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C. LA CONTINUITÉ DES PARCOURS, CLÉ DU SUCCÈS DU TRAVAIL D’INSERTION

3. Le suivi des jeunes majeurs

Votre rapporteur est convaincu de la nécessité d’éviter que le passage à l’âge de la majorité fonctionne comme un « couperet » pour les jeunes suivis par la PJJ. Sociologiquement, le passage à l’âge adulte, marqué par l’accession à l’autonomie, la décohabitation avec les parents, l’entrée dans l’emploi, l’arrivée d’un premier enfant, intervient de plus en plus tardivement. Ceci plaide pour la définition de solutions de continuité entre la prise en charge des mineurs et celle des jeunes majeurs.

a) La protection jeune majeur : un dispositif utile

Le recentrage de l’activité de la PJJ sur le pénal a eu des conséquences fâcheuses sur la continuité du parcours au moment où le jeune atteint l’âge de la majorité, du fait de la quasi-disparition des mesures de protection jeune majeur.

La mesure de protection jeune majeur est possible sur le fondement du décret n°75-96 du 18 février 1975, fixant les modalités de mise en œuvre d’une action judiciaire en faveur des jeunes majeurs. À l’origine, ce décret visait à pallier les effets de l’abaissement de l’âge de la majorité à dix-huit ans, décidé en 1974, à l’égard de jeunes majeurs souffrant de graves difficultés d’insertion sociale. La mesure de protection est décidée par le juge à la demande de l’intéressé.

La PJJ dispose d’une compétence concurrente avec celle des conseils départementaux qui peuvent eux aussi, sur la base de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles, prendre en charge, dans le cadre de l’ASE, des majeurs de moins de vingt-et-un ans éprouvant des difficultés d’insertion sociale faute de ressource ou d’un soutien familial suffisant.

Les conseils départementaux font dépendre la mise en œuvre de cette protection administrative de la signature d’un « contrat jeune majeur », dont la conclusion est laissée à la discrétion du département.

Le contrat jeune majeur

Le contrat jeune majeur est un dispositif d’accompagnement qui vise à aider le jeune à trouver du travail ou une formation tout en ayant la possibilité de se loger et de subvenir à ses besoins, lorsque sa famille n’est pas en capacité de le faire.

L’accompagnement peut consister en une aide financière, via une allocation dont le montant varie en fonction des ressources du jeune adulte, et un suivi assuré par un éducateur ou un psychologue.

Le contrat précise la durée de la mesure, la date de mise en œuvre et les objectifs poursuivis. Le bénéficiaire s’engage à élaborer un projet d’insertion sociale et professionnelle. Il rend compte au professionnel chargé de son suivi de ses démarches en matière de formation ou de recherche d’emploi.

La mesure est organisée pour une durée d’un an au maximum, avec la possibilité d’être renouvelée dans les mêmes conditions. Le contrat peut être interrompu à l’initiative du jeune ou du service de l’ASE si ce dernier estime que le bénéficiaire ne remplit pas ses obligations.

Des dérives ont été constatées dans les années 1990 s’agissant de la mise en œuvre de la protection jeune majeur par la PJJ : de nombreux jeunes placés sous protection judiciaire n’avaient jamais eu affaire à la PJJ avant leur majorité et les dépenses en faveur de l’hébergement des jeunes majeurs ont représenté, dans certains départements, jusqu’à la moitié des dépenses financées par l’Etat dans le secteur associatif habilité !

Une remise en ordre a été opérée à partir de 20051, consistant à orienter vers la PJJ les jeunes majeurs qui étaient déjà suivis par ce service avant leur majorité et à orienter les autres vers la protection administrative départementale.

À partir de 2008, dans le cadre de la RGPP et du recentrage de la PJJ sur le pénal, une mesure plus radicale a été prise, tendant à supprimer progressivement la prise en charge de l’ensemble des mesures de protection judiciaire des jeunes majeurs par le secteur public et le secteur associatif de la PJJ. En 2011, plus aucune ligne de crédit n’était prévue pour la protection des jeunes majeurs. Toutefois, le décret de 1975 n’a jamais été abrogé, un projet en ce sens ayant été abandonné à la suite d’un avis négatif de la commission consultative sur l’évaluation des charges du comité des finances locales.

Les jeunes majeurs suivis par la PJJ durant leur minorité sont donc censés se tourner vers le département pour bénéficier d’un contrat jeune majeur.

Plusieurs interlocuteurs de la mission ont cependant souligné qu’il est de plus en plus difficile d’obtenir un tel contrat : dans un contexte de très forte contrainte financière, les départements tendent à réduire cette dépense facultative.

Ce n’est pas tant le nombre de contrats qui a diminué – il demeure proche de 20 000 par an – que leur durée. Dans un récent avis, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) note que la durée des contrats est souvent de six mois, renouvelable une fois, de sorte que « seule une faible proportion de ces jeunes bénéficie de prestations jusqu’à vingt-et-un ans »2.

Dans son rapport précité de 2014, la Cour des comptes écrivait, curieusement, que l’arrêt de la protection jeune majeur ne s’était accompagné d’aucun transfert de charge vers les départements, le nombre de contrats jeunes majeurs n’ayant que peu augmenté après 2008. En réalité, si la protection jeune majeur a été stoppée, et que le nombre de contrats jeunes majeurs n’a pas augmenté de manière significative en parallèle, cela signifie

1 Circulaire du 21 mars 2005 du garde des sceaux adressée aux chefs de cour d’appel et aux directeurs régionaux de la PJJ.

2 Cf. l’Avis du Cese « Prévenir les ruptures dans les parcours en protection de l’enfance » fait par Antoine Dulin au nom de la section des affaires sociales et de la santé (juin 2018).

que des jeunes majeurs qui, autrefois, auraient été aidés restent aujourd’hui sans soutien de la collectivité.

Comme pour les mesures civiles, la direction de la PJJ a fini par desserrer légèrement l’étau qui s’était refermé sur les mesures de protection des jeunes majeurs. Depuis 2014, le nombre de mesures augmente un peu chaque année, même s’il demeure très faible : 85 mesures en 2014, 125 en 2015 et 174 en 20161. Le bénéfice de la protection est accordé si certaines conditions cumulatives sont réunies : nécessité de poursuivre un accompagnement éducatif auprès du jeune majeur isolé socialement et absence de relais immédiat pouvant être assuré par les services de l’ASE ou par le droit commun de la protection sociale. La prise en charge ne dure pas plus d’un an, sauf circonstances exceptionnelles dûment motivées.

La PJJ avait décidé que seul le service public pourrait intervenir auprès des jeunes majeurs. Sur ce point également, elle semble prête à évoluer : dans un courrier adressé le 9 mars 2018 aux fédérations associatives, la direction de la PJJ se montre favorable à l’examen de la possibilité pour le secteur associatif habilité de mettre en œuvre de telles mesures. La mission soutient cette orientation qui va dans le sens d’une plus grande continuité des parcours, certains mineurs étant suivis dans le secteur associatif.

Sans retomber dans les excès constatés dans les années 1990, la mission se prononce en faveur d’une relance de la protection jeune majeur, qui pourrait concerner, chaque année, quelques milliers de jeunes qui étaient déjà suivis par la PJJ (secteur public ou habilité) avant leur majorité.

Proposition : redonner à la protection jeune majeur toute sa place dans la palette d’outils à la disposition de la PJJ.

b)En matière pénale

Alors que la PJJ a réduit à peu de choses ses interventions auprès des jeunes majeurs au civil, cette population constitue une part importante, et en augmentation, des jeunes suivis par la PJJ dans le cadre pénal. Il n’est pas impossible qu’un « transfert de charges » se soit produit ces dernières années, du civil vers le pénal.

En ce qui concerne tout d’abord les mesures éducatives (articles 15 et 16 de l’ordonnance de 1945), l’article 17 de l’ordonnance prévoit que leur durée ne pourra excéder l’époque où le mineur aura atteint sa majorité.

Une exception est cependant prévue à l’article 16 bis, relatif à la mise sous protection judiciaire (MSPJ), qui a connu un réel essor ces dernières années. La durée de la MSPJ ne peut excéder cinq années. Elle consiste en des mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation, y compris une mesure de placement qui peut se prolonger après la majorité si

1 À titre de comparaison, on rappelle que 9 044 protections jeunes majeurs avaient été accordées en 2007.

le jeune en est d’accord. Le nombre de MSPJ a été multiplié par 2,5 entre 2007 et 2015 (de 4 274 mesures à 11 396 mesures).

Il est vraisemblable que cet essor spectaculaire résulte en partie d’une stratégie d’adaptation de la justice et de la PJJ pour compenser la quasi-disparition de la protection jeune majeur. Le sociologue Nicolas Sallée, spécialiste de la protection judiciaire de la jeunesse, a indiqué devant la mission que « les éducateurs en viennent parfois à rechercher des délits commis par le jeune, afin de pouvoir obtenir, sur le fondement de l’article 16 bis de l’ordonnance de 1945 une mesure pénale permettant de prolonger le suivi du jeune. Une telle démarche illustre l’absurdité de la dissociation (…) entre civil et pénal »1.

Si l’on y ajoute les peines de sursis avec mise à l’épreuve et les travaux d’intérêt général, qui peuvent se poursuivre après la majorité, on constate que les jeunes majeurs représentent 25 % des jeunes suivis dans l’année par la PJJ, secteur public et secteur associatif habilité confondus.

Cette proportion pourrait encore augmenter avec la mise en œuvre de la mesure éducative d’accueil de jour, prévue à titre expérimental par le projet de loi de programmation pour la justice ; elle pourrait être prononcée pour une durée de six mois, renouvelable deux fois, et pourrait se poursuivre après la majorité si le jeune en est d’accord.

En ce qui concerne l’emprisonnement, les jeunes incarcérés rejoignent en principe les quartiers pour adultes lorsqu’ils atteignent l’âge de la majorité. La PJJ passe alors le relais au service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip).

Toutefois, par exception, les mineurs devenus majeurs peuvent être, avec leur accord, maintenus en établissement pénitentiaire pour mineurs ou en quartier pour mineurs pour une durée de six mois après leur majorité, lorsque leur personnalité et leur comportement en détention le justifient. Leur suivi éducatif demeure assuré par la PJJ, sauf décision contraire du magistrat.

c)Un sas vers les dispositifs de droit commun

Si elle est convaincue de l’intérêt de pouvoir prolonger après la majorité certaines mesures éducatives, la mission ne considère pas le suivi par la PJJ comme une fin en soi. L’objectif est bien de faire accéder les jeunes à l’autonomie, le cas échéant via un dispositif de droit commun.

Une prise en charge assurée par la PJJ peut avoir une dimension stigmatisante que ne revêt pas une prise en charge par une mission locale ou un département. L’enjeu est alors d’anticiper et de préparer le passage de relais entre professionnels pour une transition efficace. Comme l’indiquait Mme Madeleine Mathieu, directrice de la PJJ, « nous sommes sortis de l’idée qu’il fallait garder les jeunes le plus longtemps possible dans les dispositifs de la

1 Audition du 7 juin 2018.

PJJ ; au contraire, pour faciliter leur réinsertion, il s’agit de les ramener le plus vite possible dans la société »1.

Cependant, la mission est sensible à l’argument de M. Vito Fortunato, secrétaire national du SNPES-PJJ, qui soulignait « que les jeunes dont s’occupe la PJJ sont des jeunes en rupture, qui ont besoin d’un sas, d’une transition, avant de pouvoir rejoindre les dispositifs de droit commun »2. Ils ont souvent besoin d’une remise à niveau scolaire avant de pouvoir intégrer une formation, mais aussi d’acquérir des savoir-être et des savoir-faire dans une optique pré-professionnelle. C’est dans cette perspective que la prolongation du suivi par la PJJ après la majorité peut trouver sa pertinence.

L’inscription des jeunes dans les dispositifs de droit commun est bien sûr facilitée si la PJJ noue des partenariats solides avec les acteurs de la formation et de l’insertion professionnelle.

4. Des partenariats à renforcer avec les acteurs du monde de la

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