens entre le monde social et le monde économique : « la dimension sociale, c’est celle où sont inscrites les normes, les valeurs, les pratiques ; et pis, aujourd’hui, tout ça tourne quand même autour d’une économie dans laquelle c’est le rendement économique, monétaire, qui est mis en avant » (Paul, entretien no 8).

En effet, dès lors que la dimension sociale est impliquée dans la transition, le rôle du modèle économique doit être discuté. La sphère économique n’est pas indépendante de la sphère sociale ; les deux interagissent et, idéalement, fonctionnent en harmonie. Nous touchons ici à la question du désencastrement économique. Pour cet acteur, bien qu’exprimé avec d’autres mots, ce désencastrement a bien lieu :

« La problématique de la transition me préoccupe depuis un bon moment, parce que je me rends bien compte que le système économique dans lequel on se trouve actuellement va contre un mur, quoi… le mur des limites de la biosphère, qui nous fait vivre. Donc voilà, il est urgent quelque part de favoriser cette transition. Alors bon, ça passe par son propre comportement individuel et son propre cheminement, mais ça passe aussi par des dynamiques structurelles, donc voilà. (…) On a les ressources humaines, les ressources naturelles, et on en exploite une comme on exploite l’autre. On est dans une logique qui n’est pas saine, parce que c’est pas une question d’exploitation de la nature, des ressources humaines, mais

une question de construire une économie qui est une gestion de la maison – pour reprendre l’étymologie du mot –, de cette maison commune qu’est la planète terre » (Huot, entretien no 7).

Ce témoignage renforce particulièrement l’analyse, produite en introduction, du désencastrement économique à l’aune de la crise écologique. Si le modèle économique est incompatible avec les limites planétaires, alors il est hors-sol, ou désencastré. Pour cette représentante de La Manivelle, « [il] faut qu’on réfléchisse notre lien avec la propriété privée, qui est complètement biaisé par notre modèle économique, puisqu’il fonctionne grâce à ça » (Scotton, entretien no 5). Symétriquement, Burnand fait référence au mythe du Grand Marché et au verrouillage de la classe dominante :

« Le cadre public doit changer, ouais. Le cadre économique n’existe pas actuellement ; c’est le marché, c’est la loi de la jungle. Le marché va réguler les choses, l’offre, la demande. Mais c’est pas vrai. C’est un des gros trucs à faire comprendre avant de promouvoir l’ESS, c’est les illusions autour de l’autorégulation des acteurs économiques par le prix. Y’a des grosses distorsions en réalité. » Il poursuit son analyse en ajoutant : « on en est loin [d’une société moins inégale], parce qu’on la nourrit ; on pense que la concurrence, la propriété privée, la course au profit, c’est ça qui est le socle. On commence à se rendre compte que c’est pas possible, culturellement, mais après y’a les forces des dominants, ceux qui profitent de ce système, qui font tout pour retarder ce changement » (Burnand, entretien no 1).

Le point de vue du responsable financement de la BAS est plus modéré, le système économique n’étant pas explicitement mis en question. Mais la transition écologique, pour lui, vise quand même à « (…) fonctionner aujourd’hui, et donner la planète à nos enfants dans un état en tout cas pas pire que celui dans lequel on l’a trouvée » (Donninger, entretien no 4).

Globalement, la majorité des acteurs s’accorde pour dire que le modèle économique actuel est, en tout cas en partie, obsolète. Aucune réelle tension ou dissension à ce niveau n’a pu être identifiée au cours de l’analyse. Ils semblent partager un projet de société relativement similaire : moins de concurrence, de propriété privée, de laissez-faire ; plus de durabilité, de régénération écologique, de coopération, de liens sociaux. C’est un premier point important à souligner dans le cadre de l’identification de synergies entre ces différents acteurs. D’une part, ils semblent bien conscients des enjeux de la crise écologique et sociale, documentée dans le premier chapitre. D’autre part, l’analyse des causes de cette crise est commune, et la forme de société vers laquelle se diriger collectivement aussi. Ainsi, est identifiée une première articulation, d’ordre intellectuel.