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Chapitre 2 Démarche méthodologique

2.2. Mode de collecte de données

2.2.2. L’entrevue semi-dirigée

La deuxième de source primaire employée est l’entrevue semi-dirigée. L’entrevue est un outil souple qui repose sur l’établissement d’une conversation entre l’interviewé et l’intervieweur et qui permet à un chercheur d’obtenir des informations sur des sujets ou des phénomènes qu’il ne peut pas observer (Patton, 2002, p. 340). Selon Lummins, « (…) oral evidence (…) is interactive and one is not left alone, as with documentary evidence, to divine its significance; the ‘source’ can reflect upon the content and offer interpretation as well as facts » (Lummins, 1987, tel que cité par Yow, 2005, p. 9). En effet, un des principaux avantages de l’entrevue semi-dirigée est la capacité d’« appréhender l’expérience des autres » en fonction du « sens qu’eux-mêmes confèrent à leurs actions » (Poupart, 1997, p. 175); tel que le souligne Portelli, « oral sources tell us not just what people did, but what they wanted to do, what they believed they were doing, and what they

now think they did » (1998, p. 36). Ainsi, il est possible de tenir compte du point de vue des acteurs sociaux pour mieux comprendre et interpréter leurs réalités, mais aussi pour permettre à des dimensions non pressenties par le chercheur d’émerger (Patton, 2002, p. 343-344).

L’entrevue semi-dirigée donne également accès à la mémoire collective d’un groupe, c’est-à-dire au sens et à l’interprétation donnés par les membres d’un groupe à des événements (Grele, 2006, p. 67). Ce faisant, l’entrevue semi-dirigée permet au chercheur de s’intéresser au point de vue de groupes souvent négligés (Yow, 2005, p. 10-11). D’abord parce que la majorité des membres d’un groupe ou d’une société n’écriront pas leur mémoire ou une autobiographie; seul un nombre restreint d’individus, souvent considérés comme les élites de ce groupe, auront le privilège, la capacité, le désir ou la possibilité de le faire. Selon Thompson, « oral history is built around people (…) [and] it allows heroes not just from the leaders, but also from the unknown majority of people » (2006, p. 31). Ce type de données permet donc au chercheur de s’intéresser au vécu des gens ordinaires et à la vie de tous les jours, comme par exemple au fonctionnement d’un hôpital et au développement de services offerts aux patients atteints du cancer.

Toujours par rapport à la mémoire collective, l’entrevue semi-dirigée permet au chercheur de s’intéresser à ce que les informateurs-clés croient être vrai, c’est-à-dire à ce qu’ils croient être un fait historique. Il n’est pas rare d’observer que la mémoire collective d’un groupe ait réinterprété certains faits ou événements et, ce faisant, que des dates importantes ou des contextes sociaux aient été déplacés par rapport à la chronologie factuelle. Selon Portelli (2006) :

« the importance of oral testimony may lie not in its adherence to facts, but rather in its departure from it, as imagination, symbolism, and desire emerge. Therefore, there are no ‘false’ oral sources. (…) The diversity of oral history consists in the fact that ‘wrong’ statements are still psychologically ‘true’ and that this truth may be equally as important as factually reliable accounts » (p. 37).

Malgré les avantages de l’entrevue semi-dirigée, la collecte de données doit être préparée avec soins. À cet effet, nous avons, dans un premier temps, procédé à l’identification des dimensions d’analyse pertinentes – voir le tableau suivant – et, dans un second temps, préparé le guide d’entrevue – voir l’annexe 3.

Niveaux d’analyse et informations à repérer lors des entrevues

Niveau d’analyse Informations à repérer

Niveau micro : l’organisation de l’oncologie au sein du milieu hospitalier

- Discuter de l’évolution des spécialités médicales et de leur vision de la pratique de l’oncologie.

- Discuter de l’évolution des professions de la santé et de leur vision de la pratique de l’oncologie.

- Comprendre la définition du cancer et de la vision de l’oncologie des différents oncologues.

- Discuter de la mise en place et de l’évolution de la collaboration entre les différents spécialistes médicaux et les différents professionnels de la santé. - Discuter de la mise en place et de l’évolution des structures organisationnelles. - Discuter de la mise en place et de l’évolution des conférences des tumeurs. - Discuter de l’évolution des rapports de force entre les différentes spécialités

médicales entre elles et entre les spécialités médicales et les professions de la santé.

- Discuter de l’évolution de la mission scientifique et sociale de l’organisation dédiée à la lutte contre le cancer.

- Discuter de l’évolution des liens qu’entretient l’organisation avec l’hôpital, l’université, le gouvernement, les compagnies pharmaceutiques et les mouvements de patients.

- Discuter de la collaboration entre les chercheurs et les cliniciens.

- Discuter du développement de nouvelles technologies médicales et de nouveaux savoir-faire et de leurs impacts sur l’organisation du travail en oncologie. Niveau méso :

lutte professionnelle et reconnaissance d’une nouvelle spécialité médicale

- Identifier les leaders des différents groupes d’acteurs, connaître leur trajectoire professionnelle et comprendre leur vision du monde.

- Comprendre la stratégie de lutte des différents groupes d’acteurs. - Comprendre le contexte social dans lequel se déroulait le processus de

reconnaissance de l’oncologie médicale de la Corporation professionnelle des médecins du Québec.

- Comprendre la définition du cancer et de la vision de l’oncologie des différents acteurs

Niveau macro :

l’organisation de la lutte contre le cancer au niveau provincial

- Discuter de l’évolution de la politique de lutte contre le cancer.

- Comprendre la définition du cancer et de la vision de l’oncologie des différents oncologues

- Repérer les leaders ayant participé à l’organisation des services de soins, leur trajectoire professionnelle et leur vision de l’organisation de la lutte contre le cancer.

- Discuter de la mise en place et de l’évolution des centres d’oncologie.

- Discuter des liens entre les centres d’oncologie et les hôpitaux, les universités, le gouvernement, les associations scientifiques et les mouvements de patients. - Discuter des liens entre les différents centres d’oncologie.

- Discuter des liens entre les chercheurs avec les cliniciens.

- Discuter de l’influence du développement des nouvelles technologies médicales et de nouveaux savoir-faire.

Dans le cadre de notre projet de recherche, 66 entrevues ont été réalisées auprès d’oncologues issus de différentes spécialités médicales et professions de la santé, des fonctionnaires, des gestionnaires travaillant dans différentes organisations liées à la lutte contre le cancer et des chercheurs. Les entrevues étaient d’une durée de 60 à 120 minutes. Elles ont été enregistrées et ensuite retranscrites sous forme de verbatim. Voici la répartition des entrevues par catégorie professionnelle : chirurgien : 13 entrevues; chercheur : 5 entrevues; fonctionnaire : 4 entrevues; gestionnaire : 4 entrevues; infirmière : 6 entrevues; oncologue médical : 18 entrevues; pharmacien : 2 entrevues; psycho- oncologue : 5 entrevues; radio-oncologue : 9 entrevues.

L’échantillon est de type raisonné, c’est-à-dire un échantillonnage qui vise non pas à être représentatif d’une population, mais plutôt à sélectionner des informateurs-clés en fonction de la richesse de l’information qu’ils peuvent apporter à l’étude (Patton, 2002, p. 230). Notre échantillon se compose d’oncologues et de membres de la communauté oncologique qui ont été recrutés en fonction de critères de sélection. Pour les oncologues, le principal critère de sélection est leur spécialité/profession oncologique, soit la chirurgie oncologique, l’oncologie médicale, la radio-oncologie, les soins infirmiers, la psycho- oncologie et la pharmacologie. Pour les médecins, c’est-à-dire les chirurgiens, les radio- oncologues et les oncologues médicaux, nous avons porté attention à représenter les différentes générations d’oncologues. Trois générations ont été identifiées : la première se compose de médecins oncologues formés à l’étranger en raison d’une absence de programmes de formation et/ou d’une expertise au Canada; la deuxième a été formée au Canada, mais avant la reconnaissance de la sous-spécialité oncologique; et la troisième a été formée au Canada après la reconnaissance d’une spécialité oncologique. Ainsi, le recrutement des oncologues assure la représentation des différentes spécialités/professions de l’oncologie et les différentes périodes du développement de l’oncologie. Concernant les membres de la communauté de l’oncologie et de la lutte contre le cancer, ils sont principalement composés de gestionnaires et d’administrateurs (de centres d’oncologie ou de groupes en lien avec la lutte contre le cancer, par exemple), de chercheurs et de policy-

makers. De plus, ces derniers ont été recrutés en fonction de la pertinence de leur rôle dans

le développement de l’oncologie et des services offerts aux patients.

Pour le recrutement, nous avons dans un premier temps contacté les directeurs des différents départements liés à l’oncologie – soit par exemple, la chirurgie, la radio- oncologie, l’oncologie et l’hématologie – à l’Université de Montréal, l’Université Laval, l’Université McGill et à l’Université de Sherbrooke, ainsi que les secrétaires de départements, afin d’obtenir le nom de médecins possédant une longue expérience en oncologie, soit d’au moins 20 ans. Nous avons ensuite procédé à l’envoi de courriels de présentation. Les oncologues avaient la liberté d’accepter ou de refuser d’accorder une entrevue. De plus, ils avaient le choix du lieu de l’entrevue; elles ont été réalisées sur leur lieu de travail, à leur domicile ou au téléphone. Ensuite, nous avons employé la technique « boule de neige », qui consiste à demander aux interviewés d’identifier des informateurs- clés potentiels (Patton, 2002, p. 237). Ce faisant, nous avons été en mesure d’obtenir un nombre suffisant d’entrevues, mais surtout d’identifier les individus qui ont marqué le développement de l’oncologie.

En ce qui a trait à la grille d’entrevue, des mesures ont été prises de façon à assurer la qualité de l’information recueillie. En effet, nous avons privilégié une grille qui se compose d’un nombre limité de questions ouvertes. L’emploi de questions ouvertes a favorisé l’établissement d’une conversation entre l’intervieweur et l’informateur-clé et ainsi de tenir compte du point de vue de ce dernier. En effet, la liberté qu’avait l’informateur-clé d’aborder les différents éléments du guide favorisait l’émergence de dimensions non pressenties (Patton, 2002, p. 343-344).