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À ce propos « Le discours, c’est quoi ? Nous dit J. Lacan dans le séminaire en Italie du 12 mai 1972, c’est ce qui dans l’ordre, dans l’ordonnancement de ce qui peut se produire par l’existence du langage, fait fonction de lien social. »

A. Green douze ans plus tôt dans un ouvrage intitulé « Le discours du vivant » qu’il publia dans les années 1960 en réaction à l’évolution des idées de J. Lacan qui selon lui avait tendance à évacuer le rôle des affects et du corps dans sa conceptualisation psychanalytique en insistant sur la question du langage et qui risquait finalement de réduire l’analyse à un jeu de signifiant, eut l’intention de redonner sa place à la dimension affective et corporelle dans l’expérience du discours.

En effet, Green distingue « le langage au sens purement linguistique et le discours qu’il décrit comme un retour de la matière corporelle dans le langage, discours qui réunit à la fois pensées, représentation, affects, actes et états du corps propre. »181. A. Green introduit par rapport à J. Lacan une différence non négligeable dans la question du discours en redonnant au corps et à sa position dans la relation une importance considérable. Il vient en fait nous alerter sur la position du sujet par rapport à l’énonciation.

Nous allons voir plus bas que la subjectivité suivant le discours ne se place pas forcément du côté du sujet d’énonciation mais varie en fonction du mathème. De façon tout à fait pragmatique, nous allons observer topologiquement quelles incidences, quelles marques de subjectivité la séquence S1, s2 fait porter à l’analyse des discours. Avant d’aller plus loin, il semble pertinent d’apporter des éclaircissements sur notre systématisation du discours afin de permettre une lecture d’ensemble avec les outils nécessaires.

Bien qu’une remise en cause du semblant ait déjà été opérée dans les chapitres précédents, remise en cause que le lecteur n’a peut être pas remarquée et pas encore contestée ; il a été fait du semblant, par l’articulation signifiante des différents discours, le résultat d’une différence de potentiel entre la vérité du désir et la vérité du sujet, différence de potentiel non figée et potentiellement corrélative à la vérité.

Revenons sur la conceptualisation lacanienne du semblant. Lors de sa conférence à

187 l’université de Milan, le 12 mai 1972, J. Lacan, dans son séminaire intitulé Du discours psychanalytique, donne une explication synthétique mais pour le moins significative – ce qui est plutôt rare venant de sa part – sur la question de la structure – tout en sachant qu’il fut l’auteur de l’inconscient structuré comme un langage – en déclarant, « Mais enfin, la structure, j'en parlais alors parce que personne ne connaissait ce mot. Enfin, la structure est une chose qui se présente d'abord comme un groupe d'éléments, formant un ensemble covariant. »

Ensemble covariant des éléments qui structurent le langage, et donc sans vouloir faire volontairement un pléonasme, qui varient en même temps selon l’articulation signifiante du discours étudié.

Sur ce point la théorie de l’hystérèse s’y conforme et en fait même la clef de voûte de la dynamique discursive qu’elle décrit : la covariance. Et si rotation des termes du mathème il y a, rotation de ce qui les prépose aussi ! Cependant, quelque temps auparavant dans son séminaire intitulé « D’un discours qui ne serait pas du semblant » dans la leçon du 20 janvier 1971, il insiste sur le fait « que le semblant, qui se donne pour ce qu'il est, est la fonction primaire de la vérité. », Plus loin que « les effets de l'articulation - j'entends algébrique - du semblant » ne sont pas le contraire de la vérité, « la vérité, si je puis dire, est cette dimension ou cette demansion, D.E.M.A.N..., si vous me permettez de faire un nouveau mot pour désigner ces godets, cette demansion, qui est strictement corrélative de celle du semblant, Cette demansion, je vous l'ai dit qui, cette dernière, celle du semblant, la supporte ». Plusieurs choses sont intéressantes dans ces deux citations.

La première est que Lacan fait donc du semblant une fonction corrélative de la vérité, cela viendrait confirmer ce que nous avons démontré plus haut dans l’analyse hystérétique lorsque la vérité assone, elle mène par cette fonction d’assonance dans l’EnvR poser le semblant comme initiateur dans le discours. De plus, dire que le semblant est un élément de l’articulation algébrique du discours, ce qui ne nous surprend pas, en fait un élément d’une articulation covariante. Donc vérité et semblant ne s’opposent pas mais sont corrélatifs, c'est-à-dire que l’un dépend de l’autre et vice versa dans une relation telle que l’un des deux appelle logiquement l’autre. De plus un attribut relatif est nul quand son corrélatif manque, donc pas de vérité sans semblant et vice versa. Jusque-là, Lacan et la théorie de l’Hystérèse sont dans un semblant d’harmonie intellectuelle.

188 propose « de mansion », un lieu ou ensemble de lieux juxtaposés, où selon la définition, une mansion serait un lieu dans lequel peut être faite une escale, ou bien représenter des décors différents et simultanés sur une scène de théâtre, c’est-à-dire d’instaurer une certaine fixité d’éléments dans un ensemble covariant.

Enfin là où les choses se corsent, c’est lorsqu’il déclare, toujours le 20 janvier 1971 « en quoi consiste cette fonction du discours telle que je l'ai énoncée l'année dernière. Il se supporte de quatre places privilégiées parmi lesquelles une d'entre elles précisément restait innommée, et justement celle qui de chacun de ces discours donne le titre par la fonction de son occupant. C'est quand le signifiant Maître est à une certaine place que je parle du discours du Maître, quand un certain savoir l'occupe aussi, que je parle de l'Université, quand le sujet dans sa division fondatrice de l'inconscient y est en place, que je parle du discours de l'hystérique, et enfin quand le plus-de-jouir l'occupe que je parle du discours de l'analyste. Cette place en quelque sorte sensible, celle d'en haut et à gauche pour ceux qui ont été là et qui s'en souviennent encore, cette place qui e st ici occupée dans le discours du Maître par le signifiant en tant que Maître, cette place non désignée encore, je la désigne de son nom, du nom qu'elle mérite : c'est très précisément la place du semblant. » En effet, les choses se corsent, car voilà que dans cette dynamique où les éléments sont covariants, des « godets » pour reprendre son image, des éléments se figent à une place dans l’analyse mathématique, notamment le semblant « en haut à gauche ».

En effet, déjà dans le séminaire livre XVII, Lacan proposait la matrice suivante comme préalable au discours.

Dès lors en posant le semblant en lieu et place de l’agent – en haut à gauche – pour tout discours, il vient donc par cet acte, supprimer le paramètre incontournable de l’élaboration d’une structure – et il en va de même pour les autres paramètres – à savoir celui de la covariance, thèse du semblant lacanien que nous ne soutenons pas ici et que nous remettons largement en cause depuis le début de ce travail.

Agent (semblant)

Vérité

L’adresse

189 Dans un autre registre, plus systémique – plus « psychologisant » – en référence aux travaux de l’école de Palo-Alto en Californie sur les sciences de l’information et de la communication, mais aussi en référence aux travaux de R. Jakobson sur la linguistique, la question du sujet et du discours ne s’organise plus selon le principe de covariance structurelle d’éléments, mais en tenant compte d’un type de relation entre partenaires, sur le mode de l’interaction. Cependant l’apport conceptuel qui s’en dégage n’est pas sans intérêt pour notre travail.

Dans un article intitulé « Communication »182, Bateson propose une synthèse de cette expérience humaine tout en s’inspirant de la psychanalyse freudienne et de la Gestalttheorie. Posant l’inconscient comme base essentielle dans les processus d’échange, Bateson « retient comme prémices d’une nouvelle théorie de la communication humaine cette part de déterminisme intrapsychique propre à l’individu et qui ne nourrit pas de rapport direct avec l’interlocuteur (celui-ci n’étant qu’un « écran »). »183 Et même s’il ne rejette pas le facteur interpersonnel pour en déduire la notion d’interaction, selon sa théorie, toute communication, même si elle fait intervenir un « ÉMETTEUR » et un « DESTINATAIRE » elle n’implique pas forcément que le destinataire soit une personne physique différente de l’émetteur, ainsi que le présente le graphe ci-dessous :

Cela traduit en partie ou en surface ce qui se passe dans l’analyse du mot d’esprit, c’est-

182

G. Bateson : « Communication » in La nouvelle communication, Editions Seuil, Paris 1981.

183

G. Salem, E. Bonvin : Soigner par l’hypnose, pratiques en psychothérapie, P 32, 2è édition, Masson Editeur 2001. Emetteur Destinataire Message Feedback OU Emetteur Emetteur Message Feedback

190 à-dire une technè, ou plutôt une praxis langagière sur laquelle s’appuie une pulsion libidinale partagée. Bien qu’une telle analyse systémique de la communication ne permette en aucune mesure de mettre à jour les processus psychiques qui motivent une telle transmission, cette représentation schématique peut, en substance, venir compléter l’hystérèse du sujet et voir comment le sujet se positionne dans le réel ou l’EnvR par rapport à l’Autre ou à l’autre du discours.

Alors une question se pose : Dans l’analyse hystérétique où se situe la subjectivité ? Se superpose-t-elle à d’autres concepts déjà étudiés ? Et s’il y a subjectivité dans le discours, comment se manifeste-elle ? Dans l’intersubjectivité ? Peut-on alors parler de discours objectif ? Qu’en est-il du semblant ? Se confond-il avec la subjectivité au niveau de l’analyse hystérétique ? Ou bien sont-ce deux concepts (semblant et subjectivité) qui sont localement différents en œuvrant chacun pour leur propre compte.

Dans son assertion la plus courante la subjectivité est une façon personnelle d’appréhender le réel, en somme une manière de se construire sa propre réalité psychique. C'est-à-dire pour reprendre J. Lacan dans sa conférence à l’université de Milan le 12 mai 1972 intitulé Du discours psychanalytique, de poser la question du subjectif non pas comme un moyen pour signifier, qui donne une signification irrévocable, mais de soutenir, bien qu’insoutenable dans l’imposture analytique, que le subjectif suppose « un sujet qui est capable de se servir du signifiant comme nous nous en servons, se servir du jeu du signifiant non pas pour signifier quelque chose, mais précisément pour nous tromper sur ce qu'il y a à signifier [...] se servir du fait que le signifiant est autre chose que la signification, pour nous présenter un signifiant trompeur. »

Dès lors la question du subjectif fait apparaître un biais lié intrinsèquement à la question du savoir et de la localisation du sujet de l’énonciation dans le discours. Un savoir qui n’a d’autre finalité que celle de continuer à se produire et à tromper son monde comme dans le panoptique de Bentham, où peu importe que les surveillants soient bien réels à partir du moment où les surveillés le croient. C’est là tout le pouvoir du savoir que d’être au service de la croyance et de faire la promotion de ce biais qu’on appelle le subjectif. De sorte que la séquence S1, s2 n’ayant pas la même place dans chacun des discou rs, elle indiquera néanmoins quelle approche subjective a le sujet dans la relation. Si la séquence S1, s2 peut se superposer au semblant ou en être totalement exclue, cela fait montre de toute l’ambiguïté de la subjectivité du sujet d’énonciation dans le discours et

191 la difficulté de tenir son analyse et sa position qui diffère suivant le discours.

Dès lors s’il existe une ambiguïté au niveau du couple subjectivité/semblant, une autre apparaît nécessairement au niveau du couple subjectivité/objectivité notamment à travers les impostures – au sens courant du terme – des discours à tendance objective comme dans celui de l’Universitaire par exemple.

Le sujet parlant est par essence même assujetti dans le réel à ses propres contraintes psychiques. Par ailleurs nous avions vu, lorsque nous abordions plus tôt la question de la Chose, que ce concept parlait d’un temps dans l’hystérèse du sujet où subjectivité et objectivité prenaient naissance par la perte initiale qu’on avait nommé la Chose, repris dans la formule : « La Chose est égale à la somme des absences moins une absence ». De sorte que le sujet avant d’être sujet parlant était sujet parlé et donc soumis aux assauts des signifiants de l’Autre, signifiants engendrés à la fois de la subjectivité de l’Autre et consécutifs du rapport que le sujet entretient avec l’ordre symbolique, et objectivité d’une articulation du langage qui vient immanquablement créer une scission entre le réel vécu et ce qui vient le signifier. C'est-à-dire que « ce réel, nous dit J. Dor, n’est pas le réel lui-même mais ce par quoi ce réel se trouve représenté, en accord avec l’aphorisme de Lacan : il faut que la chose se perde pour être représentée. »184

De sorte que le rapport du sujet à l’objectivité ne se conçoit que dans le rapport qu’il entretient avec un réel représenté, et qui laisse penser qu’il n’y a pas de discours objectif mais qu’objectivation d’un discours subjectif. Bref dans le discours le subjectif est omniprésent et l’intention objectivante ne peut qu’être asymptotique.

Dans son discours le Maître va dans sa vérité de sujet par un signifiant premier s’adresser à l’autre, le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant, l’esclave qui ne peut faire autrement que de se construire sa propre vision des choses qu’en fonction de ce qu’elle semble être celle du Maître, de ce qu’il transparaît du Maître pour l’esclave dans la relation, de ses propres croyances qu’il attribue au Maître. C’est ainsi que la subjectivité dans le discours du Maître (S1s2 sur le haut du mathème) ne se construit que par le savoir de l’autre et son semblant. Cela montre toute l’ingratitude de cette position Maître / esclave qui conduit l’impuissance du Maître à se passer à la fois du semblant (du coté de l’autre l’esclave) et de partager la subjectivité (S1  s2 en haut du mathème) pour ex-sister. Partage de la subjectivité entre le Maître et l’esclave dans ce qu’on pourrait appeler de l’intersubjectivité.

192 Il en va de même de cette superposition séquentielle dans le discours de l’Analyste qui doit se conformer à l’effacement de sa subjectivité grâce au refoulement (S1//s2 en bas dans le mathème). Dans le discours de l’Analyste, le pouvoir de la croyance joue à fond dans le processus de la dynamique transférentielle. L’analysant en produisant du signifiant permettra à l’analyste de se construire un savoir grâce aux signifiants premiers du sujet de l’inconscient. Ce savoir « se distingue de poser la question d’à quoi sert cette forme de savoir, qui rejette et exclut la dynamique de la vérité. »185 Cette forme de savoir dont nous parle J. Lacan « sert à refouler ce qui habite le savoir mythique. Mais excluant celui-ci du même coup, il n’en connaît plus rien que sous la forme de ce que nous retrouvons sous les espèces de l’inconscient, c'est-à-dire comme épave de ce savoir »186.

En ce sens, la subjectivité de l’Analyste se pose là où se trouve le savoir, et n’a cependant pas disparu de la relation. Ici la subjectivité de l’Analyste, compte tenu de sa position dans l’EnvR, montre en quoi la subjectivité en corrélation avec le semblant, font ensemble de l’Analyste non pas un savant, mais un supposé savoir.

Un savoir supposé qu’aurait l’analyste sur l’analysant, notamment sur la question de la castration et l’interdit de l’inceste et de ce que cela sous-tend. C'est-à-dire d’une subjectivité qui en se soustrayant – qui ne se fait pas savoir – ne viendra pas suggérer la vision personnelle de l’analyste à l’analysant. Cette subjectivité non déclarée de l’analyste ferait dans le cas contraire basculer la relation dans un autre type de discours – de l’Universitaire ou l’Hystérique – et risquerait d’enfermer le sujet dans ses croyances, dans sa propre subjectivité.

En officiant du côté de l’inconscient (en bas) et subissant la coupure de la jouissance la séquence S1//s2 n’entre pas dans le cadre de l’intersubjectivité, mais plutôt est exclue du champ de l’analyse pour éviter le renforcement de l’enfermement du sujet analysant au « moment même où il décrit avec exactitude qu’on peut dire absolue le mécanisme de son enfermement dans le fantasme qu’il en conclut qu’il ne saurait en sortir »187. Coupure de la jouissance qui n’est pas objectivité à l’état pur mais absence de subjectivité ou a-subjectivité à l’état pur.

185

J. Lacan : Le séminaire livre XVII, L’envers de la psychanalyse, P 103, Edition Seuil, 2006.

186

Ibid. 103 - 104

193 Cependant, il en va autrement dans le discours de l’Hystérique. On observe là une disjonction entre semblant et la séquence S1/s2 (du côté de l’Autre dans notre mathème, et exclue du semblant) officie pour le compte de la vérité. Ici la superposition de S1/s2

s’opère dans le champ de la vérité du sujet qui est du côté de l’Autre. C’est-à-dire d’un sujet qui œuvre toujours dans ce mécanisme procuratif que nous avons décrit précédemment, d’un sujet qui se conforme à la subjectivité de l’Autre en tant que vérité et ne peut pas lutter contre elle.

La réalité psychique de l’hystérique c’est celle de l’Autre parce qu’il n’est pas capable – puisqu’il s’agit de satisfaire le manque de l’Autre – d’échapper aux croyances de l’Autre et de les faire siennes. De plus la différence que l’on peut observer avec les deux discours précédents, c’est que disjoint du semblant, la subjectivité venant de l’Autre avec sa vérité n’intervient plus dans cette logique discursive au titre de sens (on a vu précédemment dans le chapitre « Au-delà de la chose… Le Maître châtré » que seul l’objet « a » en tant que symptôme donne un sens à l’hystérèse de l’hystérique) mais agit comme une véritable signification de son manque pour en accentuer la soumission du sujet hystérique à la subjectivité de l’Autre. Elle Fait par la même occasion que le sujet dans le semblant est dépourvu de tout savoir, il n’est plus que l’ombre de lui-même et renforce par lui-même la duperie à laquelle il collabore en s’accrochant toujours plus aux croyances de l’Autre – jusqu’au pire mysticisme – parce que le sujet ne tient dans le semblant que dans la subjectivité de l’Autre. Dès lors la subjectivité reléguée au niveau de la signification en devient plus prégnante et prend le statut de sens premier pour en accentuer la naïveté du sujet qui évolue dans le semblant.

On pourrait presque dire que le sujet hystérique, qui est dans la croyance des signifiants de l’Autre, est crédulité à l’état pur, crédulité que l’on retrouve aisément et cela depuis J. M. Charcot dans le traitement par l’hypnose des patientes hystériques ou des traitements par la suggestion par H. Bernheim de l’école de Nancy au XIXe siècle.