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De nombreux mineurs sous main de justice sont aussi suivis par l’ASE

C. ENFANCE EN DANGER ET ENFANCE DANGEREUSE : UN MÊME PUBLIC

1. De nombreux mineurs sous main de justice sont aussi suivis par l’ASE

Un grand nombre de mineurs ayant affaire à la justice sont déjà connus par l’ASE avant d’être suivis par la protection judiciaire de la jeunesse.

1 Audition du 18 avril 2018.

Ce constat a été rappelé avec force par différents interlocuteurs de la mission. Mme Madeleine Mathieu, directrice de la PJJ, a déclaré que « bien que nos outils statistiques soient perfectibles, il apparaît de façon assez claire que les mineurs délinquants ont eu, le plus souvent, un antécédent de protection ou qu’ils auraient dû en avoir un. La rénovation en cours de nos systèmes d’information devrait permettre de le mettre en évidence de façon encore plus nette ».1 Mme Adeline Hazan, contrôleure des lieux de privation de liberté, a déploré que l’on ait trop tendance à dissocier « la prise en charge civile, assurée par l’aide sociale à l’enfance des départements, de l’accompagnement effectué par la PJJ au pénal, alors que ce sont très souvent les mêmes jeunes qui font l’objet de ces deux types de mesures ! »2. Dans le même esprit, Mme Sophie Bouttier-Véron, vice-présidente du tribunal pour enfants de Marseille en charge du milieu fermé, vice-présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), a noté3 que « l’ASE renvoie les enfants en danger de délinquance vers la PJJ mais ce sont en réalité les mêmes enfants ! ».

Plusieurs interlocuteurs ont souligné que notre ordonnancement juridique et l’organisation de notre justice des enfants consacrent implicitement cette proximité entre enfance en danger et enfance délinquante. Au cours de son audition4, l’historienne Véronique Blanchard a ainsi fait observer que « l’ordonnance de 19585, en conférant à la magistrature des enfants une double compétence pénale et civile, fait entrer la protection des enfants dans le champ de la justice des enfants, la société les considérant en danger ».

Prolongeant cette réflexion, Me Etienne Lesage, avocat, président du groupe de travail « Mineurs » au Conseil national des barreaux, a estimé que l’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante et celle de 1958 sur la protection de l’enfance en danger « consacrent la primauté de l’éducatif, et considèrent que le mineur - délinquant ou en danger - est souvent le même mineur ».

À défaut de données chiffrées au niveau national, il peut être intéressant enfin d’examiner les conclusions d’une étude réalisée, en 2013, sur les mineurs gardés à vue au commissariat central de Nantes. Il en ressort que « 44,3 % de ces mineurs avaient déjà fait l’objet d’une information préoccupante ou d’un signalement antérieurs à la garde à vue. 40,5 % avaient déjà bénéficié de mesures de protection par l’Aide Sociale à l’Enfance ou le parquet des mineurs. Que ce soit par un signalement ou une information préoccupante antérieurs, une mesure de protection antérieure, ou l’existence d’un fichier éducatif au parquet des mineurs, 38 mineurs (48,1 %) avaient déjà été repérés comme étant en danger par des professionnels de l’enfance avant la garde à vue»6. Certes, tous

1 Audition du 15 mai 2018.

2 Audition du, 12 juin 2018.

3 Audition du 4 juin 2018.

4 Audition du 11 avril 2018.

5 Ordonnance n° 58-1301 du 23 décembre 1958 relative à la protection de l’enfance et de l’adolescence en danger.

6 Dr Margaux Lemesle, Mémoire pour le diplôme d’études spécialisées, qualification en pédiatrie, 2013, Université de Nantes, inter-région Ouest.

les mineurs gardés à vue ne feront pas l’objet d’une décision d’enfermement ; en revanche, tous les mineurs enfermés ont été placés en garde à vue à un moment de la procédure. Comme les mineurs enfermés sont souvent ceux qui cumulent le plus de difficultés et qui ont le parcours de délinquance le plus chargé, il est vraisemblable que les chiffres seraient encore plus élevés si une même étude était réalisée sur cette population.

Votre rapporteur présentera, dans la suite de ce rapport les conclusions qui lui paraissent découler de ce constat concernant les activités de la PJJ : la proximité de ces deux publics ne lui paraît pas plaider en faveur d’une spécialisation trop exclusive sur le pénal. N’ayons pas peur de dire qu’en confiant la mise en œuvre des mesures civiles aux départements, l’État, sous prétexte de décentralisation, a réalisé avant tout une opération financière.

À ce stade, il souhaite simplement souligner l’importance d’un dialogue, d’un échange d’informations et d’une coopération efficace entre les services de la PJJ et les services départementaux de l’ASE et indiquer que l’enfermement d’un mineur suivi par l’ASE, lorsqu’il survient, constitue toujours un échec dramatique pour la protection de l’enfance.

L’aide sociale à l’enfance,

une responsabilité majeure des conseils départementaux

Suite à la décentralisation, les départements, chargés de la veille sanitaire des enfants et de la prévention spécialisée, sont progressivement devenus les maîtres d’œuvre de la protection de l’enfance. La priorité de l’autorité administrative en matière de protection de l’enfance a ainsi été affirmée.

Cette compétence de la sauvegarde de l’enfance est assumée par les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE), en vertu de l’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles modifié par la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant. L’ASE assure les huit missions suivantes :

1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l’autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu’aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ;

2° Organiser, dans les lieux où se manifestent des risques d’inadaptation sociale, des actions collectives visant à prévenir la marginalisation et à faciliter l’insertion ou la promotion sociale des jeunes et des familles, notamment des actions de prévention spécialisée ;

3° Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs ; 4° Pourvoir à l’ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation, en collaboration avec leur famille ou leur représentant légal ;

5° Mener, notamment à l’occasion de l’ensemble de ces interventions, des actions de prévention des situations de danger à l’égard des mineurs et, sans préjudice des compétences de l’autorité judiciaire, organiser le recueil et la transmission des informations préoccupantes relatives aux mineurs dont la santé, la sécurité, la moralité sont en danger ou risquent de l’être ou dont l’éducation ou le développement sont compromis ou risquent de l’être, et participer à leur protection ;

6° Veiller à ce que les liens d’attachement noués par l’enfant avec d’autres personnes que ses parents soient maintenus, voire développés, dans son intérêt supérieur ;

7° Veiller à la stabilité du parcours de l’enfant confié et à l’adaptation de son statut sur le long terme ;

8° Veiller à ce que les liens d’attachement noués par l’enfant avec ses frères et sœurs soient maintenus, dans l’intérêt de l’enfant.

Lorsqu’un mineur est placé, l’ASE contrôle les personnes physiques ou morales à qui le mineur est confié, en vue de s’assurer que les conditions matérielles et morales du placement sont satisfaisantes.

Les départements, via l’aide sociale à l’enfance, peuvent être amenés à exercer les mêmes fonctions dans un cadre judiciaire, conformément aux dispositions de l’article 375 du code civil, selon lesquelles « des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par la justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public ». Ces mesures, qui concernent principalement des jeunes délinquants, présentent un caractère contraignant et peuvent parfois alimenter le reproche d’une trop grande proximité de la procédure d’assistance éducative et de la procédure pénale.

L’ASE est un poste budgétaire majeur pour les conseils départementaux puisqu’elle absorbait, en 2016, en moyenne 22 % de leurs dépenses1.

M. Jean-Michel Rapinat, directeur des politiques sociales de l’Association des départements de France (ADF), s’est montré rassurant quant à la qualité de la relation entre ces deux institutions. Il a indiqué que

« la coopération entre les services de la PJJ et de l’ASE est ancienne et de bonne qualité, si j’en juge par les remontées qui nous parviennent. Elle est réaffirmée au gré de l’introduction ou de la reconduction du schéma départemental de la protection de l’enfance et de la famille. Un dialogue naturel existe entre nous, et a été renforcé par les lois du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance et du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant »2.

De son côté, Mme Madeleine Mathieu, la directrice de la PJJ, s’est montrée plus prudente, insistant surtout sur la diversité des situations locales : « la collaboration entre la PJJ et l’ASE dépend beaucoup de la qualité des contacts que nous entretenons avec les conseils départementaux ». Elle a noté que la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant a créé de nouveaux outils destinés à faciliter la transmission de l’information entre

1 Études et résultats, revue de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), février 2018.

2 Audition du 4 juin 2018.

administrations, notamment les observatoires départementaux de la protection de l’enfance qui constituent un vivier inestimable de données et d’analyses susceptibles d’étayer le travail de la PJJ.

Il demeure toutefois des marges de progression, par exemple en ce qui concerne le suivi statistique de ces jeunes : trop de ruptures restent imputables au défaut de compatibilité des systèmes d’information des services de la protection de l’enfance et de la PJJ. Le service informatique de la PJJ travaille à l’amélioration de son application GAME1 pour qu’elle intègre un suivi exhaustif du parcours du jeune.

Votre rapporteur rappelle enfin qu’il existe de grandes disparités entre les moyens des départements. M. Pierre Joxe, ancien ministre, a eu raison de souligner lors de son audition que « les ASE ne sont pas dans une situation uniforme, tant les différences entre départements sont réelles ! Ainsi, l’ASE de Seine-Saint-Denis, confrontée à des milliers de cas, ne peut assumer sa tâche, faute des moyens nécessaires. Ce service départemental diffère, sur ce point, radicalement de celui des Hauts-de Seine, dont les moyens sont beaucoup plus confortables»2. À ces différences de moyens peuvent s’ajouter des différences d’approche de la part des élus locaux compétents en matière de protection de l’enfance.

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