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A. L’ENFERMEMENT PÉNAL CONCERNE SURTOUT DES MULTIRÉITÉRANTS

2. Le cadre juridique de l’enfermement des mineurs

Les principes juridiques qui régissent le droit pénal des mineurs visent à faire de l’enferment une solution de dernier recours.

a) Le droit interne

Comme cela été indiqué dans l’avant-propos, l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante privilégie les mesures éducatives et envisage l’enfermement comme la solution de dernier recours, réservée aux auteurs des crimes les plus graves ou aux jeunes multirécidivistes qui ont commis un grand nombre d’actes de délinquance.

En dépit des nombreuses réformes dont elle a fait l’objet depuis sa promulgation, l’ordonnance de 1945 a conservé ses principes directeurs, qu’il n’est pas inutile de rappeler ici.

• L’existence d’une justice spécialisée : les mineurs auxquels est imputée une infraction qualifiée de crime ou de délit ne sont pas déférés aux juridictions pénales de droit commun ; ils ne sont justiciables que des tribunaux pour enfants ou des cours d’assises des mineurs (article premier de l’ordonnance).

Il est à noter que si le juge des enfants décide de prononcer une mesure ou une sanction éducative, il peut le faire dans le cadre d’une audience de cabinet. À défaut, il saisit le tribunal des enfants : présidé par un autre juge des enfants, ce tribunal est composé d’assesseurs, qui sont des juges non professionnels, inscrits sur une liste par le président du tribunal, et recrutés pour l’intérêt qu’ils portent aux questions de l’enfance.

Le juge des enfants est compétent à la fois en matière pénale mais aussi, depuis l’ordonnance du 23 décembre 1958, en matière civile, puisqu’il peut prononcer, sur le fondement de l’article 375 du code civil, des mesures d’assistance éducative pour protéger les mineurs en danger.

Les professionnels auditionnés par la mission ont insisté sur leur attachement à cette double compétence, qui leur permet d’apporter une réponse plus globale aux problématiques rencontrées par les mineurs.

L’existence d’une justice spécialisée illustre un principe plus général de séparation des majeurs et des mineurs qui trouve une application importante dans le domaine pénitentiaire.

• Le primat de l’éducatif sur le répressif : l’article 2 de l’ordonnance prévoit que le tribunal pour enfants ou la cour d’assises des mineurs prononcent les mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation qui semblent appropriées ; c’est seulement dans le cas où les circonstances ou la personnalité du mineur l’exigent que peuvent être prononcés une sanction éducative, si le mineur a plus de dix ans, ou une peine, si le mineur a plus de treize ans ; l’éventuelle peine d’emprisonnement doit être spécialement motivée par le tribunal.

L’ordonnance dessine ainsi une gradation de la réponse apportée à la délinquance des mineurs : d’abord des mesures éducatives, puis, le cas échéant, une sanction éducative1, enfin, en dernier ressort, une peine.

• La prise en compte de la personnalité du mineur : afin que le juge dispose de tous les éléments lui permettant de prendre la décision la plus appropriée, l’article 5 de l’ordonnance prévoit qu’ « aucune poursuite ne pourra être exercée en matière de crime contre les mineurs sans information préalable » et l’article 5-1 ajoute que, avant toute décision (mesure éducative, sanction éducative ou peine), doivent être réalisées des investigations pour avoir une connaissance suffisante de la personnalité du mineur, ainsi que de sa situation sociale et familiale.

• L’atténuation de la responsabilité pénale : les mineurs ne peuvent être condamnés à des peines aussi lourdes que celles prévues pour les majeurs. Ainsi, l’article 20-2 de l’ordonnance dispose que le tribunal ne peut condamner le mineur de plus de treize ans à une peine privative de liberté supérieure à la moitié de la peine encourue par un adulte ; lorsque la peine encourue est la réclusion ou la détention criminelle à perpétuité, la peine ne peut être supérieure à vingt ans de réclusion ou de détention criminelle.

L’article 20-3 pose un principe analogue concernant les amendes : un mineur ne peut se voir infliger une amende supérieure à la moitié de l’amende encourue par un adulte, ni excédant 7 500 euros.

Certaines peines sont en outre exclues pour les mineurs en application de l’article 20-4 : la contrainte pénale, les peines d’interdiction du territoire et de séjour, les peines de jour-amende2, l’interdiction des droits civiques, civils et de famille, l’interdiction d’exercer une fonction publique ou une activité professionnelle ou sociale, les peines de fermeture d’établissement ou d’exclusion des marchés publics, l’affichage ou la diffusion de la condamnation ne peuvent être prononcées à l’encontre d’un mineur.

L’exclusion de certaines peines s’explique par le souci de ne pas faire obstacle à la réinsertion du mineur : l’absence d’affichage ou de diffusion limite la publicité donnée à la condamnation et s’inscrit dans la perspective d’un « droit à l’oubli » ; l’impossibilité d’interdire l’exercice d’une fonction publique ou d’une activité professionnelle vise à préserver ses chances de trouver un emploi.

Par sa décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002, la Conseil constitutionnel a accordé une valeur constitutionnelle au principe selon lequel la responsabilité pénale des mineurs doit être atténuée en raison de

1 Font partie des sanctions éducatives l’avertissement solennel, l’exécution de travaux scolaires, l’interdiction de paraître, l’interdiction de rencontrer la victime, l’interdiction de rencontrer les co -auteurs ou les complices, la confiscation, la mesure d’aide ou de réparation, le stage de formation civique ou le placement.

2 La peine de jour-amende prévue à l’article 131-5 du code pénal consiste à payer une amende dont le montant est fixé par jour (dans la limite de cent euros) et pour une certaine durée (360 jours au maximum).

leur âge, considérant qu’il s’agit là d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République, de même que le principe selon lequel le relèvement du mineur est recherché par des mesures adaptées à sa personnalité.

Au cours de ses auditions et de ses déplacements, la mission a perçu le très fort attachement des professionnels de la justice des mineurs, qu’il s’agisse des magistrats, des éducateurs de la PJJ ou des avocats, à l’ordonnance de 1945. Mme Laëtitia Dhervilly, vice-procureur, chef de la section des mineurs au parquet de Paris, a exprimé un sentiment largement partagé lorsqu’elle a déclaré que : « l’esprit de l’ordonnance de 1945, qui fixe un cadre faisant primer l’éducatif, est toujours vivant et inspire l’action des services »1. Comme l’a expliqué M. François Lavernhe, secrétaire général de l’UNS-CGT-PJJ, si des « des ajustements peuvent être utiles » pour faire évoluer l’ordonnance, « ses principes fondateurs demeurent essentiels »2.

b)Le droit international

La convention internationale des droits de l’enfant, convention des Nations Unies du 20 novembre 1989, contient, dans son article 37, des dispositions relatives au droit pénal des mineurs.

Elle prévoit notamment que « l’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant doit être en conformité avec la loi, n’être qu’une mesure de dernier ressort, et être d’une durée aussi brève que possible ».

Ces principes sont cohérents avec ceux de notre droit interne.

Elle prohibe également certaines peines pour les mineurs : « ni la peine capitale ni l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération ne doivent être prononcés pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de dix-huit ans ». Cette exclusion est cohérente avec l’idée, au cœur de la conception française du droit pénal des mineurs, selon laquelle l’enfant est un être en devenir, qui a la possibilité de s’amender, et non un adulte en miniature.

La convention consacre deux principes qui ont une importance pratique concernant l’organisation de la détention : en premier lieu, elle indique que tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes, à moins que l’on estime préférable de ne pas le faire dans l’intérêt supérieur de l’enfant ; elle précise ensuite que l’enfant a le droit de rester en contact avec sa famille par la correspondance et par les visites, sauf circonstances exceptionnelles.

Elle consacre aussi le principe selon lequel tout enfant a droit à une assistance juridique et à des voies de recours effectives pour contester la légalité de leur privation de liberté.

1 Audition du 26 juin 2018.

2 Audition du 20 juin 2018.

c)Un profil de multiréitérants

Les auditions auxquelles a procédé la mission montrent qu’il existe principalement deux profils de mineurs enfermés.

Il peut s’agir de mineurs qui ont commis un crime ou un délit d’une gravité telle qu’une décision d’enfermement s’impose pour punir l’auteur des faits et protéger la société. Si l’on considère ainsi les 220 condamnations définitives prononcées en 2015 par les cours d’assises des mineurs ou par les cours d’assises d’appel des mineurs, on observe que 184, soit 83,6 %, ont donné lieu à une peine d’emprisonnement en tout ou partie ferme.

Mais il peut s’agir également de mineurs ayant commis des infractions moins graves, des vols ou des délits en lien avec le trafic de stupéfiants par exemple, mais de façon si répétée que le juge des enfants, tirant les conséquences de l’échec des mesures éducatives, finit par décider un placement en CEF ou une incarcération. L’objectif est alors de donner un coup d’arrêt au parcours délinquantiel du mineur.

Juridiquement, il est rare que ces mineurs soient incarcérés en état de récidive. Comme l’a rappelé Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces, lors de son audition par la mission, « la récidive consiste à commettre un même fait après avoir fait l’objet d’une condamnation définitive. Les mineurs sont plus souvent réitérants que récidivistes : ils commettent une série d’actes délictueux, dans un délai rapproché, sans avoir pu faire l’objet d’une condamnation définitive, ce qui ne permet pas de retenir la récidive »1.

Récidive et réitération

La récidive et la réitération constituent deux notions voisines, visant des situations dans lesquelles une première infraction a donné lieu à une condamnation définitive puis dans lesquelles une seconde infraction est commise. La réitération n’intervient que lorsque le délinquant « commet une nouvelle infraction qui ne répond pas aux conditions de la récidive légale » (article 132-16-7 du code pénal).

Ainsi, la récidive, suppose une nouvelle infraction d’un certain type et commise dans un délai, déterminés par le code pénal. La récidive n’existe que lorsqu’elle est prévue par un texte, sous forme de « cas de récidive » énumérés aux articles 132-8 à 132-11 du code pénal s’agissant des personnes physiques. Par exemple en matière délictuelle, la répétition de délits ne constitue une récidive que s’il s’agit de délits de nature identique ou assimilée ayant été commis dans un délai de cinq ans (article 132-10).

1 Audition du 18 avril 2018.

La notion de réitération a été consacrée par la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales. Dans cette hypothèse, il ne s’agit pas de la commission d’une même infraction, ou d’infractions assimilées au regard de la récidive, mais de la commission de n’importe quelle autre infraction.

Les effets sur la peine diffèrent :

– en matière de récidive, le principe est celui du doublement de la peine encourue ;

– en matière de réitération, le second alinéa de l’article 132-16-7 du code pénal énonce que « les peines prononcées pour l’infraction commise en réitération se cumulent sans limitation de quantum et sans possibilité de confusion avec les peines définitivement prononcées lors de la condamnation précédente ».

Le directeur des affaires criminelles et des grâces a également souligné, s’appuyant sur les résultats d’une étude réalisée en 2013 par le ministère de la justice et portant sur la période 1999-2010, que la délinquance juvénile est très « concentrée » sur un petit nombre d’auteurs : « 7 % des mineurs ont connu plus de six affaires de délinquance et ont commis 36 % des délits commis par les mineurs. Un petit nombre de mineurs commet donc un très grand nombre d’actes, c’est également ce que l’on constate sur le terrain ». Et d’ajouter que « les mineurs passent souvent par des périodes de crise, de forte intensité, au cours desquelles ils commettent un grand nombre d’infractions dans un temps très court, ce qui épuise les juridictions comme les éducateurs de la PJJ ».

A contrario, il est notable que les deux tiers des mineurs suivis dans le cadre de cette étude ont été impliqués dans une seule affaire pénale au cours de leur minorité, ce qui suggère que la réponse apportée par l’institution judiciaire n’est pas sans efficacité. Elle suffit dans bien des cas à éviter la réitération d’actes de délinquance.

Le taux de réponse pénale1 est particulièrement élevé s’agissant des mineurs : 92,5% en 2016, contre 89,7% chez les majeurs, le solde correspondant aux affaires classées sans suite. Dans bien des cas, la réponse pénale consiste en un rappel à la loi ou en un avertissement.

L’adjointe au directeur de l’administration pénitentiaire, Mme Anne Bérard, a précisé lors de son audition que « les mineurs sont principalement incarcérés pour des vols autres que criminels ou violents (31 %) ; viennent ensuite les violences volontaires (14 %) et les vols avec violence (11 %) »2.

1 Le taux de réponse pénale mesure la part des affaires susceptibles d’être poursuivies qui ont fait l’objet soit de poursuites, soit d’une mesure alternative aux poursuites (y compris la composition pénale). Il revient au parquet d’apprécier l’opportunité des poursuites.

2 Audition du 18 avril 2018.

3. Les causes de cette augmentation de l’enfermement des mineurs

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