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Cependant sans pour autant s’introduire sur le versant pathologique du masochisme, il peut être intéressant d’observer d’un point de vue pulsionnel comment il (le masochisme) entre dans la constitution d’un lien social et comment les pulsions de vie et de mort œuvrent dans le moi et concrétisent la structuration psychique de ce lien.

En 1924, S. Freud aborde en partie ce sujet dans un article intitulé « Le problème économique du masochisme » et montre à nouveau l’importance fonctionnelle des pulsions de vie à faire union avec les pulsions de mort. Et de la rencontre , entre la libido

C Hystérésis du sujet a

A

a a Pulsion de vie Pulsion de mort Pulsion de vie Pulsion de mort Figure 5

61 et les pulsions de mort au sein de l’organisme, va se créer un subtil alliage permettant de détourner vers l’extérieur une quantité suffisante des pulsions de mort qui œuvrent habituellement au sein de cet organisme pour ramener celui -ci à un état anorganique : « La libido a pour tache de rendre inoffensive cette pulsion destructrice et elle s’en acquitte en dérivant cette pulsion en grande partie vers l’extérieur (le sadisme ), […] une autre partie ne participe pas à ce déplacement vers l’extérieur, elle demeure dans l’organisme et là elle se trouve liée libidinalement à l’aide de la coexcitation sexuelle »77. Il appellera ce procès le masochisme originaire, érogène dans le plaisir d’organe qu’il manifeste, qui conserve pour objet l’individu lui-même et prend part à l’ensemble du développement psychosexuel dans toutes ses phases.

Cette part de sadisme résiduelle alliée à la libido « serait donc un témoin et un vestige de cette phase de formation dans laquelle s’est accompli cet alliage, si important pour la vie, de la pulsion de mort et de l’Éros. »78. Elle constitue l’essence même du masochisme du moi en une structure fondamentale qui joue le rôle de « gardien de la vie » selon les propres termes de Freud.

Faisant à nouveau appel au processus de l’identification, dans les premières années de sa vie l’enfant introjecte, intériorise sans véritable discernement les autorités qui le conditionnent, le limitent. Si comme nous l’avons vu au-dessus avec A. Freud qu’au début une part importante des pulsions de mort sont projetées vers l’extérieur dans des impulsions destructrices, au fur et à mesure du développement du moi, de l’indépendance et de l’autonomie que l’enfant acquiert vis-à-vis de son entourage, cette part de pulsions de mort auparavant projetée vers l’extérieur va s’accroître pour rester confinée et liée aux pulsions de vie dans le moi.

Cette part grandissante collabore d’autant plus à l’internalisation des interdits parentaux et autres substituts sous la forme d’une conscience morale, une censure. Ceci se comprend bien compte tenu de la fonction principale des pulsions de mort à savoir de ramener la tension psychique à son niveau le plus bas.

Ainsi devant les menaces ou les critiques qui imposent au sujet à respecter et à se soumettre aux impératifs parentaux où sociaux, l’alliage pulsion de vie, pulsions de mort ordonne dans un premier temps une déformation du moi pour lui éviter, du fait de son infériorité constitutionnelle de risquer une rupture en dérogeant au principe de plaisir, et

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S. Freud : « Le problème économique du masochisme », 1924, in Névrose, psychose et perversion, P 291, Paris PUF, 2004.

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62 dans un second temps pour ne plus avoir à affronter un conflit ultérieur de même nature à se lier et à intégrer dans le moi la source même de ce conflit en une représentation , représentation issue d’une identification au caractère moral de la revendication.

Ainsi grâce aux pulsions de mort la teneur sexuelle - génitale est reléguée en arrière plan et met au-devant de la scène le principe d’autoconservation de l’individu dont le comportement transgressif au sein de la société met en péril son intégrité par le risque d’un retour de châtiment, de subir une castration, imaginaire dans un premier temps puis symbolique.

Par la suite les mêmes causes (ou analogues) produiront les mêmes effets mais cette fois du fait de la déformation du moi, le bénéfice d’une nouvelle instance relais interne constituée principalement de pulsions de mort sera capable à la fois de dégrader des pulsions de vie n’ayant pas subi le filtre du moi et ainsi de réprimer les comportements transgressifs et les pensées nocives pour le moi. Instance relais autonome qui se placera au-dessus du moi pour le protéger, le dominer, pour le censurer grâce notamment à la part importante des pulsions de mort (sadiques) qui constituent cette instance supérieure. Cette part du Moi devenue autonome qui va progressivement s’édifier grâce aux processus d’identification envers les figures d’autorité sera à la fois un relais inconscient avec la réalité extérieure ou la société et le moi. Cette part du Moi sera capable d’ordonner la bonne conduite du moi face au principe de réalité et de plaisir. Cette instance intrapsychique complémentaire à la fois interne et externe sera défini e par Freud comme Surmoi et ainsi « le sadisme du surmoi et le masochisme du moi se complètent et s’unissent pour provoquer les mêmes conséquences »79

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Désormais le surmoi permettra l’intériorisation des us et coutumes, des traditions, des interdits passées et présents notamment à l’égard des pulsions sexuelles et sera la principale instance psychique dans la formation des sentiments de culpabilité conscients et inconscients. La force et la cruauté de ce surmoi sont tout à fait compréhensibles compte tenu des pulsions de mort qui constituent cette instance, cependant elles seront d’autant plus efficaces dans leur emprise sur le moi que celles-ci auront le moins possible à être projetées vers l’extérieur contre un objet menaçant qui souhaiterait se substituer à elles. De plus les pulsions de mort du surmoi agissent également au niveau narcissique et n’hésitent pas à le rabaisser notamment à nos propres yeux en jouant sur l’estime de soi par de nombreux auto reproches créant chez l’individu un malaise

63 récurent. Il conditionne le moi à prendre sur lui.

Freud voit la formation du surmoi en tant qu’héritier du complexe d’Œdipe : « Ce surmoi, en effet, est tout autant le représentant du ça que du monde extérieur. Ce qui lui a donné naissance c’est que les premiers objets des motions libidinales du ça, le couple parental, ont été introjecté dans le moi ; au cours de cette introjection la relation à ces objets a été désexualisée, déviée de ses buts sexuels directs. C’est seulement de cette manière que le complexe d’Œdipe peut être surmonté. »80

Chez les postfreudiens comme Mélanie Klein et Jacques Lacan, la formation du surmoi serait antérieure à la phase œdipienne. Ils prônent l’existence d’un surmoi archaïque du sujet, nous n’entrerons pas ici dans ce débat, cependant la question du masochisme du moi et du sadisme du surmoi dans l’hystérèse du sujet nous interpelle au plus au point dans la relation que ces instances entretiennent dans la structuration du lien social et notamment lorsque les exigences culturelles usent de répressions à l’égard des pulsions sexuelles des individus qui constituent le tissu social.