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Le Nicot, Thresor de la langue française (1 606) page 538 donne entre autre une définition du mot Rapport, en tant que « récit de bouche, ou par escrit de ce qu'on a veu, fait, ouy ou entendu, Relatio94. Selon ce on-dit, Le rapport d'un procès fait au bureau par un juge. Le rapport d'un Veneur de ce qu'il a veu rencontré et destourné en sa queste. Le rapport d'un sergeant de ce qu'il a fait en exploictant. Le rapport des jurez priseurs, arpenteurs, de ce qu'ils ont visité, prisé, mesuré, et semblables »95. Le rapport

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J. Lacan (1969-1970), Le séminaire XVII, L’envers de la Psychanalyse, P 106, Edition Seuil 2006.

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Relatio : mot latin, action de rapporter, de reporter à la même place, relatio gratiae, témoignage de reconnaissance.

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70 à cette époque est relatif d’un discours, d’un témoignage à propos d’une chose ou d’un événement, qu’une personne en fait état auprès d’une autre.

Plus tard, le Dictionnaire de l’Académie française 1er

édition en 1694, inclura dans la définition de base du mot rapport la notion d’une plus value, d’un revenu, de ce que produit une chose, ce qu’elle rapporte en terme financier ou de récolte ou qui aurait une utilité médiocre : « Ce champ, cette vigne, ce pré, cet arbre est d'un grand rapport. Cette terre est de meilleur rapport que celle qui la joint . »96. Largement complétée sera la définition de ce mot dans les éditions ultérieures, notamment en droit avec l’exposé des éléments de fait ou de droit d'un procès, établi et présenté à l'audience ou en cours de délibéré par un magistrat de la juridiction chargée de juger l'affaire ; médicalement « pour une vapeur incommode, désagréable, qui provient d'indigestion, monte de l'estomac à la bouche. J'ay de meschants rapports de cette viande. Les raves causent des rapports. »97

C’est en 1 762 dans la 4ième

édition du Dictionnaire de l’Académie française, qu’apparaît la définition mathématique de mot rapport : « se dit de la relation que deux grandeurs ont l'une avec l'autre. Il y a le même rapport entre six & douze qu'entre trois & six. »98. Mais aussi du rapport, de la ressemblance, de la conformité, des éléments communs entre deux personnes, deux langues, deux particularismes : « La Langue Italienne a grand rapport avec la Langue Latine. Il y a un grand rapport d'humeurs entre ces deux hommes. Il y a un grand rapport entr'eux pour les traits du visage. »99. Dans cette édition, se voit introduit pour la première fois la question d’une relation aux choses et à leur fin, la relation de cause à effet, d’une tendance vers un but : « Les actions humaines sont bonnes ou mauvaises, selon le rapport qu'elles ont à une bonne ou à une mauvaise fin. »100. Plus tard décliné dans les relations grammaticales, dans la construction de la phrase, le rapport entre les mots, le rapport entre l’adjectif et le substantif, mais a ussi dans « l'espèce de liaison, de connexion, de relation que certaines choses ont ensemble. Montrez-moi le rapport que ces deux affaires ont ensemble. Ce que vous dites aujourd'hui n'a aucun rapport avec ce que vous disiez hier. Vous dites là des choses qui n'ont nul rapport ensemble. Il n'y a aucun rapport entre ces choses. Cela n'a point de 96 Ibid. http 97 Ibid. http 98 Ibid. http 99 Ibid. http 100 Ibid. http

71 rapport, n'a pas rapport à ce que je vous dis. Cela n'a rapport à rien. Ces deux sciences ont un grand rapport entre elles. Toutes les parties du corps ont un certain rapport les unes avec les autres. Rapports de convenance, de disconvenance, de similitude, de différence. »101, Et ainsi au fur et mesure dans la 6ième édition en compléter la définition par les relations que les hommes ont entre eux : « Rapports de commerce, d'intérêt, de parenté, d'amitié, de confraternité. Nos rapports ensemble sont fort agréables. Je n'ai jamais eu aucun rapport avec lui. »102.

Enfin, lors de la 8ième édition de 1932, se verront introduit dans la signification de ce terme la question du rapport militaire, qui reste finalement fidèle à la constitution d’un énoncé oral ou écrit sur des activités ou des opérations journalières, et celle qui fait allusion à la sexualité qui apparaît par une simple phrase : « Avoir des rapports avec une personne, Avoir un commerce intime avec elle. »103. Les éditions qui vont se succéder, n’apporteront rien de neuf sur cette signification.

Nous avons pu voir en substance l’évolution à travers le temps de la signification du mot rapport, notamment des champs qu’il a investi, et pour tenter d’en résumer la teneur, une analyse ensembliste peut être effectuée sur ce sujet dans lequel trois sous-ensembles ressortent.

 Le premier faisant référence à la question d’une production : que ce soit une énonciation à propos d’un sujet, un discours qui consiste à rapporter des faits, des événements, des choses. Mais aussi par la conjonction de plusieurs éléments de provoquer la production d’un fruit (agricole, financier…), production d’une émission telle quelle soit comme dans le langage avec la formation du signe issu d’un rapport entre un signifiant et un signifié. Dans cette catégorie le rapport est lié à la notion d’aboutissement d’un projet, d’une entreprise, d’une plus value au sens économique du terme, plus précisément dans la vision Marxiste de la plus-value.

 Dans le second sous-ensemble la signification du mot rapport s’inspire en grande part de la définition aristotélicienne du « relatif » et c’est ce qui peut déjà produire une confusion entre la notion de rapport et de relation. Ainsi le rapport ou « le relatif aristotélicien » est une affaire de comparaison entre deux ou plusieurs éléments qui

101 Ibid. http 102 Ibid. http 103 Ibid. http

72 s’incluent dans le même champ, le même domaine de définition, afin de produire un résultat, par une division numérique donner un quotient, et par la confrontation des éléments faire montre de la proportionnalité qui les rapproche. Ainsi le rapport serait la partition, la division d’un ensemble par des éléments disjoints constituti fs de cet ensemble et dont leur réunion le reconstituera. De sorte que toute partie de cet ensemble représente un certain rapport à l’ensemble, d’autre part la somme des rapports ou des quotients, des différentes parties constituant la partition sera égale à Un. Le rapport exprime ainsi une comparaison-inclusion-division des parties à l’ensemble. Ici ce qui prime, c’est le rapport du numérique, du mesurable qu’il peut exister entre deux choses, que cela soit de l’ordre du concret ou de l’abstrait. De plus Aristote dans « Métaphysique » introduit quant au relatif selon la puissance, la notion d’état ou de positionnement en fonction des actes et du temps afin de faire montre du rapport de causalité, c'est-à-dire lorsqu’un événement actuel est l’incidence d’un événement antérieur : « c’est ainsi que le père est dit père de son fils, car l’un a fait et l’autre a subi l’action d’une certaine manière. »104

. Par ailleurs cette vision du « relatif aristotélicien » et le rapport seront à la base au début du XXe de la théorie de la relativité tel que l’a établi Albert Einstein en 1905, relativité dans son assertion du mesurable et du numérique d’éléments en interactions dans n’importe quel système de coordonnées : « les lois physiques sont les mêmes dans tous les systèmes de coordonnées en mouvement uniforme les uns par rapport aux autres »105

 Un troisième sous-ensemble se constituera à partir de 1932. Il consistera à mettre sur un même plan la question du rapport avec celui d’une relation entre deux individus et faire de ce rapport la cause et non la conséquence. Je m’explique, si un lien entre une chose et l’autre est constitutif de la cause, des fondements qui les relient, c'est -à-dire de l’objet qui en motive la rencontre, le rapport est une conséquence, c'est-à-dire de la plus-value ou la perte que l’on tire de cette confrontation. Autrement dit, si la relation implique un prédicat, une adresse, une correspondance des éléments entre eux, le rapport est une simple opération qui se suffit à elle-même pour engendrer un résultat. Pour le dire autrement, le rapport « individu / chose » retournerait d’un

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Aristote : Métaphysique, P 201, tome 1 livre A–Z, Bibliothèque des textes philosophiques, 2000.

73 mode de fonctionnement en dyade ou en triade, alors que la relation repose essentiellement sur le mode d’une triangulation.

Ainsi une phrase du type « untel entretient de bons rapports commerciaux avec sa clientèle », même si dans la tournure de cette phrase une coloration relationnelle semble se dégager, elle ne décrit cependant à juste titre que la conséquence mercantile sous - jacente et sous-entend les fruits récoltés, les produits obtenus de l’activité commerciale qui est en jeu entre le vendeur et chacun de ses clients. De fait cette phrase se réfère au premier sous-ensemble de la signification du mot rapport où il est question en fait d’une production.

Là, où cet abus langagier - du rapport en tant que relation - est éclatant, serait pour faire montre de ce qui unit une personne avec une autre personne en faisant l’amalgame entre rapport « individu / activité » et les fondements d’une relation. Nous pourrions observer ce phénomène au travers de phrases du type : « j’ai eu avec cette personne… Des rapports sexuels, pour en expliquer l’objet de la rencontre ».

Cela marcherait-il aussi dans un autre cadre de rencontre au quotidien ? C’est-à-dire qualifier de rapports alimentaires si on est invité à manger !… Ou alors de rapports médicaux si l’on a rendez-vous chez son médecin !… Mais encore de rapports psychanalytiques si l’on a rendez-vous chez son analyste !

On comprend aisément que dans les cadres relationnels proposés ci-dessus ne sera pas établi un compte rendu, un rapport détaillé oral ou écrit sur l’alimentation, le sexuel, le médical ou l’analyse de la part de la personne avec laquelle on va d îner, que l’on souhaite visiter ou que l’on consulte. Mais également, si l’on s’en tient à la terminologie du mot rapport, il serait plus convenable de parler « du rapport à », c'est-à-dire du rapport de l’individu à l’alimentation, du rapport de l’individu à la sexualité, à l’activité médicale ou à l’analyse. Et si l’individu espérait une plus-value dans sa rencontre, en en faisant un rapport, c’est qu’il se situait dans une activité jouissante, et ce qu’il positionnait en tant que relation n’était en fait qu’un rapport à sa satisfaction espérée, à sa jouissance personnelle.

De plus, si l’on s’en tient uniquement à la question de la relation sexuelle, quoi que l’on fasse, rencontrer l’autre c’est rencontrer l’autre sexe, car dans le jeu spéculaire la rencontre de l’autre se traduit par la confrontation à une image partielle, car incomplète, et reconstruite de l’autre. Ce qui nous fait ainsi dire que si la rencontre est une ébauche de relation, c’est que quel que soit le sexe, c’est une rencontre avec un autre sexe (même

74 dans ce qui s’appelle homosexualité), et pour le dire plus succinctement si le rapport est homo, la relation est hétéro.

On voit donc que de telles phrases proposées précédemment sur la question du rapport ne tiennent pas la route et heurtent l’auditeur, sauf dans le cas du rapport sexuel où finalement cet abus de langage ne choque plus l’oreille des français, y compris au sein de certaines professions médicales, où paramédicales qui l’emploient fréquemment. Ce nouveau champ de définition du mot « rapport » empiète littéralement sur celui de « relation » et démontre clairement l’abus langagier. À l’instar de l’utilisation qui en a été fait plus haut, rien n’a pu être comparé, ni inclus, ni mesurable, ni discursif sur l’activité. Pourtant ce qui est une aberration pour le psychanalytique, le médical ou l’alimentaire ne l’est plus dans le quotidien pour le sexuel. Placer la relation sous l’angle du rapport serait finalement travestir une promesse en contrat, une obligation de moyens en obligation de résultats, c’est travestir la relation hétéro en un rapport homo.

Y a-t-il désormais une attente particulière vis-à-vis de la relation sexuelle, un résultat espéré conséquent à cette activité qui alors saurait occasionner un rapport ? Dans quel discours le sexuel procède-t-il au XXIe. Et qu’en est-il de la vision psychanalytique sur la question du rapport ?

Globalement, la psychanalyse s’en tient aux différentes définitions du mot que propose le dictionnaire de l’académie française ; là où ça coince, c’est en ce qui concerne la question du « rapport sexuel ». Dans l’enseignement de la théorie psychanalytique et notamment avec Jacques Lacan « le rapport sexuel n’existe pas », comment expliquer cette assertion qui vient finalement contrarier un des emplois les plus courants de ce mot à notre époque.

Si l’on s’en tient à la définition de l’hystérèse du sujet, en supposant que la courbe qu’elle décrit soit valide et s’intègre dans la conception psychanalytique, nous pouvons en déduire que si rapport sexuel il y a, c'est-à-dire de l’ordre d’un possible dans le réel, il retournerait d’une opération qui occasionnerait la production d’une perte dans sa réalité biologique. Une perte, soit d’une partie des organes sexuels de type amputation, soit d’une émission, une éjection quelconque qui proviendrait des voies sexuelles de type urine, sperme, cyprine… Voire même l’accouchement par les voies sexuelles de l’enfant pour la génitrice, et encore rien n’est sûr que l’on puisse catégoris er cette

75 dernière mais aussi les autres productions de sexuelles, en tout cas peut-on les considérer tout au plus d’organique.

Nous avons pu montrer précédemment que l’origine de l’hystérèse était dans son rapport à la chose freudienne l’affaire d’un décalage du temps et de l’espace issue d’une perte originelle qui dans le discours lacanien prendra valeur de réel. Ce temps et cet espace qui constituent un retard dans le rapport qu’entretient un sujet avec le réel, implique pour celui-ci la possibilité d’en faire une reconstruction imaginaire ou symbolique. Donc selon toute vraisemblance quand je regarde un objet, celui -ci n’est déjà plus tel que je le perçois et aurait subi une érosion du réel, et rendrait de ce fait impossible la capture immanente, instantanée de celui-ci. Ce que nous percevons ce n’est plus l’objet en tant que tel mais pour faire allusion à la physique des particules la propagation d’un champ qui nous bombarde.

En effet, imaginons la scène suivante. Supposons qu’un esprit malin me lance le défi de dessiner un simple glaçon rectangulaire de la façon la plus réaliste possible alors que la scène se passe en plein Sahara sous une température de 50° degré Celsius sous abri. Selon toute vraisemblance, quelques secondes seulement après m’être lancé dans mon étude graphique, le glaçon soumis à la température ambiante aura déjà changé de forme, et je devrais ainsi en modifier mes premiers contours. Un temps plus tard croyant avoir fini l’esquisse, mon glaçon ne sera plus qu’une flaque d’eau. Remodifiant à nouveau mon dessin, et le temps que je réalise, l’eau s’est totalement évaporée et il ne reste plus rien à dessiner. De mauvaises langues insinueraient que je dessine lentement ou que je n’avais qu’à prendre une photographie. À travers cette fiction je ne prétends pas que le réel c’est le néant, ni non plus que l’on n’y ait pas accès mais que le réel pour l’individu est l’objet qui aura subi la loi du langage et du désir et trouve comme médiateur le signifiant, impossible du réel incarné par le décalage du temps de l’espace et du mouvement. Et si le réel c’est avec J. Lacan « ce qui ne cesse de ne pas s’écrire », on peut dès lors affirmer que si l’écriture n’est qu’une représentation graphique de la pensée préconsciente alors le réel est ce qui ne cesse d’être fantasmé.

Ainsi, le rapport au réel est un rapport physique106, ou plus précisément comme dirait M. Chagall pour évoquer le foudroiement ressenti et provoqué par une œuvre d’art lors de

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Un rapport physique au sens de rapport à la nature tel que l’entendaient les grecs, de la place de l’homme et de sa vérité face aux phénomènes naturels. De l’explication des faits et de l’influence de la Nature hors références irrationnelles (Dieux, esprits, destin…)

76 sa contemplation : « c’est le secret de la chimie »107.

Face à l’indescriptibilité du réel, c'est-à-dire de cette impossibilité de soutenir le réel par aucune forme symbolique, ou de ne le soutenir que par des formes approximatives, Les différentes sciences qui se réclament de la physique ne peuvent qu’élaborer des lois écrites ou des théories pour palier ce décalage. C’est-à-dire de partir du réel pour en bricoler avec méthode et rationalité une réalité symbolique qui fait office de savoir, « c’est un symbolique qui à lui tout seul désormais […] vient rendre compte du réel »108 et en oubliant de fait, au-delà du réel, le jeu du langage.

Un scientifique obstiné pourrait nous rétorquer que faire de la preuve mathématico- expérimentale ou par l’observation qui vient confirmer la théorie. Nous lui répondrions pour aller sur son terrain de la physique que même la lumière a une vitesse, vitesse qui elle-même traduit un décalage spatio-temporel, et donc que l’instantanéité n’est qu’un mirage. D’ailleurs, même lorsque nous observons le ciel d’une nuit étoilée, rien ne nous prouve que l’astre lumineux que nous observons cette nuit-là, n’a pas déjà disparu depuis quelques siècles et que nous ne percevions que les reliquats de lumière qui mettent du temps pour parvenir jusqu’à nous. Ce même scientifique obstiné qui ne voudrait pas accepter la vérité du rapport au réel, nous objecterait d’ailleurs qu’il suffirait de prendre un télescope électronique pour rendre possible l’observation et de s’apercevoir que l’astre n’est plus là… Confortant ainsi ses certitudes réduisant ainsi l’impossible du réel à l’impuissance humaine.

À ce stade de notre commentaire, nous pouvons, afin de schématiser notre propos, définir les axes d’abscisse et d’ordonnée mais aussi le demi-plan de référence dans lequel évolue l’hystérésis de l’inconscient, et conformément à la conception de la topologie lacanienne RSI, nous nommerons en abscisse le symbolique, en ordonnée l’imaginaire et le plan le réel (voir figure 6).

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Citation de Marc Chagall tirée d’images d’archives présentées à l’occasion d’un documentaire français réalisé par Valérie Exposito, Cyril de Turckheim et Yoyo Maeght en 2007 rediffusée sur France 5 le 16 septembre 2010, « Un soir au musée de Saint Paul de Vence ». Emission en l’hommage de la Fondation Maeght inaugurée le 28 juillet 1964 en présence du ministre des affaires culturelles A. Malraux.

Il est également intéressant de voir que M. Chagall refusait s’il avait le cho ix, c'est-à-dire hors contexte du principe de réalité, de signer ses œuvres. Selon lui, une œuvre reste forcement inachevée et la signature en tant que signifiant maitre vient faire point final, coupure avec le réel de l’œuvre. La signature à la fois signe et mot perpétuant le meurtre de la chose.