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B. CONFIRMER LA PRIMAUTÉ DONNÉE À L’ÉDUCATIF SUR L’ENFERMEMENT

3. Refondre l’ordonnance de 1945

Il convient à présent de s’interroger sur le cadre juridique de l’enfermement des mineurs en droit pénal. Faut-il faire évoluer l’ordonnance de 1945 pour la faire renouer avec son esprit d’origine qui se serait perdu au fil de ses nombreuses modifications ? Sans prétendre à l’exhaustivité, la mission d’information souhaite partager à ce sujet quelques réflexions qui ressortent de ses travaux.

a)L’intérêt d’une réécriture

La mission a constaté que les praticiens du droit pénal des mineurs expriment un fort attachement à l’ordonnance de 1945, certains notant qu’elle renvoie dans son titre à « l’enfance délinquante » et que « le choix du mot « enfant » est important. Cette notion fait penser à ses propres enfants, à la nécessité de mesures éducatives, alors que le droit pénal inspire la répression », pour reprendre les mots de Me Sylvie Garde-Lebreton1. Ses principes fondateurs sont perçus comme étant toujours d’actualité. En revanche, plusieurs interlocuteurs de la mission ont insisté sur l’intérêt pratique que présenterait un travail de réécriture, de refonte, de l’ordonnance.

Ils pointent tout d’abord un problème de lisibilité de l’ordonnance, devenue très complexe en raison de la sédimentation des réformes, une quarantaine depuis 1945. Ainsi, le directeur des affaires criminelles et des grâces, M. Rémi Heitz, a estimé que « tous les professionnels souhaitent une réécriture de cette ordonnance devenue illisible au fil des nombreuses modifications qu’elle a subies depuis 70 ans. Une recodification clarifierait ce texte devenu désordonné»2.

La complexité de l’ordonnance découle parfois d’une insuffisante prise en compte des spécificités de la justice des mineurs à l’occasion de l’examen de textes réformant le droit pénal des majeurs ou à une insuffisante coordination entre l’ordonnance et le code pénal. Sur ce point, le directeur des affaires criminelles et des grâces a notamment déclaré que

« les différents modes de poursuite devraient être redéfinis, afin de leur redonner de la lisibilité et de faciliter leur compréhension par les professionnels. On s’est parfois inspiré des procédures appliquées aux majeurs, sans aller jusqu’au bout de la

1 Audition du 27 juin 2018.

2 Audition du 18 avril 2018.

démarche, comme avec la présentation immédiate ou la convocation par officier de police judiciaire (COPJ). Parfois, compte tenu de la difficulté pour certains parquets de mettre en œuvre des dispositifs qu’ils connaissent mal, c’est le juge d’instruction, compétent à la fois pour les majeurs et les mineurs, qui est sollicité, et non le juge des enfants ».

Mme Camille Rouet, juge des enfants, a donné la mesure concrète des difficultés quotidiennes qui résultent pour les professionnels du manque de lisibilité du texte : pour elle, « la multiplication des réformes a rendu ce texte illisible, notamment sur la révocation du contrôle judiciaire ou la détention provisoire, car il renvoie implicitement à des textes relatifs aux majeurs. Du coup, pour éviter la détention arbitraire, nous nous référons à des tables de correspondance réalisées par l’école nationale de la magistrature (ENM) »1.

De manière plus anecdotique, la réécriture de l’ordonnance permettrait d’en moderniser l’expression et de l’expurger de quelques formules vieillies, qui peuvent être peu claires pour les mineurs auxquelles elles s’adressent ou pour leurs parents. M. Rémi Heitz a relevé que « certains termes, comme « la remise à parents » ou « l’admonestation », qui peuvent figurer sur le casier judiciaire, apparaissent désuets » ; ce point de vue est partagé par Mme Sophie Bouttier-Véron, vice-présidente du tribunal pour enfants de Marseille en charge du milieu fermé, vice-présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, qui notait « la présence d’expressions peu adaptées, telles « liberté surveillée » ou « admonestation » »2.

À vrai dire, il y a déjà eu plusieurs tentatives de recodifier l’ordonnance de 1945. En 2008, le rapport Varinard3 préconisait l’élaboration d’un code dédié à la justice pénale des mineurs permettant une réécriture formelle des dispositions applicables afin de renforcer leur cohérence et de leur donner une meilleure lisibilité. Un projet de code pénal a été mis en chantier dans le courant de l’année 2009 mais sans aboutir. La plus récente tentative de réécriture remonte à 2015, mais ces travaux n’ont de nouveau pas abouti en raison des attentats terroristes, qui ont conduit la Chancellerie à retenir d’autres priorités. Ce code de la justice pénale des mineurs en préparation conservait les grands principes de l’ordonnance de 1945.

Le Gouvernement actuel a décidé de remettre l’ouvrage sur le métier. Un groupe de travail a été constitué au ministère de la justice, auquel la présidente de la mission et son rapporteur son associés. Huit réunions sont prévues d’ici à la fin de l’année pour piloter la réécriture de l’ordonnance de 1945. Il restera à avoir la volonté politique d’inscrire cette réforme à l’ordre du jour du Parlement pour un examen rapide une fois que le travail technique sera achevé. Cela suppose que ce travail de fond ne soit

1 Audition du 28 mai 2018.

2 Audition du 6 juin 2018.

3 Rapport de la commission présidée par le recteur André Varinard, professeur de droit pénal, remis à la ministre de la justice en 2008.

pas relégué derrière d’autres projets répondant à une actualité médiatique plus immédiate.

Proposition : recodifier l’ordonnance de 1945 pour la rendre plus lisible pour les professionnels et les justiciables.

b)Conserver les actuelles bornes d’âge concernant la responsabilité pénale des mineurs

Le débat sur la réforme de l’ordonnance de 1945 se focalise souvent sur la question d’un éventuel abaissement de l’âge de la majorité pénale : faudrait-il aligner les règles applicables aux jeunes de seize à dix-huit ans sur celles applicables aux adultes afin de les sanctionner plus sévèrement ?

Ce débat avait traversé les travaux de la commission Varinard précitée. La commission avait conclu au maintien de l’âge de la majorité pénale à dix-huit ans.

La mission d’information aboutit à la même conclusion. Aucun de ses interlocuteurs n’a d’ailleurs plaidé pour un abaissement de l’âge de la majorité pénale. Il serait paradoxal de distinguer majorités civile et pénale alors que les mineurs délinquants se caractérisent, souvent, par une grande immaturité qui ne plaide pas pour un traitement aligné sur celui des adultes.

De plus, l’arsenal législatif en vigueur permet de punir avec la sévérité qui convient les mineurs qui ont commis les crimes et délits les plus graves.

Certains intervenants ont en revanche rappelé qu’il n’existe pas en droit français d’âge minimal pour la responsabilité pénale. C’est ce qui explique qu’un enfant de dix ans ait pu récemment être mis en examen, soupçonné d’avoir provoqué un incendie à Aubervilliers ayant entraîné la mort de plusieurs occupants d’un immeuble. Le code pénal retient, dans son article 122-8, un critère de discernement : « les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus coupables ». En revanche, comme cela été expliqué dans la première partie de ce rapport, ce mineur âgé de dix ans ne pourra faire l’objet d’une peine, mais seulement d’une mesure éducative ou d’une sanction éducative.

La mission n’est pas convaincue qu’il soit nécessaire d’introduire un âge minimal, le régime aujourd’hui en vigueur ne semblant pas poser de véritable problème au fonctionnement de la justice des mineurs. La mise en examen décidée à la suite du drame d’Aubervilliers ne doit pas masquer le fait qu’il est assez exceptionnel que de si jeunes enfants soient inquiétés par la justice.

c)Accepter la temporalité particulière de la justice des mineurs

La mission souhaite d’abord insister sur la temporalité particulière de la justice des mineurs, qui demande plus de temps que celle des adultes.

Les réformes de procédure adoptées depuis une vingtaine d’années (COPJ, présentation immédiate) ont eu tendance à rechercher l’accélération des procédures, en partant du principe qu’une sanction plus rapide serait mieux comprise par le jeune délinquant. La mission est peu convaincue de la pertinence de ce raisonnement. Les procédures rapides peuvent certes avoir leur utilité face à des délinquants récidivistes ou réitérants, lorsqu’une enquête a déjà été réalisée et que le juge dispose de tous les éléments pour apprécier l’affaire qui lui est soumise.

Mais elles ne devraient pas devenir le mode ordinaire de fonctionnement de la justice des mineurs. Il est essentiel en effet que la décision du juge soit éclairée par une enquête de personnalité, qui lui permettra de mieux comprendre la situation et le profil du jeune et de prendre ainsi une décision plus appropriée.

De plus, ce délai peut être mis à profit pour mettre en œuvre des mesures éducatives provisoires qui permettent de commencer un travail auprès du jeune afin de l’aider à prendre conscience de la faute qu’il a commise. Il abordera ainsi son procès dans une disposition d’esprit différente de ce qu’elle aurait été si le jugement avait eu lieu juste après la commission de l’infraction. Juste après l’infraction, le mineur est souvent dans le déni, il ne reconnait pas les faits, mais cette attitude peut évoluer grâce un travail éducatif approprié.

d) Concentrer la réflexion sur les mesures de nature à réduire le recours à l’enfermement

Dans la première partie de ce rapport, la mission a insisté sur le recours plus fréquent à l’incarcération des mineurs. Elle a ensuite indiqué que le milieu carcéral était peu propice à un travail efficace de réinsertion, même si certains établissements offrent de meilleures conditions de détention que d’autres. En conséquence, il lui paraît que si des modifications de fond doivent être introduites dans l’ordonnance de 1945, celles-ci doivent d’abord viser à redonner à l’incarcération son caractère exceptionnel.

Les pistes de réforme qui ressortent des auditions doivent être mises en débat et expertisées.

• La question du placement sous contrôle judiciaire est souvent revenue dans les débats. Dans son avis, la CNCDH propose de le réserver, comme ce fut le cas jusqu’à la loi du 9 septembre 2002, aux mineurs de plus de seize ans, considérant que les mineurs de moins de seize ans n’ont pas la maturité, le contrôle de soi suffisants pour en respecter les termes, ce qui les conduit fréquemment en détention provisoire. Mme Laetitia Dhervilly, vice procureur, chef de la section des mineurs au Parquet de Paris, a observé que le contrôle judiciaire peut parfois durer deux ans et que la PJJ manque de moyens pour suivre réellement tous les mineurs concernés ; aussi a-t-elle proposé de fixer à six mois la durée maximale de contrôle judiciaire.

• Le placement en détention provisoire est fortement encadré par l’ordonnance de 1945 (article 11).

Il peut s’appliquer aux jeunes de treize à dix-huit ans, à condition que la mesure soit indispensable et qu’il soit impossible de prendre toute autre disposition et à la condition que les obligations du contrôle judiciaire ou de l’assignation à résidence avec surveillance électronique soient insuffisantes. Il est également subordonné à certaines conditions tenant à la durée de la peine encourue par le mineur : pour les mineurs de plus de seize ans, peine criminelle ou peine correctionnelle d’au moins trois ans ; pour les mineurs de moins de seize ans, peine criminelle uniquement.

La durée de la détention provisoire est également règlementée, de façon quelque peu complexe :

- en matière criminelle, et en matière correctionnelle si la peine encourue est supérieure à sept ans d’emprisonnement, pour les mineurs de plus de seize ans, c’est la législation de droit commun qui s’applique : la détention provisoire ne peut dépasser quatre mois, sauf si elle est prolongée ; pour les mineurs, la prolongation ne peut excéder un an alors qu’elle peut atteindre deux ans pour les majeurs ;

- en matière criminelle, pour les mineurs de treize à seize ans, la durée de la détention provisoire ne peut excéder six mois ; à titre exceptionnel, elle peut être prolongée pour une nouvelle période ne pouvant dépasser six mois ;

- en matière correctionnelle, lorsque la peine encourue ne dépasse pas sept ans d’emprisonnement, les mineurs de plus de seize ans peuvent être placés en détention provisoire pour une durée d’un mois, qui ne peut être prolongée que pour un mois au maximum.

Des ajustements à cette règlementation permettraient sans doute de restreindre le recours à la détention provisoire. En complément de modifications textuelles, c’est aussi une plus grande sensibilisation des juges de la liberté et de la détention (JLD) aux spécificités de la justice des mineurs qui devrait être recherchée. Plusieurs interlocuteurs de la mission ont souligné que le JLD, seul compétent pour décider le placement en détention provisoire, n’est pas un juge spécialisé, à la différence des autres intervenants de la chaîne pénale des mineurs. En 2008, la commission Varinard avait déjà préconisé une meilleure formation initiale et continue des JLD aux spécificités de la justice des mineurs. Cette recommandation demeure pleinement d’actualité. Elle pourrait conduire les JLD à recourir avec plus de parcimonie à la détention provisoire pour privilégier les mesures éducatives.

• Une autre piste pour réduire le nombre de mineurs incarcérés serait de développer le placement sous surveillance électronique. Il est possible avant la condamnation, à la place d’une détention provisoire, ou

après la condamnation, dans le cadre d’un aménagement de peine, mais il demeure peu utilisé chez les mineurs.

Le placement sous surveillance électronique n’est pas toujours bien supporté, même chez les adultes, lorsqu’il est appliqué pendant une longue période. Il peut cependant être une alternative à la prison pour éviter une incarcération de courte durée, présentant l’avantage de ne pas couper le mineur délinquant de son environnement. Il est compatible par exemple avec la poursuite d’une scolarité ou d’une formation. Il ne peut être mis en œuvre qu’après s’être assuré que le contexte familial, les conditions de logement du mineur, rendent possible sa réalisation.

Le Gouvernement souhaite favoriser le recours au placement sous surveillance électronique en en faisant, dans le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice (article 43), une peine autonome, qui sera applicable aux mineurs. Si cette mesure est approuvée par le Parlement, cela constituera un signal politique encourageant les juridictions à avoir davantage recours à la surveillance électronique.

Proposition : dans le cadre de la refonte de l’ordonnance de 1945, étudier tout spécialement les modifications de nature à donner un caractère réellement exceptionnel à l’incarcération et sensibiliser les JLD aux spécificités de la justice des mineurs.

C.LA CONTINUITÉ DES PARCOURS, CLÉ DU SUCCÈS DU TRAVAIL D’INSERTION

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