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Chapitre 3 La mise en place et le développement des services en oncologie au Québec, le

3.1. Revue de littérature sur l’interdisciplinarité et la collaboration en oncologie

3.1.2. L’interdisciplinarité et le centre d’oncologie

Selon Pinell (2002), l’idée de traiter les patients atteints du cancer grâce à la collaboration de plusieurs spécialités médicales était présente depuis le début des traitements par rayons X et par radium, soit dès la fin du 19e siècle. Toutefois, c’est au cours des années 1920 que cette idée prenait forme et s’implantait en Europe et aux États- Unis. En France, cette idée aurait d’abord été défendue par les médecins et les scientifiques

qui s’intéressaient à l’utilisation de l’électricité et des radiations dans le traitement des patients, c’est-à-dire par les futurs radiologues (Pinell, 2002, p. 20-27). La promotion de ce nouveau mode d’organisation du travail se situait au cœur de la dynamique professionnelle des futurs radiologues qui souhaitaient être reconnus comme spécialistes et pour lesquels la promotion de la collaboration avait pour objectif d’améliorer leur statut social. Tel que le souligne Pinell, la hiérarchie hospitalière place les médecins dont les actions permettent de guérir les malades dans le haut de la hiérarchie, alors que ceux dont les actions sont de nature palliative se situent dans le bas; la radiothérapie de l’époque se situait donc au bas de la hiérarchie. Ainsi, en faisant la promotion du travail en collaboration avec les chirurgiens, les futurs radiologues tentaient à la fois de rehausser leur statut social au sein du milieu médical (Pinell, 2002, p. 54-59) et d’ajouter de la crédibilité à leur projet de créer une nouvelle spécialité médicale autour de l’utilisation des radiations.

Toutefois, il semble que la médecine de guerre a joué un rôle majeur dans l’adoption du centre d’oncologie, i.e. le modèle organisationnel qui encourageait une plus grande collaboration entre les spécialités médicales et la recherche scientifique et clinique (Pinell, 2002). En effet, les particularités de la médecine sur les champs de bataille avaient pour effet d’aplanir les hiérarchies sociales et d’obliger les différents spécialistes à travailler en étroite collaboration, créant ainsi un précédent dont se sont inspirés les leaders de l’oncologie qui ont mis la coopération au cœur de la philosophie des centres d’oncologie. Ainsi, les centres d’oncologie ont organisé le travail de façon à favoriser la collaboration entre les spécialités médicales, mais également entre les cliniciens et les chercheurs. Par rapport au développement de la recherche sur le cancer, la collaboration entre les chercheurs et les cliniciens a principalement été soutenue par Claude Regaud, directeur des laboratoires de radiophysiologie de l’Institut du radium de Paris. À son retour à l’Institut en 1919, il délaissait la recherche purement fondamentale au profit de travaux voués au « traitement scientifique du cancer » (Pinell, 2002, p. 87). Ce faisant, il réorientait les travaux de l’Institut du radium et érigeait la collaboration entre la clinique et la recherche fondamentale en système (Pinell, 2002; Vincent, 1997, p. 300).

Au plan clinique, l’organisation des services offerts aux patients atteints du cancer a également été influencée par les modèles développés par l’American College of Surgeons. Publié en 1930 dans le but de permettre la « promotion of better cancer service throughout the continent » (American College of Surgeons, 1930, p. 1-2), l’American College of

Surgeons définissait quatre modèles organisationnels, soit l’institut du cancer, le laboratoire

de recherche sur le cancer, l’hôpital spécialisé en oncologie, et la clinique du cancer localisée dans un hôpital général a) à titre de clinique complète ou b) à titre de clinique diagnostique. La publication de ces modèles avait à la fois pour objectif de promouvoir la lutte contre le cancer, et d’appuyer les cliniciens et les administrateurs des hôpitaux généraux quant aux meilleurs façons d’organiser les services propres au traitement du cancer.

De plus, l’American College of Surgeons réalisait des études annuelles pour identifier les organisations qui répondaient à ses critères et elle en publiait la liste dans le numéro d’octobre du Bulletin. Selon Gagnon (1956, p. v), cette pratique ne laissait pas indifférente la direction de plusieurs hôpitaux et universités québécoises, dont les membres de la direction du Centre anticancéreux de l’Université Laval, de la Faculté de médecine de l’Université Laval et de l’Hôtel-Dieu de Québec.

Au plan des services cliniques, l’American College of Surgeons plaçait la collaboration entre les spécialités médicales au cœur de l’organisation du travail. Ainsi, un hôpital qui souhaitait offrir des services d’oncologie devait favoriser le développement d’une clinique d’oncologie regroupant principalement des chirurgiens, un pathologiste et des radiothérapeutes. Par ailleurs, on soulignait que la clinique d’oncologie profiterait grandement des services de représentants des spécialités suivantes : médecine interne, ophtalmologie, ORL, gynécologie, urologie, dermatologie, dentisterie, neurochirurgie et chirurgie orthopédique. Selon l’American College of Surgeons, « such a group should work together in constant consultation in determining the plan of treatment to be followed in the individual case and together should consider the progress of the patient as he subsequently

returns periodically to the hospital for observation » (1930, p. 4-5). Toutefois, malgré l’importance accordée à la collaboration, l’American College of Surgeons était très clair quant à la hiérarchie existant au sein de l’équipe d’oncologie. Ainsi, dès la première publication de sa brochure d’information parue en 1930, on indiquait :

« the American College of Surgeons takes the stand that cancer is, in principle, a surgical problem; that the diagnosis and treatment of cancer should be recognized as a responsibility of the surgeon or radiologist who has had surgical training; that he should be qualified for this work by experience in the surgical pathology of tumors and in the employment of radiation methods as well as surgery for both the radical and palliative treatment of cancer (…) » (American College of Surgeons, 1930, p. 5). En d’autres mots, bien que le travail se doive d’être fait en équipe, le chef de l’équipe d’oncologie se devait d’être le chirurgien.