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L’isolement thérapeutique des mineurs : un remède historique qui connaît des variations

C. LES STRUCTURES HOSPITALIÈRES : ÉVITER LA RUPTURE

1. L’isolement thérapeutique des mineurs : un remède historique qui connaît des variations

a)Isolement thérapeutique et enfermement pénal

La question du soin thérapeutique pouvant recourir à certaines mesures privatives de liberté est historiquement très liée à celle de l’incarcération répressive des mineurs. Dès le début des années 1940, dans un mouvement de réforme du système judiciaire des mineurs, on observe une volonté de dégager les actes délictuels commis par des mineurs du champ de la répression pénale pour les faire relever d’une autre forme de prise en charge2. Il s’agissait alors de regrouper les délinquants mineurs et les enfants atteints de troubles physiques ou mentaux au sein d’une catégorie plus large des « enfants inadaptés ».

Cette volonté de dépénaliser la délinquance juvénile, au profit d’une réponse davantage tournée vers l’accueil thérapeutique, a néanmoins posé

1 Pour une approche sociologique de l’hôpital psychiatrique, cf. l’ouvrage d’Erving Goffman, Asiles.

Études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus (Les éditions de minuit, 1968), où il est question du rapport entre l’interprétation de l’hôpital comme institution totalitaire et celle des psychiatres comme établissement de santé.

2 Cette inflexion fait l’objet d’une étude approfondie dans l’ouvrage de S. FISCHMAN, La bataille de l’enfance. Délinquance juvénile et justice des mineurs en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 190 et suiv.

deux grandes séries de problèmes, dont la pratique actuelle ne s’est pas tout à fait dégagée :

- la dissolution de la catégorie des mineurs délinquants dans la catégorie des mineurs requérant des soins psychiatriques suppose que la délinquance juvénile revêt une nature nécessairement pathologique1. Bien que ce postulat ait été depuis largement contesté, il paraît néanmoins à votre rapporteur que certains de ses effets soient toujours d’actualité. En effet, la confusion, même partielle, de la population juvénile délinquante et de la population juvénile atteinte de troubles mentaux a indéniablement contribué à la justification et à la diffusion des mesures privatives de liberté dans le cadre thérapeutique ;

- elle a durablement installé le soin apporté au mineur atteint de troubles mentaux comme un soin doublement contraint : en effet, l’incapacité juridique du mineur dispensait déjà largement le praticien médical de recueillir son consentement, mais l’assimilation initiale de l’enfermement thérapeutique à un enfermement préventif de l’acte délinquant a par ailleurs fortement diminué sa possibilité de refuser les modalités du soin dispensé.

Aux termes mêmes des spécialistes, « il est difficile pour les patients de distinguer l’aspect thérapeutique de l’isolement de son aspect punitif. […] Le principal risque de l’utilisation de l’isolement est qu’il devienne une modalité de maltraitance institutionnelle, le problème n’étant pas alors l’isolement en lui-même mais l’usage qui en est fait »2.

b) La privation de liberté dans le cadre thérapeutique est encadrée

Les deux modalités principales de privation de liberté dans le cadre thérapeutique sont l’isolement et la contention. Elles ont été consacrées au niveau législatif par la loi du 26 janvier 20163, créant un article L. 3222-5-1 du CSP. L’introduction de cet article, issue d’une initiative parlementaire de notre ancien collègue député Denys Robiliard, était particulièrement nécessaire en l’absence d’encadrement juridique précis de ces pratiques.

Article L. 3222-5-1 alinéas 1 et 2 du CSP

L’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d’un psychiatre, prise pour une durée limitée.

Leur mise en œuvre doit faire l’objet d’une surveillance stricte confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin.

1 L’étude précitée cité notamment R. GAUTIER, qui voyait l’acte délinquant comme

« la manifestation extérieure d’une conscience pathologique » (p. 197).

2 B. WELNIARZ et H. MEDJDOUB, « L’utilisation de l’isolement thérapeutique », op. cit.

3 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, article 72.

Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l’agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement. Pour chaque mesure d’isolement ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l’ayant surveillée. Le registre, qui peut être établi sous forme numérique, doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires.

En conséquence de cette consécration législative, la Haute Autorité de santé (HAS) a publié en février 2017 une série de recommandations de bonne pratique détaillant les mesures de contention et d’isolement :

- pour la contention : elle peut prendre deux formes principales, la contention physique, qui consiste dans « le maintien ou l’immobilisation du patient en ayant recours à la force physique », et la contention mécanique, qui consiste dans l’utilisation de tous moyens « empêchant ou limitant les capacités de mobilisation volontaire ». Il est indiqué que la contention ne doit intervenir qu’exceptionnellement et en dernier recours, et uniquement dans le cadre d’une mesure d’isolement. Il ne peut y avoir recours à des moyens de

« contention mécanique ambulatoire » (la fameuse camisole) qu’en cas de

« troubles psychiatriques gravissimes de longue évolution avec des conduites auto-agressives ou de mutilations répétées » ;

- pour l’isolement : il s’agit du « placement à visée de protection dans un espace dont le patient ne peut sortir librement et qui est séparé des autres patients ». Cette mesure, qui ne doit jamais aller à l’encontre de la dignité de l’intéressé, ne peut être mise en œuvre que dans des cas très circonscrits et pour des durées très restreintes.

L’article L. 3222-5-1 du CSP n’interdit nullement la pratique de la contention et de l’isolement sur les mineurs admis pour des soins psychiatriques et ne prévoit aucune disposition spécifique les concernant.

En revanche, l’inscription de l’article L. 3222-5-1 au chapitre du CSP relatif aux soins sans consentement ainsi que les recommandations de bonne pratique de la HAS prescrivent explicitement que la contention et l’isolement ne peuvent être pratiquées que dans des cas d’hospitalisation sans consentement, et jamais dans des cas d’hospitalisation libre.

Par conséquent, aucune pratique d’isolement thérapeutique ne peut être légalement admise dans le cas d’un mineur admis en hospitalisation libre (c’est-à-dire sur demande des titulaires de l’autorité parentale).

c)L’ « enfermement chimique »

Alors que les formes physiques de l’isolement thérapeutique ne peuvent logiquement advenir que dans un cadre institutionnel contraint, votre rapporteur souhaite évoquer le sujet de l’enfermement médicamenteux, ce que l’on appelle parfois la « camisole chimique ». Il peut concerner des patients mineurs atteints de troubles psychiatriques, mais aussi de jeunes délinquants dont on souhaite canaliser la violence et les réactions incontrôlées par l’administration massive de psychotropes.

Les médicaments psychotropes

Aux termes de la HAS1, il s’agit de médicaments qui ont la propriété de modifier l’activité du cerveau en y réduisant ou en y stimulant certains processus biochimiques. Leur effet peut être soit stimulant, soit sédatif. On distingue six grandes catégories de médicaments psychotropes :

- les hypnotiques, souvent des benzodiazépines, qui luttent contre certains troubles du sommeil ;

- les anxiolytiques, qui réduisent les symptômes anxieux ;

- les neuroleptiques ou antipsychotiques, qui réduisent les symptômes psychotiques dans certains troubles du comportement liés à des maladies comme la schizophrénie ;

- les thymorégulateurs, qui traitent les épisodes maniaques et dépressifs du trouble bipolaire ;

- les antidépresseurs, qui traitent les épisodes dépressifs avérés et sont indiqués dans certains troubles anxieux ;

- les psychostimulants, qui soignent les troubles déficitaires de l’attention.

La prescription de médicaments psychotropes est l’un des actes les plus sensibles prescrits par le pédopsychiatre. Le corps médical est traversé de débats sur le recours à la prescription médicamenteuse dans le cadre d’une prise en charge devant nécessairement prendre en compte des facteurs sociaux ou affectifs : pour certains médecins, la prescription médicamenteuse peut tout à fait participer d’une prise en charge globale, pour d’autres elle court-circuiterait mécaniquement la réflexion psychodynamique propre à chaque patient. De part et d’autre de cette controverse, qu’il n’est nullement ici question de trancher, des reproches de « sur-prescription » et a contrario de « réticence à prescrire » peuvent être formulés.

1 HAS, Lettre d’information n° 10, janv.-fév. 2008.

La réticence à prescrire de certains pédopsychiatres a trois explications principales :

- elle peut résulter du caractère lacunaire de leur formation, qui

« comporte peu d’enseignements spécifiques de psychopharmacologie pédiatrique »1 ; - elle peut s’expliquer également par le cadre particulier des prescriptions de psychotropes à des enfants ou adolescents, qui ne peuvent, pour certaines d’entre elles, être faites qu’en dehors du cadre réglementaire de l’autorisation de mise sur le marché (AMM)2, ce qui engage la responsabilité personnelle du prescripteur et ne garantit pas le remboursement des soins par la sécurité sociale ;

- elle est aussi le fruit de préoccupations strictement éthiques. Les structures cérébrales de l’enfant étant encore en formation et les effets à long terme des psychotropes prescrits dans l’enfance n’ayant fait l’objet d’aucune étude étayée, de nombreux praticiens préfèrent appliquer le principe de précaution en s’abstenant de prescrire.

À l’inverse, la pratique de la sur-prescription médicamenteuse chez l’enfant présente des risques importants qu’il est impératif de contrôler.

Le problème est particulièrement prégnant aux États-Unis où il n’est pas rare qu’un enfant se voit administrer un psychostimulant, à la demande de parents soucieux de leur réussite scolaire et sur simple consultation d’un généraliste3. Bien que la France se soit toujours montrée plus méfiante que les États-Unis à l’égard de la prescription de psychotropes chez l’enfant, une étude de l’institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) publiée en 2012 faisait état d’une augmentation de ces prescriptions et, par conséquent, de leur risque de mésusage4.

Par ailleurs, l’acte de prescrire un psychotrope chez l’enfant ou l’adolescent n’est pas seulement délicat en raison des spécificités du patient, mais également du contexte familial dans lequel il intervient. La méfiance initiale des parents à l’égard de ces traitements médicamenteux place parfois le prescripteur dans une position inconfortable où il doit veiller au strict respect du traitement. Néanmoins, lorsque le traitement rencontre le succès, il arrive que ces mêmes parents se montrent favorables à sa poursuite, négligeant ainsi les causes psychosociales du trouble psychiatrique du mineur.

1 B. WELNIARZ, « Utilisation des psychotropes en pédopsychiatrie », L’information psychiatrique, t. 94, 2018, p. 91-92.

2 En effet, dans la plupart des cas, les molécules intervenant dans la composition de ces médicaments n’ont pas fait l’objet d’une autorisation pour cette population en particulier. Seule la rispéridone bénéficie de l’AMM chez l’enfant.

3 Courrier international, « Pédopsychiatrie. La Ritaline prescrite à tout-va », 19 juillet 2006.

4 INSERM, Médicaments psychotropes : consommations et pharmacodépendances, Paris, Collection Expertise collective, 2012.

Au-delà des remarques sur l’étayage nécessaire de la pédopsychiatrie qu’il a formulées dans son précédent rapport1, votre rapporteur rappelle son attachement au respect des conditions de prescription des psychotropes recommandées par la HAS2 :

- précaution : toute prescription doit être prudente, raisonnée et basée sur des données objectives permettant au prescripteur d’évaluer régulièrement le rapport bénéfice/risque pour chaque patient ;

- spécialité du prescripteur : hors situations d’urgence, les psychotropes doivent être prescrits par un spécialiste en neurologie de l’enfant ou en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent ou par un médecin très familier du traitement des troubles du comportement de l’enfant et de l’adolescent ;

- subsidiarité du traitement, une fois qu’un examen clinique aura éliminé toute cause somatique ;

- surveillance des effets par le prescripteur.

2. Un objectif encore imparfaitement réalisé : abattre les murs

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