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L’arrivée du pathologiste et la création de l’Institut d’anatomo-pathologie et du

Chapitre 3 La mise en place et le développement des services en oncologie au Québec, le

3.4. Les débuts de l’oncologie à l’Hôtel-Dieu de Québec et le développement de la

3.4.1. L’arrivée du pathologiste et la création de l’Institut d’anatomo-pathologie et du

En 1928, les pathologistes de la Faculté de médecine de l’Université Laval créaient l’Institut anatomo-pathologie et ainsi entraient dans le milieu de l’oncologie en offrant leur service pour le diagnostic du cancer. Les pathologistes de la Faculté de médecine de l’Université Laval travaillaient dans les locaux de l’Université, mais offraient leurs services aux différents médecins et hôpitaux de la grande région de Québec. Il semble toutefois que sur demande, les pathologistes répondaient aux demandes provenant de l’ensemble du Québec 11.

L’Institut avait une double mission médicale et scientifique. En effet, les pathologistes avaient la responsabilité d’« établir le diagnostic précoce et scientifique du cancer par la biopsie et (…) [de] confirmer ou [d’]infirmer rétrospectivement le diagnostic par l’autopsie » (Rapport non-publié du Centre anticancéreux. [1938?]. Page 1) et ainsi d’épauler les chirurgiens dans les services offerts aux patients. En échange des services gratuits des pathologistes, les différents hôpitaux mettaient à la disposition des membres de

11 À cet égard, le Rapport annuel du Centre anticancéreux de 1938 indique que les pathologistes de l’Institut

du cancer recevaient du matériel biologique à analyser non seulement des hôpitaux de Québec et de Lévis, mais qu’ils en recevaient également des hôpitaux compris entre Sherbrooke et Trois-Rivières et des hôpitaux compris entre Amos, Chicoutimi, Havre-Saint-Pierre et Gaspé. De plus, ils en recevaient régulièrement de

l’Institut « un matériel [biologique] abondant et varié sur lequel des recherches remarquables ont pu être réalisées » (Rapport non publié du Centre anticancéreux. [1938?]. Page 1). Ce faisant, l’Institut a réalisé, de 1928 à 1938, 29 791 examens anatomo- pathologiques et 307 rapports de nécropsies (Rapport non publié du Centre anticancéreux. [1938?]. Page 1).

Dans le but d’élargir les services cliniques offerts par les membres de l’Institut d’anatomo-pathologie et de lutter de façon plus efficace contre le cancer, on créait en 1930 le Centre anticancéreux de l’Université Laval, qui agissait à titre de division thérapeutique, et l’Institut du cancer, qui regroupait les pathologistes qui avaient un intérêt plus particulier vis-à-vis du cancer et l’effort de recherche.

Le Centre anticancéreux était sous la direction d’un chirurgien, le Dr Vézina (1888 – 1955), et de deux pathologistes, les Drs Arthur Vallée (1883 – 1939) et Louis Berger (1895 – 1946). Le Centre anticancéreux avait pour objectif principal d’offrir des services thérapeutiques, mais également de promouvoir le dépistage précoce et scientifique en sensibilisant les médecins et la population12. Les services de dépistage et de diagnostic étaient financés par l’Université Laval, alors que le Conseil d’hygiène de la province de Québec avait pris en charge les coûts de publicité (Gagnon, p. 2).

Saint-Hyacinthe (qui se situait dans le territoire de Montréal) et même de Moncton au Nouveau-Brunswick (page 8).

12 Au plan de la sensibilisation, le Centre anticancéreux et le service provincial d’hygiène tenaient au Palais

Montcalm la semaine du cancer, du 23 au 28 avril 1934, à laquelle 25 000 personnes participèrent. Durant cette semaine, plusieurs conférenciers, principalement composés de médecins de l’Hôtel-Dieu de Québec, de l’Hôpital du Saint-Sacrement et de professeurs de l’Université Laval ont donné des conférences sur les différents aspects de cette pathologie à la population locale. La publication d’un pamphlet, intitulé Quelques considérations sur le cancer. La Semaine du cancer du 23 au 28 avril 1934, qui regroupe les principaux textes des conférences, parachevait l’objectif de sensibilisation au cancer. Toujours dans le cadre de cette mission de sensibilisation et dans le cadre des événements entourant le Jubilé d’argent de sa Majesté George V, une campagne de financement et une Journée du cancer ont été organisées en 1935. Publicisées dans les quotidiens et dans les journaux hebdomadaires, la campagne de financement a permis d’amasser 2 602 $ au profit de la fondation de la division québécoise de la Ligue Anticancéreuse, alors que la Journée du cancer permis d’organiser des conférences à Québec, Montmagny et Rivière-du-Loup dont certaines ont été radiodiffusées (Briand, 1971, p. 23-24).

Au plan thérapeutique, le Centre anticancéreux offrait gratuitement des services de dépistage et de diagnostic à tous les malades qui se présentaient aux cliniques bihebdomadaires. Les malades étaient alors examinés par le directeur du Centre anticancéreux et un chirurgien et, au besoin, un examen radiologique et/ou une biopsie pouvaient compléter l’examen clinique. Au plan de la trajectoire du patient, le dépistage et le diagnostic étaient réalisés à l’Institut du cancer dans les locaux de la Faculté de médecine sur le campus de l’Université Laval, alors que les traitements étaient effectués dans un des hôpitaux affiliés, soit l’Hôtel-Dieu de Québec, l’Hôpital du Saint-Sacrement ou l’Hôpital de l’Enfant-Jésus. Cette façon d’organiser la trajectoire a fonctionné pendant environ un an seulement. En effet, le manque d’espace et la complexité de la trajectoire des patients ont fait en sorte qu’en 1931 le recteur de l’Université Laval, Mgr Philéas Fillion, négociait avec la Révérende Mère Saint-Dominique, supérieure de l’Hôtel-Dieu de Québec, le déménagement du Centre Anticancéreux de l’Université Laval à l’Hôtel-Dieu de Québec13. Il était entendu d’une part que le Centre anticancéreux resterait la propriété de l’Université Laval. Ainsi, l’Université conservait la responsabilité de financer le dépistage, le diagnostic, l’entretien et le développement du Centre. D’autre part, que l’Hôtel-Dieu de Québec mettait à la disposition du Centre anticancéreux une salle de consultation et assurait la gestion du Centre (Lettre de Mère St-Dominique, 17 septembre 1937).

Synthèse des rapports de force et de collaboration entre pathologistes et chirurgiens

L’Institut d’anatomo-pathologie, l’Institut du cancer et le Centre anticancéreux ont été au cœur de la lutte de juridiction entre les chirurgiens et les pathologistes pour le diagnostic du cancer. Les pathologistes qui souhaitaient monopoliser cette juridiction ont employé des frontières structurelles pour s’imposer. Spécifiquement, ils ont ouvert un institut de recherche à la Faculté de médecine de l’Université Laval et ont fait la promotion

13 Lettre de Mgr Philéas Fillion, recteur de l’Université Laval, à la Révérende Mère St-Dominique. 15 août

1931. Et lettre de Mère St-Dominique, supérieure de l’Hôtel-Dieu de Québec, à Mgr Philéas Fillion, recteur de

du diagnostic « scientifique » du cancer par l’intermédiaire d’une clinique de dépistage et de diagnostic. Ceci leur a permis de s’imposer comme expert du diagnostic, d’exclure les chirurgiens et de mettre en place une nouvelle organisation du travail.

Malheureusement, les données recueillies ne nous permettent pas de faire une analyse des perceptions et des arguments employés par les acteurs lors de cette lutte de juridiction, ou encore de connaître avec précision le temps nécessaire aux pathologistes pour s’imposer au sein de la juridiction. En effet, les données recueillies révèlent le résultat de la lutte et non le processus de lutte elle-même. Toutefois, au plan structurel, il apparaît clairement que l’Institut d’anatomo-pathologie et par la suite l’Institut du cancer ont participé à cette lutte. Les pathologistes en créant une structure de recherche ont alors été en mesure de s’insérer au sein du milieu clinique, et de gagner la reconnaissance et la légitimité nécessaire pour progressivement ravir la juridiction aux chirurgiens.