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Chapitre 3 La mise en place et le développement des services en oncologie au Québec, le

3.4. Les débuts de l’oncologie à l’Hôtel-Dieu de Québec et le développement de la

3.4.7. La pratique de l’interdisciplinarité entre les spécialités médicales, 1970 à

3.4.7.2. Le suivi des patients qui ne sont plus en traitement actif

À la suite de l’amélioration des traitements et de l’allongement du temps de survie des patients, la prise en charge du suivi des patients qui ne sont plus en traitement actif est également devenue problématique. Chaque spécialité était d’avis que ses spécialistes avaient la responsabilité et le devoir de suivre les patients et le mode de rémunération à l’acte encourageait cette façon de faire. Les spécialités médicales ont donc été dans l’obligation de négocier entre elles pour déterminer quel spécialiste était le plus apte à prendre en charge cette phase de la trajectoire des patients et quel était le rôle et les responsabilités des deux autres spécialités.

Jusque dans les années 1990, la plupart des médecins de chaque spécialité demandaient à leurs patients de venir quelques fois par année pour le suivi et ainsi s’assurer qu’il n’y avait pas de récidive. Toutefois, l’augmentation de la charge de travail et la pression de plusieurs patients sur les différents spécialistes ont amené une modification de l’organisation du travail; tel que les illustrent les extraits suivants :

« une patiente, qui venait de Rivière-du-Loup, me dit un jour : « je suis tannée de venir à l’Hôtel-Dieu 12 fois par année. Je vais bien. Vous faites tous les mêmes choses et je vais bien. Mon mari perd une journée de travail à chaque fois pour venir me conduire ». (…) [Tous les médecins] veulent le bien du patient, mais c’est évident que 12 examens par année c’est beaucoup et que ça coûte des sous à l’État » (chirurgien).

« Ça créait un peu de malaise et les gens disaient que ça n’avait pas de bon sens. Par mois, les patients pouvaient être vus par 3 ou 4 personnes de disciplines différentes. C’est des visites supplémentaires inutiles et elles n’ont pas leur raison d’être » (oncologue médical).

Bien qu’à ce jour il y a toujours un certain dédoublement dans le suivi à long terme des patients, ceux-ci seraient beaucoup moins nombreux. De façon générale, les oncologues ont négocié l’entente suivante : les patients avec des cancers hématologiques et des cancers métastatiques ont été mis sous la juridiction des oncologues médicaux; quant aux patients

souffrants d’autres types de cancers, c’est eux qui choisissent le spécialiste responsable de faire leur suivi médical. Dans un tel contexte, le médecin traitant ne réfère pas au premier spécialiste qui a vu le patient puisque le travail fonctionne toujours sur la base du travail en équipe. La logique sous-jacente à la répartition des patients est la suivante : le premier critère est la complexité de la médication et le second, la capacité de voir le plus de patients possible dans un laps de temps donné. Prenons deux exemples de dames qui ont développé un cancer du sein et qui ont reçu des traitements chirurgicaux, par radiothérapie et de la chimiothérapie. Le cancer de la première dame était métastatique. Le suivi de cette dame serait automatiquement fait par l’oncologue médical. Quant à la deuxième dame, cette dernière a eu un cancer non-métastatique. En raison de l’absence de métastases, cette dame verrait le chirurgien ou le radio-oncologue selon ses préférences personnelles et le temps dont dispose chacun des spécialistes qui l’ont traité. Dans un tel contexte, le médecin traitant est le membre de l’équipe d’oncologie responsable de procéder au suivi médical et d’effectuer l’ensemble des tests nécessaires, alors que les autres spécialistes agiraient à titre de consultants, si besoin est. Toutefois, advenant que cette seconde patiente développe des métastases, celle-ci serait alors immédiatement référée à l’oncologue médical qui deviendrait alors son médecin traitant et qui serait responsable de sa prise en charge.

Synthèse des négociations pour l’établissement d’une interdiscipline (1970 – 2000)

Du début des années 1970 aux années 2000, l’oncologie a vécu d’importantes transformations. En effet, des luttes de juridictions et différentes négociations de l’ordre social ont façonné l’oncologie de façon à lui permettre de devenir une interdiscipline.

Les années 1970 et 1980 ont été marquées par des luttes de juridiction d’abord entre les radio-oncologues et les chirurgiens, ensuite entre les oncologues médicaux et les autres oncologues (i.e. les chirurgiens et les radio-oncologues). Ces luttes de juridiction avaient pour objectif de permettre aux radio-oncologues et aux oncologues médicaux de monopoliser, respectivement, le traitement par radiothérapie et par chimiothérapie. Ainsi,

ces deux groupes d’acteurs ont, avec un succès variable, fermé leurs frontières dans le but de s’approprier une expertise, un savoir-faire et une technologie, et d’en exclure les autres oncologues.

De plus durant cette même période, la définition du cancer a changé et la nouvelle définition imposait une transformation des frontières culturelles, i.e. rapprochement entre les spécialités, ainsi qu'une intensification des échanges et de la collaboration. Pour ce faire, les spécialités oncologiques ont été dans l’obligation de rendre leurs frontières perméables et flexible, et de négocier un nouvel ordre social. Ces négociations ont principalement eu lieu dans le cadre des conférences des tumeurs et ont été très complexe considérant l’absence et le peu de connaissances scientifiques ou, encore, les contradictions entre les études. De plus, la complexité des négociations a également été amplifiée par l’obligation de négocier l’ordre social à la pièce, i.e. en fonction de chacun des cancers et de ses diagnostics. Ainsi, plusieurs oncologues de l’Hôtel-Dieu de Québec ont qualifié l’ambiance des conférences des tumeurs de « disciplinaire » durant les années 1970 et 1980. En effet, l’absence d’évidences scientifiques et la nécessité de traiter les patients plaçaient les oncologues dans une position difficile et les poussaient à défendre leur spécialité et leur vision du monde. Les frontières de chacune des spécialités oncologiques étaient donc relativement rigides.

À partir du début des années 1990, les luttes de juridictions sont devenues de plus en plus perméables. En effet, certaines discussions autour des cas pouvaient toujours soulever les passions, toutefois l’abandon définitif de la théorie locorégionale, les départs à la retraite de plusieurs oncologues et l’arrivée de nouveaux oncologues formés de façon interdisciplinaire, ainsi que le développement d’évidences scientifiques pour un nombre grandissant de cancers ont fait en sorte que la dynamique s’est progressivement transformée. Les spécialités oncologiques ont donc assoupli leur frontière respective obligeant les oncologues à prendre connaissance, à discuter et à évaluer la littérature provenant des spécialités autres que la leur et à baser leurs décisions cliniques sur un accord

commun autour de l’ensemble de la littérature. Ainsi dans le cadre des conférences des tumeurs, les frontières culturelles qui existaient en oncologie se sont transformées de façon à permettre une interpénétration entre les spécialités oncologiques, plutôt qu’un travail en parallèle.

3.4.8. Synthèse et discussion quant aux débuts de l’oncologie à l’Hôtel-