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Les soins psychiatriques : les risques d’une inflation aux contours pas toujours distincts

B. LE MINEUR ENFERMÉ POUR RAISONS THÉRAPEUTIQUES : QUAND SOINS

2. Les soins psychiatriques : les risques d’une inflation aux contours pas toujours distincts

Les conditions dans lesquelles il peut être recouru à l’enfermement thérapeutique d’un mineur dans le cadre de soins psychiatriques dépendent avant tout d’une donnée socioculturelle à l’importance parfois escamotée : la demande de soins psychiatriques, exprimée soit par les titulaires de l’autorité parentale, soit plus largement par la société civile.

À raison des auditions de la mission d’information, votre rapporteur pose un constat préalable d’augmentation de cette demande, non nécessairement causée par une augmentation de la fréquence des maladies mentales. Autrement dit, la demande de recours aux soins psychiatriques pour un mineur semble être formulée pour un nombre croissant de motifs, dont tous ne paraissent pas justifiés.

Ainsi, de même qu’en matière pénale le regard porté sur la délinquance juvénile a un impact direct sur le nombre de décisions d’enfermement, indépendamment de l’évolution réelle de la délinquance, la demande sociale conditionne pour partie le recours à l’enfermement thérapeutique, par-delà les variations du nombre de pathologies mentales.

a)Une demande croissante de soins psychiatriques

(1)L’extension du champ de la pathologie psychiatrique

Alors que la psychiatrie, entendue comme discipline thérapeutique, se donne traditionnellement pour mission de soigner les maladies mentales stricto sensu, dont les plus fréquentes sont les schizophrénies, les paranoïas ou les psychoses maniaco-dépressives, l’apparition de troubles psychiques, de gravité moindre mais présentant des manifestations similaires, a fait exploser depuis quelques décennies la demande de soins psychiatriques.

Ce sont notamment les dépressions, les états anxieux, les malaises névrotiques, qui peuvent parfois entraîner une évolution morbide1. La psychiatrie se trouve ainsi confrontée à une inflation « des conduites qui ne relèvent pas de la maladie mentale, mais qui témoignent d’une souffrance psychique et qui portent en elles-mêmes une dangerosité, étant donné leur tendance à la répétition »2.

Plusieurs spécialistes indiquent à cet égard que les structures psychiatriques pour mineurs se retrouvent confrontées à « un motif courant de demande qui est l’agitation [des enfants], souvent accompagnée de comportements opposants ou agressifs »3. La demande de soins psychiatriques exprimée en de pareils cas ne provient pas tant d’un diagnostic médical de maladie mentale que d’un épuisement familial, qui n’hésite plus à réclamer à des médecins la

1 M. BRIAN, « Psychiatrie, la fin d’une époque ? », Le Débat, t. 127, 2003, p. 137.

2 Ibid., p. 138.

3 Ibid., p. 142.

sédation d’un comportement qu’il ne parvient plus à gérer. L’usage, sans doute exagéré, de la Ritaline, chez des enfants très turbulents, est un exemple de la psychiatrisation de la société et, dans ce cadre, d’un

« enfermement psychologique ». Le psychiatre, spécialiste clinicien, a donc récemment vu ses missions augmentées d’une fonction de « conseil dans l’éducation des enfants et adolescents », dont l’extension a été perçue par certains comme un détournement du traitement des maladies graves1.

Votre rapporteur ne peut que formuler son inquiétude quant à ce qu’il interprète, dans des cas qui ne requerraient pas forcément l’intervention du thérapeute psychiatre, comme un dessaisissement de la fonction parentale au profit de la prise en charge médicale.

(2) Le rôle croissant de l’expert psychiatrique auprès du juge des enfants Outre la demande croissante de soins psychiatriques directement exprimée par les parents, votre rapporteur tient à attirer l’attention sur la demande croissante de soins psychiatriques incidemment conséquente des hospitalisations décidées par le juge des enfants. En effet, un cas non explicite d’hospitalisation sans consentement, sur lequel on reviendra, est mentionné par l’article 375-9 du code civil, aux termes duquel le juge des enfants peut décider, sur avis médical circonstancié, de l’admission d’un mineur dans un « établissement recevant des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux ».

Cette décision juridictionnelle peut s’appuyer, d’après l’article 388-1 du code civil2, sur le témoignage du mineur (qui est de droit lorsque ce dernier en formule la demande) mais est le plus souvent prise sur le recueil d’une expertise psychiatrique. Cette expertise, qui se doit d’éclairer la décision d’un juge, incompétent en matière médicale, peut revêtir une influence déterminante. Or les critères de sélection des experts habilités à éclairer les tribunaux de leurs avis font depuis quelques années l’objet de critiques récurrentes3.

1 Ibid., p. 145.

2 L’article 388-1 du code civil est ainsi rédigé : « Dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet.

Cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande. Lorsque le mineur refuse d’être entendu, le juge apprécie le bien-fondé de ce refus. Il peut être entendu seul, avec un avocat ou une personne de son choix. Si ce choix n’apparaît pas conforme à l’intérêt du mineur, le juge peut procéder à la désignation d’une autre personne.

L’audition du mineur ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure.

Le juge s’assure que le mineur a été informé de son droit à être entendu et à être assisté par un avocat. »

3 D. GAUTIEZ, C. HOUSSOU, B. LACHAUX et L. MICHAUD, « Crédibilité et expertise psychiatrique », L’information psychiatrique, t. 84, 2008.

Les termes du décret du 23 décembre 20041 prévoient des exigences pour le moins minimales et floues : il suffit qu’un expert « exerce ou ait exercé [la] profession ou [l’] activité dans des conditions conférant une qualification suffisante » pour que son avis puisse être recueilli. Dans le cas d’une expertise psychiatrique sollicitée par le juge des enfants susceptible de motiver une décision d’hospitalisation psychiatrique, votre rapporteur observe qu’aucune formation particulière en pédopsychiatrie n’est requise pour l’expert.

La mission d’information, au cours d’un déplacement au centre hospitalier du Vinatier, a ainsi été informée par le personnel soignant du cas d’une jeune fille admise en soins psychiatriques sur décision du juge des enfants à la suite d’une simple fugue. C’est donc d’un processus décisionnel exposé à des fragilités importantes que dépend in fine la décision rendue par un juge des enfants d’une hospitalisation psychiatrique pouvant mener à des situations d’isolement thérapeutique. Votre rapporteur n’en est que plus convaincu de la nécessité de rendre obligatoire – et non plus facultatif – le témoignage du mineur prévu à l’article 388-1 du code civil.

b) Une ouverture croissante et discutée des soins psychiatriques : la prise en charge des enfants autistes

S’il est un postulat que votre rapporteur ne saurait trop rappeler, c’est celui selon lequel la psychiatrie est une discipline scientifique et une spécialité médicale, principalement chargée de soigner les troubles mentaux2 et d’accompagner les patients dans leur cheminement thérapeutique. En tant que spécialité médicale, le recours à des remèdes institutionnels ou médicamenteux ne justifie sa portée curative que lorsque cette dernière est avérée par l’expérience.

Depuis quelques décennies, une polémique persistante, relative à son intervention auprès des personnes – notamment des enfants – atteintes d’autisme, agite le monde de la psychiatrie. Le champ de la psychiatrie ayant historiquement été défini par une approche symptomatique, les personnes atteintes d’autisme manifestant des troubles envahissants du développement ou du comportement s’y sont logiquement trouvées incluses, sans que l’assimilation de l’autisme à un trouble mental ne fasse alors l’objet de débat.

Intégrées à la patientèle habituelle des médecins psychiatres, les personnes atteintes d’autisme étaient donc éligibles aux traitements appliqués par ces derniers, essentiellement composés d’accueil en institution, de prescription de psychotropes et, plus récemment, de thérapies psychodynamiques influencées par l’école psychanalytique.

1 Décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires, article 2.

2 Dont la liste figure au chapitre V relatif aux troubles mentaux et du comportement (codes F00-F99) de la classification internationale des maladies (CIM-10) publié par l’organisation mondiale de la santé (OMS).

La combinaison progressive de ces trois formes de traitement est souvent présentée comme un progrès historique de la psychiatrie à l’égard de patients effectivement atteints de troubles mentaux. Elle a cependant montré d’importantes limites dans le cas particulier des enfants atteints d’autisme et fait l’objet de violentes critiques1. Les progrès récents des neurosciences ont définitivement identifié l’autisme comme un trouble neurologique, distinct d’un trouble mental. Par conséquent, l’exclusivité de la compétence psychiatrique en matière d’autisme a été contestée, au profit d’une approche médico-sociale plus englobante.

Une fois ce constat posé, et globalement acquiescé, la carence importante des structures médico-sociales spécialisées dans la prise en charge des enfants autistes a de facto contraint les familles à maintenir leur recours à des soins purement psychiatriques, libres ou sans consentement lorsqu’un trouble du comportement d’un enfant autiste est pressenti comme dangereux. Or la nécessité d’un accompagnement pluridisciplinaire de l’autisme, autant fondé sur une approche médicale qu’éducative et sociale, ne saurait se satisfaire d’une seule admission en soins psychiatriques, dont les effets isolés peuvent d’ailleurs se montrer contreproductifs, voire constitutifs de maltraitance.

Plusieurs travaux du Sénat2 se sont déjà penchés sur ce problème et en avaient identifié les causes, essentiellement financières. Les établissements de soins psychiatriques sont financés au titre de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie relatives aux établissements de santé (« l’Ondam hospitalier »), alors que les structures médico-sociales sont financées par les dépenses d’assurance maladie en établissements et services pour personnes handicapées (« l’Ondam médico-social »). La transformation de la prise en charge de l’autisme n’est réalisable qu’à la condition d’un transfert financier d’ampleur entre ces deux ensembles.

Or la loi du 21 juillet 20093 a explicitement prévu que ces deux véhicules financiers puissent faire l’objet d’une « fongibilité asymétrique » au profit de l’Ondam médico-social, sans que cette dernière ne soit effectivement pratiquée4. Les frontières culturelles importantes entre le

1 L’approche psychanalytique de l’autisme, popularisée dans les années 1950 par Bruno BETTELHEIM, explique l’apparition de l’autisme chez l’enfant par le désir inconscient qu’aurait sa mère de le supprimer. En a été déduite la prescription d’un retrait de l’enfant de son environnement familial, jugé destructeur.

2 Notamment le rapport de nos collègues Cl.-L. CAMPION et Ph. MOUILLER, Prise en charge de personnes handicapées dans des établissements situés en dehors du territoire national, rapport d’information de la commission des affaires sociales du Sénat n° 218 (2016-2017).

3 Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

4 L’IGAS, dans un rapport de novembre 2017 (Organisation et fonctionnement du dispositif de soins psychiatriques, 60 ans après la circulaire du 15 mars 1960), relevait qu’en 2017 seules 8 opérations de transfert financier de l’enveloppe psychiatrique vers l’enveloppe médico-sociale avaient eu lieu pour un montant total de 5 740 000 euros, soit environ 0,07 % de l’enveloppe psychiatrique (annexe 9).

monde sanitaire et le monde médico-social sont certainement grandement imputables à ces freins. Votre rapporteur, se joignant aux préconisations précédemment formulées par ses collègues, en appelle à leur levée.

Proposition : de façon générale, votre rapporteur invite à ce que les soins psychiatriques, pouvant aller jusqu’à l’isolement, soient strictement circonscrits au soin des troubles mentaux avérés. Les débordements signalés relatifs à des troubles psychiques d’intensité moindre et certains troubles neurologiques aux manifestations similaires doivent être régulés par les pouvoirs publics1, notamment les autorités publiques indépendantes à caractère scientifique.

3. Les droits du patient mineur et la présomption du soin consenti

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