• Aucun résultat trouvé

2.5) Les mathématiques au service de la théorie du discours

C’est J. Lacan qui, dans le séminaire livre XVII « L’envers de la psychanalyse », introduit la catégorie du discours. Déjà lors du séminaire précédent intitulé « D’un Autre à l’autre » et pas le contraire, J. Lacan se demandait pourquoi et comment partant de l’Autre, le sujet motive sa rencontre avec l’autre. L’autre pas seulement en tant que semblable, congénère, frère ou prochain, c'est-à-dire sur le versant de l’autrui, qui appartient à l’humanité, mais en tant qu’entité complexe, c'est-à-dire à la fois constitué d’une partie réelle dans sa radicalité et une partie imaginaire - limite au sens mathématique du terme. En effet si trouver l'objet sexuel n'est, en somme, que le retrouver, c’est qu’au-delà du réel de l’objet s’effectue une projection d’un déjà éprouvé et perdu par rapport à l’incarnation même de cet objet. Pour le dire autrement la fascination que produit l’objet sexuel sur le sujet va au-delà d’une pure confrontation au réel de celui-ci. Dans la construction du sujet par rapport à l’objet une part d’imaginaire s’y ajoute. Part imaginaire venant compenser un manque initial issu de la perte et causant à la fois le désir pour cet objet tout en commémorant un temps de complétude total, un « idéal » perdu où il était « tout ». C’est cet objet à la fois imaginaire et symbolique - trompe l’œil qui entretient le désir - que J. Lacan nommera le phallus (ph). Comme nous en avons parlé précédemment dans le chapitre de la sexuation de l’individu et de la différence des sexes, le vocabulaire freudien ne fait qu’esquisser la différence qu’il peut y avoir entre le pénis et le phallus, même s’il utilisera ce dernier terme pour qualifier un stade de développement dans la sexualité infantile mais aussi un positionnement sous lequel se place le développement de l’hystérèse du sujet de l’inconscient, à savoir : « le stade phallique et le primat du phallus ». On doit à Freud d’avoir montré dans un texte sur « le fétichisme » en 1927 de la valeur hautement symbolique du phallus en tant qu’objet imaginarisable, détachable et déplaçable en une autre partie du corps ou sur un autre objet pour l’élire au statut de zone érogène. Cependant le fétiche en tant que substitut du pénis manquant reste le prototype d’un mécanisme de défense que l’on retrouve dans la perversion et résultant d’un déni par le sujet de la perception de la réalité menaçante de la castration chez la femme : « Dans le

83 psychisme du sujet, la femme possède certes bien un pénis, mais ce pénis n’est plus celui qu’il était avant. Quelque chose d’autre avait pris sa place, a été désigné, pour ainsi dire, comme substitut et est devenu l’héritier de l’intérêt qui lui avait été porté auparavant. Mais cet intérêt est encore extraordinairement accru parce que l’horreur de la castration s’est érigé un monument en créant ce substitut »113

.

Néanmoins on doit à J. Lacan d’avoir étendu ce concept et de le lier directement à la question même de la perte et donc de la castration symbolique. Car au-delà de la représentation de l’organe mâle autour duquel s’organise la sexualité humaine, J. Lacan montera que la question du phallus se joue essentiellement sur les registres de la présence et de l’absence dans le langage notamment à travers les concepts de manque et de signifiant. Ainsi le phallus s’intègre d’une part dans le champ imaginaire, en tant que phallus imaginaire, c'est-à-dire de la représentation psychique inconsciente de trois facteurs : anatomique, libidinal et fantasmatique, et d’autre part le champ du symbolique , en tant que partie détachable, amovible et échangeable avec d’autres objets tels que nous avons pu le voir chez Freud dans l’article intitulé « Sur les transpositions des pulsions plus particulièrement dans l’érotisme anal » où le phallus est alors échangé contre d’autres objets équivalents (pénis = fèces = cadeaux).

J. Lacan fera du phallus un concept central dans l’organisation de la sexualité humaine, il sera la condition sine qua non de l’empreinte de la castration et de soumission à la loi paternelle, c'est-à-dire de la jouissance limitée imposée au sujet, jouissance limitée notamment à l’égard de l’Autre, pour faire en sorte que la jouissance se conforme à la fois au principe de plaisir et de réalité. Le phallus devenant une sorte d’artefact, un repère psychique définissant les contours du désir et plus fondamentalement le niveau de séparation dans le lien qui unit l’enfant à la mère. Artefact qui initie le sujet à la mise en œuvre au processus métaphorique de l’ex-sistence, à la question de la substitution signifiante telle que l’a démontré Freud en 1920 dans « Au-delà du principe de plaisir » dans l’expérience du « fort-da ». Expérience où l’enfant en se rendant maître de l’absence de la mère représentée symboliquement par la bobine de fil qu’il lance et qu’il ramène, peut alors mobiliser son désir de sujet vers cet objet substitutif de l’objet perdu. Une substitution signifiante qui permet au sujet d’accéder symboliquement à l’objet perdu en prenant appui sur le refoulement originaire. Refoulement « qui apparaît comme un processus de métaphorisation [qui] n’est autre que l’acte lui-même de la

84 symbolisation primordiale de la Loi qui s’accomplit dans la substitution signifiante Nom du père au signifiant phallique »114.

Ainsi en se conformant aux prérogatives freudo-lacanienne, dans la courbe d’hystérésis le phallus se localisera par l’intersection de trois axes (voir figure 8), le premier par la projection de (C) par (a) dans le plan du réel en (ph) qui lui-même se projette sur (I) en décrivant un axe que l’on appelle phallus imaginaire et le troisième par projection sur (S) qu’on appellera phallus symbolique.

S’il y a un au-delà de la cause du désir, c’est à cette invention psychique qu’est le phallus qu’on le doit. Car cette partie imaginaire qui se surajoute à « a », qui va au-delà de « a » en pro-positionne le phallus « ph », et permet ainsi de ne pas figer le sujet dans le réel. Réel qui par nature est mortifère, cette entité complexe qu’est le phallus va ordonner le mouvement de la courbe du sujet, la tirer dans un premier temps vers le haut et dans un second temps éviter que le déclin de celle-ci ne vienne à l’encontre de l’Autre. Pour le dire en termes plus imagés, le phallus c’est la carotte qui fait avancer l’âne sans qu’il ne puisse l’atteindre.

Ainsi l’appareil psychique du sujet peut se satisfaire d’une représentation de l’objet sexuel tout en se conformant au principe de réalité – en fonction de l’énonciation de

114 J. Dor : Introduction à la lecture de Lacan, P 116, Edition Denoël, 2002.

I S R a Phall us Cho se Ph( i) Ph(S) A NP Hystéré sis du sujet Figure 8

85 l’Autre dans le jeu spéculaire – d’énoncer un jugement à la fois sur la présence réelle de l’objet mais aussi sur l’idée que le sujet s’en fait. La localisation de « ph » vis-à-vis de la courbe d’hystérésis permettra compte tenu de la force du signifiant du Nom du père de ramener le sujet à un niveau de jouissance suffisant pour que subsiste toujours un écart, un vide entre le sujet (la courbe qui fait coupure avec le réel) et l’Autre (surface dont le bord est l’axe symbolique). De faire en sorte qu’une division, d’un « rapport à », qu’un vide entre le sujet et l’Autre reste patent pour que la reprise de la courbe soit possible. Reprise qui va permettre d’amener le sujet vers la quête d’un nouvel objet, et donner un caractère métonymique aux reconquêtes successives des objets, passant de « a1 » en « a2 »… « an » etc. mais également parce que J. Lacan appelle « la refente » de faire redescendre la courbe à des niveaux successifs en « A1, A2, … An ».

Pour reprendre Freud dans son texte sur « la dénégation » de 1925 « la fin première et immédiate de l’épreuve de réalité n’est donc pas de trouver dans la perception réelle un représenté mais de le retrouver, de se convaincre qu’il est encore présent »115, aussi bien pour le sujet que pour l’Autre. La projection de (a) sur l’axe symbolique représente la force du signifiant en partance de l’Autre et véhiculera la loi de l’interdiction de

115

S. Freud : « La dénégation » in Résultats, idées, problèmes II, P 138, Presse universitaire de France, 2005.

Hystérési s du sujet a1 A a2 an Symboliq ue Chos e Imaginair e

R

éel A1 A2 An Figure 9

86 l’inceste dans le lien mère – enfant. Le phallus en tant qu’objet fictif est visé pour favoriser la castration. Phallus symbolique parce que signifiant du désir qui se confond avec la loi séparatrice de la castration.

De sorte que grâce à l’accès au langage, l’objet est perdu en même temps qu’il est constitué et le phallus dans l’hystérèse du sujet ne vient pas finalement s’intercaler entre le sujet et l’Autre, mais plutôt dans le plan euclidien à deux dimensions s’inventer au- dessus de la courbe comme point fictif (voir figure 10), parce qu’impossible à atteindre, résultant de l’intersection de trois axes, artefact que l’on cherche en permanence à localiser sans jamais y arriver. Ce point fictif qui n’est pas fixe, nommé le phallus (Ph) dans la courbe d’hystérésis du sujet de l’inconscient peut être considéré comme point d’aspiration du sujet. Il aide à la fois à amener le sujet vers l’inconnu de l’objet dans le réel et le force à se décoller au départ de la chose puis à limiter le déclin de la pulsion de mort en une chute trop brutale vers l’Autre et donc la mort. Le phallus rendre par la même occasion l’objet imaginairement domesticable tout en se conformant au signifiant maternel, et fait en sorte que la familiarisation avec l’objet ne soit pas trop prégnante sur le sujet. Le phallus est donc un point fictif qui n’est pas fixe, qui n’est pas réel et qui devra tout au long de la progression et régression de la courbe d’hystérésis fournir une triangulation entre la chose, l’Autre et ses signifiants. Pour le dire vulgairement : « si le phallus c’est la carotte, le signifiant du nom du père s’est la badine qui impulse à l’âne le mouvement vers l’avant, et les trois marchent ensemble ».

Les signifiants, formant une chaîne qui force à la structuration du sujet, remplissent la béance entre le sujet et l’Autre en surfaçant le vide ainsi laissé116

. La répétition de la coupure opérée par des signifiants tout au long de l’évolution structurera de la courbe et donnera au signifiant son aspect métonymique jusqu'à en remplir le vide existentiel entre le sujet et l’Autre, en produisant une surface virtuelle qui en recouvre ce vide.

Enfin pour compléter ce graphique, lors de la rencontre dans le réel entre le sujet et « a » se produit deux phénomènes constitutifs de deux ratages.

 Un premier ratage vis-à-vis de l’objet « a », car élément du réel, le voilà investi des lois qui régissent ce champ, notamment l’impossible tel que nous l’avons défini avec

116

Lors de son intervention à l’université de Milan, le 12 mai 1972, Jacques Lacan utilisera l’expression de « dérapage du signifiant » pour expliquer ce phénomène métonymique du signifiant. D’un signifiant qui glisse, qui se déplace, qui passe ou qui se passe pour en structurer le sujet.

87 J. Lacan d’une part et d’autre part que le fantasme fait écran au réel pour en permettre une reconstruction dans l’imaginaire. C'est-à-dire que s’il y a rencontre avec l’autre (a) c’est une rencontre avec son image, soit un ratage du destinataire dans son authenticité par un arrêt tangent de la pulsion en raison de la présence d’un axe imaginaire (voir figure 9 ci-dessus), axe délimitant la frontière où un Moi rencontre un autre Moi semblable, axe imaginaire qui maintient un écart avec le ré el de l’objet rencontré.

C’est ce qui explique que dans le graphique (Figure 10 ci-après) « a » soit représenté par une asymptote « a’ » tangente à la courbe et sectionnant l’axe de l’imaginaire en un point pour en déterminer un vecteur sur l’axe de l’imaginaire, « ainsi, c’est sous la forme de l’autre spéculaire (la propre image du sujet dans le miroir) que le sujet percevra également l’autre, c'est-à-dire son semblable, situé en « a’ » (sur la figure 10) »117. Constituant ce qui chez Freud aura le titre d’instance du Moi et fera dire à J. Lacan « cette forme de l’autre a le plus grand rapport avec son Moi, elle lui est superposable et nous l’écrivons a’. »118

 Un second ratage a lieu lors de la redescente de la courbe d’hystérésis, en maintenant le sujet au-dessus de l’axe de l’Autre symbolique, en évitant l’effectivité de la pulsion de mort. Pour le dire autrement, bien que la pulsion de mort soit orientée vers la fusion avec l’Autre et donc la mort, ce n’est que par excès que se commet l’infraction, car conformément aux concepts freudiens le but premier de la pulsion de mort n’est en somme que de diminuer la tension psychique sans pour autant se rendre à la mort, en respectant ce que Freud appelait le principe d’autoconservation.

De plus, la part sur l’axe (I) qui se surajoute à ce que nous avons déterminé comme instance du Moi est ce qui chez le sujet lui donne l’illusion d’une possibilité d’atteindre un idéal ; l’idéal auquel l’identification narcissique du sujet entretient un mode de rapport à la fois avec le phallus, en tant qu’objet primordial du désir, et la personne susceptible de posséder l’objet dont le sujet pourrait en être castré. Cette instance nouvelle, qui apparaît sur le graphique ci-après, procure au sujet des capacités supplémentaires de refoulement en étirant vers le haut la courbe d’hystérésis (voir figure 10), elle utilise les mêmes opérandes que celles décrites par

117

J. Dor : Introduction à la lecture de Lacan, P 159, Edition Denoël, 2002

118

J. Lacan : « Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse » in Séminaire du 25 mai 1955, op. cit., P 285

88 S. Freud dans « Pour introduire le narcissisme ». Chez S. Freud, cette instance se confondra pendant un temps avec la notion de Surmoi, notamment du fait de sa position mais aussi en raison de sa fonction d’auto-observation, de jugement et de censure.

Plus tard, S. Freud différenciera le Surmoi de l’Idéal du moi. Cette dernière instance prend appui sur ce qu’il appelle le Moi idéal que Freud définit comme « le substitut du narcissisme perdu de son enfance [où] en ce temps-là, il était lui-même son propre idéal »119. Par la suite, sous la pression des investissements libidinaux objectaux , l’enfant consacrera un autre objet que lui-même et favorisera les processus d’idéalisation et d’identification que l’on peut retrouver dans l’état amoureux, l’hypnose, le fanatisme… Cette instance qui se place au-dessus du Moi idéal qui occasionne la projection et l’identification à l’objet supposé possesseur du phallus, S. Freud lui donnera le statut d’Idéal du moi. J. Lacan développera ce concept de l’Idéal du moi et montrera l’incidence des processus d’identifications imaginaires formateurs du Moi et assujettis à l’identification paternelle. L’hystérèse reprendra la terminologie freudienne « idéal du moi » pour nommer la part d’imaginaire au-delà du Moi.

Le discours chez J. Lacan, contrairement au sens commun, n’est pas forcément

119 S. Freud : « Pour introduire le narcissisme », in La vie sexuelle, 1914, p 98, Paris PUF, 2004.

Symbolique

R

éel autre (a) ph Chose Ph(i)=Mo i+i Ph(S ) Autre S S S S S S S S S Hystérésis du sujet NP Moi a’ Imaginaire Figure 10 Idéal du moi

89 synonyme de parole, selon lui l’acte retourne également d’un discours, discours sans parole. De plus si on considère la parole comme un ensemble, il faut en accepter le fait que celui-ci puisse être vide. Car au-delà du simple échange de paroles entre individus, comme nous l’avons vu dans le paragraphe sur la question du positionnement du sujet dans le lien social, des éléments contextuels et pré textuels seront nécessaires pour qualifier un simple échange en discours.

Dés lors, en psychanalyse, la question de la sexualité dans le lien social n’exige plus à être traitée sur le versant d’une sexualité masculine ou une sexualité féminine et même qu’elle signification donner à la sexualité ?… Mais aussi peut-on traiter cette question sur le versant du rapport à l’activité sexuelle, ou bien sur le versant de la relation sexuelle ? Disons en référence à J. Lacan lorsqu’il disait qu’il n’y a pas de guerre mais seulement un discours sur la guerre, qu’en fait, il n’y a pas de sexualité, mais qu’un discours sur la sexualité. Car aborder cette question sous l’angle d’un discours, nous renvoie inévitablement au primat du phallus et donc du désir. Ce qui n’a rien à voir avec le masculin ou le féminin, le phallus reste ce repère vers lequel s’ajuste le désir du sujet (homme ou femme) pour mieux en canaliser la jouissance.

Donc le masculin et le féminin ne peuvent finalement que se concevoir du côté d’une pratique sociale ou sociétale et de ce que l’on en dit (d’ailleurs J. Lacan durant tout son enseignement ne parle pas du discours de l’homme ou de la femme, d’ailleurs selon ses termes « LȺ FEMME n’existe pas »120). Et c’est à partir de cette invention extraordinaire qu’est le phallus que va pouvoir être formaliser la question du discours en psychanalyse.

Grâce à l’apport freudien, lacanien et en référence aux travaux de Marx sur la position du Maitre, ainsi qu’en partant de l’analyse du mot d’esprit, nous avons pu étudier la praxis langagière du sujet. Elle retourne d’une pulsion libidinale partagée qui répond à une logique inconsciente dans l’hystérèse du sujet pour adresser la pulsion ou représenter le sujet auprès d’un Autre intervenant en vu de le faire jouir.

Pour compléter le schéma de l’hystérèse nous allons devoir faire, à nouveau, un détour par l’outil mathématique et voir comment peuvent se décliner les quatre discours lacanien UHMA. De plus nous pourrons démontrer comment le sujet dans son désir peut à certains moments se trouver dans la relation sexuelle en affrontant l’impossible du

120

Sans traiter explicitement cette citation, nous verrons plus bas au travers des différents chapitres la quest ion de l’existence ou plutôt de l’Ex-sistence et du A barré, notamment celle du signifiant de A barré.

90 Réel et par moments dans le rapport sexuel qui réduit l’écart entre la position du sujet dans le réel avec le champ de l’Autre. Un positionnement variable parce que justement selon la logique du discours déployé, l’opérationnalité du phallus dans sa fonction de relance de la courbe du désir est compromise voire même annihilée.

91

CHAPITRE III