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3.7) Hystérèse, « droit phallique » et dettes.

Dans les deux discours à l’endroit dans le Réel, le signe du phallus était positif. Bien que n’étant qu’un artifice, sa présence était néanmoins, pour le sujet, un motif existentiel dans l’évolution de sa courbe. Le phallus étant un point, une sorte d’artefact localisé par l’intersection de trois axes Ph(I), Ph(S) et la projection de (C) par (a) et s’élevant à la fonction signifiant du désir de l’Autre interdit au sujet.

La localisation de ce signifiant s’explique par un signe positif qui le précède [+(+Ph] lorsque Ph se trouve dans le Réel et un signe négatif [-(+Ph)] s’il se situe dans l’Autre. Cette localisation traduisant finalement la façon dont le sujet règle sa jouissance dans la structuration de son désir. Suivant le discours, la position du phallus accule le sujet pris dans le langage et son aliénation à faire un choix : Soit favoriser le sens, soit favoriser « l’Être ».

a) Dette et droit phallique dans le discours du Maître

Favoriser le sens, pose la question de la positivité du phallus, comme résultant du crédit que le sujet confère à la vrai-semblance161 de ce point, et qu’une éventuelle identification donne à celui-ci une place privilégiée dans la constitution de l’objet du

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Nous demandons au lecteur de prendre ce terme dans son assertion la plus courante, car ainsi que nous l’avons déjà souligné, en psychanalyse « le semblant » n’a rien à voir avec le vrai ou le faux ni avec le vrai semblant ou le faux semblant, seul le sujet a affaire avec le semblant dans le discours.

153 désir.

Cette vrai-semblance du phallus pour le sujet et sa positivité pose à son tour le problème de son existence en tant qu’entité abstraite morcelable, clivable imaginairement et/ou symboliquement dont l’Autre en partie dépourvu, n’en aurait pas la propriété totale mais en serait partiellement dépossédé.

Selon S. Freud dans « le fétichisme », le phallus agit en substitut « d’un certain pénis qui à une grande signification pour le début de l’enfance et disparaît ensuite »162

. Cependant dans le cadre de cette déviance sexuelle qu’est le fétichisme, le phallus « aurait dû être normalement abandonné, mais le fétiche est justement là pour le garantir contre la disparition. […] Le fétiche est le substitut du phallus de la femme (la mère) auquel a cru le petit enfant et auquel, nous savons pourquoi, il ne veut pas renoncer. »163. Pour le dire autrement avec Freud, tous les sujets durant l’enfance ont cette croyance commune de la mère ayant un pénis. Plus tard après avoir pu se rendre compte que le genre féminin ne possède pas cet organe, le sujet va ressentir une menace de castration contre le sien. Face à cette situation, l’enfant utilisera le déni (die Verleugnung) face à la réalité de la représentation qui s’impose pour se rassurer (dans le cas du fétichiste il en reste là) puis le refoulement (cas du sujet qui se dirige vers une structure névrotique). Et la croyance de la mère possédant un pénis est abandon née, mais celle de la mère dotée d’un phallus perdure avec les années. Quant à la menace de castration elle va de pair avec l’élection de ce substitut à la fois imaginaire et symbolique, nommé le phallus. En somme, le sujet au départ voit dans la mère une Autre toute puissante, et le sujet ayant utilisé le mécanisme du refoulement, remise cette croyance dans les profondeurs de l’inconscient.

Par conséquent, la relation triangulaire dans laquelle évolue le sujet, favoriser le sens par la présence du phallus dans le réel comme objet séparable implique que de ce partage, l’Autre, qui est à l’origine du phallus par son énonciation et par le mécanisme du refoulement du sujet, n’aurait gardé par la teneur symbolique que le sujet lui confère, que la nue-propriété (abusus). Dans une dimension plus imaginaire, le tiers dont l’utilisation (usus) fait exception à la loi de la castration, définit pour le sujet un intervalle acceptable du champ d’application de la fonction phallique et canalise la promotion du désir. Ne resterait au sujet que le droit pour le développement de son ex -

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S. Freud : « Le fétichisme » in La vie sexuelle, P 134, PUF éditions, 2004

154 sistence dans le réel de jouir (fructus) de « l’objet a » en tant que substitut phallique sans pour autant bénéficier dans l’immédiat des fruits de la jouissance, ni en user ou en abuser parce que la jouissance est soumise, elle aussi, à la fonction paternelle qui régit la loi de la castration et de l’interdit de l’inceste. De sorte que le sujet se trouve être dans un rapport à la jouissance, canalisé par la métaphore du nom du père, qui le prive de l’immédiateté d’un rapport jouissif, il diffère la satisfaction, il épargne en quelque sorte le bénéfice de cette jouissance, il capitalise le fructus en attendant de pouvoir en user et en disposer à son tour. C’est pour cela qu’il se trouve dans un rapport « à » la jouissance, comme nous l’avions défini plus haut dans le chapitre intitulé « aparté sur la notion de rapport ». Le sujet n’est pas exempté de la jouissance, il épargne, il capitalise conformément au principe de plaisir et surtout de réalité, reporte son intérêt sur le prochain « objet a » à sa portée pour perpétuer le mouvement de son aliénation représenté par l’hystérèse. Ainsi le « fructus » sera un degré de jouissance dite phallique compte tenu du caractère de dépendance au phallus et à sa tridimensionnalité dont est réduite la jouissance du sujet par nécessité. Il ne cesse pas d’espérer d’en user, d’en abuser et d’en jouir. La nécessité désigne finalement l'impossibilité pour le sujet d'êtr e autre qu'il n'est, de ce fait elle se trouve favoriser le sens du c ôté du réel.

De ce démembrement du phallus en abusus du côté de l’Autre, de l’usus du côté du tiers d’exception et du fructus du côté du sujet provoque inévitablement chez ce dernier un besoin irrépressible, gravitationnel, de remembrement dans l’Autre. Comme si le sujet tentait dans le cheminement de son aliénation de reconstituer, dans un mouvement de bas en haut et de haut en bas, l’ensemble de cet artifice pour obtenir la souveraineté absolue. Cela ne venant pas en contradiction avec la question du meurtre du père, parce qu’en tuant ce qui institue le Père, à savoir l’Autre et le tiers d’exception qui l’introduisent dans la fonction phallique, le Maître se retrouverait possesseur du droit phallique dans sa totalité. Mais n’ayant pas dans sa vérité de sujet (même si le désir existe) les capacités réelles de commettre un tel forfait, le Ma ître par nécessité recherche le phallus dans une quête illusoire, effrénée, métonymique et ne trouve sur son chemin que des objets « a » qu’il tente de ramener au niveau de l’Autre pour ne faire qu’Un. Cependant la métaphore paternelle, qui n’est ni le père ni la mère mais leur connivence dans la loi qu’ils fondent et du principe de réalité qu’ils instituent, veille au grain et ne permet pas que le sujet ne passe un certain cap de jouissance dans son rapprochement vers l’Autre absolu. Ce cap à ne pas dépasser dans la redescente de la courbe, sous surveillance du signifiant du Nom du Père, est un désir que le sujet doit oublier tout en

155 le conditionnant pour ne pas transgresser la loi de la castration et de l’inceste. Ce mécanisme d’oubli et de conditionnement est celui à la base des fondements de la psychanalyse et de l’inconscient que S. Freud conceptualisa sous le terme de refoulement. C’est ce mécanisme institué par la loi paternelle qui fixe les caps que la jouissance ne doit pas franchir et pour qu’elle ne devienne pas de la pure culture de la pulsion de mort.

En cela, nous ne pouvons plaider dans l’hystérèse du sujet en faveur d’un unique signifiant du nom du père, mais plutôt des Noms du Père qui se produiront suivant les aléas de l’ex-sistence du sujet164

notamment dans les premières années de la vie.

De sorte que dans ce discours, le sujet possède finalement la subdivision la plus paradoxale (le fructus). En effet, il peut partiellement jouir phalliquement sans pouvoir ni y accéder au phallus ni le céder ou en disposer comme bon lui semble. Ce processus opératoire constitutif et dynamique de l’hystérèse est ce qu’on pourrait appeler « le droit phallique du Maître ». C’est un droit qui n’est pas sans évoquer des obligations qui vont avec, notamment celle du sacrifice et celle de sujet malgré tout redevable envers l’Autre et le tiers qui lui ont laissé ou fait don d’un élément : la jouissance. Une jouissance qui par nécessité retourne plus de la satisfaction du besoin que de la pulsion de mort totalisante.

D’ailleurs le Maître reproduit dans son discours ce schéma de redevabilité qu’il a envers l’Autre ou envers Dieu et trouve tout à fait naturel la servitude de l’esclave à son égard en témoignage d’une redevabilité. Dans le discours du Maître la constitution « du droit phallique » est donc un droit dont les conditions d’user, d’abuser et de fructifier vont définir la qualité du lien que le sujet va entretenir avec ses semblables.

En effet, chronologiquement le sujet est introduit dans le langage par l’Autre et le tiers, c'est-à-dire qu’ils lui font le don165 d’une inscription dans la chaîne signifiante. Face à ce

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Par commodité, nous continuerons durant ce travail de recherche, lorsque nous utiliserons ce concept , de le nommer Nom du Père même si cela désigne en fait les Noms du Père.

165 M. Mauss dans l’article « Essai sur le don », tiré de « Sociologie et anthropologie », Paris, PUF, coll.

« Quadrige » 11e édition, 2004. Cité par J. Hortonéda dans l’article « Sans fond : La dette comme le don » dans la revue Empan n°82 édition Erès de juin 2011, montre combien la notion de don et de dette est intimement lié à celle du temps et que si le « don est originaire » le sujet se trouve placé devant « une dette du sens » qui toujours le précède. « Nous sommes redevables infiniment, dés que nous venons au monde, mais de quoi ? De la vie, de tout ce qui est ! Pour la phénoménologie, tout don renvoie à une donation originaire, « l’allemand ne dit pas « il y a » mais « ça donne », es gibt, (geben : donner) ». Citant F. Nietzsche dans « Généalogie de la morale », Jeannine Hortonéda montre des liens intimes du mot « faute » dont l’origine viendrait de l’idée toute matérielle de « dette », en allemand « Schuld » signifie à la fois la faute (culpabilité) et la dette (obligation). Par ailleurs, elle montre que si le don appelle un contre-don et compte tenu du décalage du temps, le don et la dette ne s’annulent jamais, il y a toujours un reste de perdu ou de sacrifié ; que peut être la dette inextinguible provient non du don, mais de la donation (originaire), au sens du es gibt. Et d’affirmer ainsi que « la dette

156 don, le sujet se trouve finalement dans l’obligation d’effectuer après -coup un contre- don, qui en attendant de se réaliser, prend valeur de dette symbolique.

Le prix de cette dette sera celui du renoncement à certains droits, l’abusus et l’usus, et de différer le troisième, le fructus, jouissance différée qu’on nomme en psychanalyse la castration. La castration représentée par S1 étant le prix de la dette symbolique (DS) due par le sujet se trouvant accéder à l’humanité, à la dimension du langage et la fonction phallique.

Par ailleurs le sujet, ayant reçu ou ayant fait l’objet d’une castration, garde malgré tout un sentiment de redevabilité à l’égard de tout ce qui a collaboré à l’instauration du droit phallique vu que le sujet est représenté par le signifiant S1 qui est porteur d’une dette symbolique.

Ce qui fait la particularité de ce discours est la faculté du sujet à limiter la jouissance pour privilégier le don à venir qui sera finalement le résultat d’un don précédent tout en sachant que le premier don fut permis grâce à la donation originaire et reconnu au titre de dette symbolique principale (DS  S1  S2  S3…).

À chaque cycle le Réel est réinvesti par le sujet grâce à un nouveau don accessoire représentant une nouvelle dette symbolique (dette symbolique (DS) = dette symbolique principale + le fructus)166 De cette dette symbolique, il est en droit d’attendre qu’elle produise un prochain don et par le fait une dette toujours plus conséquente. Le sujet Maître se sacrifiant au profit de la dette et du don.

Le don à venir par retour d’investissement du don précédent faisant l’objet d’un décalage temporel, produit chez le sujet Maître, le sentiment que l’autre du réel et son savoir a une dette probable à son encontre. Ce sentiment de dette probable constituera une dette imaginaire (DI) à son encontre (l’attente d’une plus value) qui sera à la fois le produit du décalage temporel, et inversement égale au niveau de la dette symbolique

précède le don». C’est là une autre façon d’aborder la question de la redevabilité du sujet à l’égard de la transcendance et vient conforter la théorie de l’hystérèse et du lien sociale. Et si la donation nous l’avons à notre insu amalgamé dans le concept de la Chose avec la perte originelle, nous pouvons lier celui du don avec la question du signifiant, celui du contre-don avec l’objet « a » et le sentiment de redevabilité à l’égard de l’Autr e avec la dette. Don – dette – contre-don façonnant le socius et le discours des individus dans leurs relations. Ainsi le signifiant occasionnerait la dette symbolique, le savoir une dette imaginaire et l’objet « a » une dette réelle. La dette qui doit être assumée par le sujet ou qu’on fait supporter à l’autre.

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Le calcul ici présenté de la dette symbolique (DS) dans le discours du Maitre a une forte ressemblance avec celui du calcul financier des intérêts cumulés dont la formule est : Cn = C0 (1+ t)n. [C0 étant le capital initial investit,

1+ t le coefficient multiplicateur du taux d’intérêt, « n » la période de placement du capital]. C’est probablement ce système de placement capitalistique où le capital plus l’intérêt produit lors de la période précédente est réinvesti sur la période suivante, qui a vraisemblablement poussé Mar x à faire l’amalgame entre discours du Maitre et discours du Capitaliste. Cependant comme nous l’étudierons ultérieurement, même si des similitudes existent entre l’un et l’autre, ils restent néanmoins différents sur le plan des liens qu’ils développent.

157 dont le sujet doit s’acquitter envers l’Autre. Et tant que ce sentiment de dette simultanée perdure, se crée un lien social durable (même non désiré) entre l’Autre, le tiers et le sujet en place de Maître.

L’expression du droit phallique dans le registre du Maître passe ainsi par la reconnaissance de sa redevabilité, de sa dette symbolique et montre des conséquences dévastatrices d’un défaut de reconnaissance. En effet, si la dette ne peut plus s’inscrire dans le symbolique, elle rejaillit dans le Réel (nous verrons plus bas les conséquences du non-acquittement de la dette dans le discours de l’Universitaire au regard du droit phallique). Dans le discours du Maître, la question de la dette en tant qu’obligation de contre-don futur dans la constitution du droit phallique impose finalement une hiérarchie de la redevabilité. Elle montre sans ambiguïté que dans le Réel, Maître absolu n’existe pas et que tout Maître est l’esclave d’un Autre ou de Dieu. À ce sujet un graphe de l’endettement du Maître peut être proposé :

Dans ce discours, la question du lien social retourne finalement d’une redevabilité simultanée et qui perdure avec le temps. Le savoir est endetté auprès du sujet et le sujet auprès de l’Autre. Non pas que le sujet Maître soit dépossédé, mais en s’endettant d’un signifiant, il investit le Réel dans l’attente de jouissance différée. Et si le savoir de son côté peut reproduire la même mécanique d’investissement pour honorer sa dette envers le sujet, c'est-à-dire créer un système de dette en cascade, il n’en reste pas moins que

Graphe de l’endettement du Maitre

DI (Dette imaginaire) qui résulte de l’évacuation de la certitude de plus-value à venir. En effet, le sujet ne peut tenir compte uniquement d’une probabilité d’acquittement d’une dette réelle de l’autre à son encontre. Sorte de pari sur l’avenir, sur la réussite de l’autre à produire de la plus-value.

DI Ph

$

A

« a » est la plus value de s2. Leur sens vectoriel est l’équivalent d’une dette imaginaire à l’égard du sujet.

S1 représentant de $ témoigne de la dette symbolique que le sujet a à l’égard de l’Autre et comme produit d’une donation originaire. DS s2 a S1 S1

158 pour le sujet « s’il n’y a pas l’Autre de l’Autre », il n’existe pas non plus l’autre de l’autre. Psychiquement tout sujet dans son aliénation n’aura à faire qu’avec l’Autre et l’autre.

Ce lien entre le sujet, le tiers et l’Autre institué par la dette montre que la positivité du phallus se joue finalement au niveau de l’hystérèse dans le processus opératoire de cette appréhension tridimensionnelle (usus, abusus et fructus) de cet objet de quête (le phallus) dans le réel à la fois imaginaire et symbolique. Le sujet cherche par tous les moyens à y accéder et confère du crédit à ce concept dans la progression de la courbe d’hystérésis dans le réel.

Ainsi la configuration du phallus dans ce discours se caractérise du cô té de l’Autre d’être partiellement dépourvu mais disposant, du côté du tiers l’exclusive utilisation et du côté du sujet une jouissance différée. Dans ce schéma de la responsabilité partagée, les trois protagonistes conserveront un lien par le jeu du signifiant maître et la promotion du désir à travers l’accomplissement de la métaphore du nom du père qui se soutient du refoulement originaire. Le déploiement du discours du Maître impose cette conséquence qu’« il n’y a pas de sens en soi, il n’y a de sens que métaphorique »167

.

b) Dette et droit phallique dans le discours de l’Universitaire

Favoriser l’Être pose la question de la positivité du phallus qui résulte non plus du crédit que le sujet confère à la vrai-semblance du phallus dans le réel mais de la certitude, de l’assurance pleine et entière a priori du phallus dans l’Autre. Ce qui revient à faire du phallus, dans le mouvement gravitationnel qui mène à l’Autre, une entité effective, unifiante et positive, mais pourtant négative de par sa position interne [- (+Ph)]. Cette certitude pose à son tour la question du morcellement du phallus dans la dynamique hystérétique du sujet.

En favorisant l’Être, cette fois-ci le clivage du phallus n’opère plus selon la tridimensionnalité que nous avons décrite précédemment. Dans la structuration du phallus quelque chose va pour ainsi dire dysfonctionner et faire en sorte que la répartition des propriétés qui déterminent le phallus pour la promotion du sujet ne soit pas équitable.

Favoriser l’Être dans ce schéma amène en quelque sorte par la destitution de la position du tiers – le faisant passer du statut de tiers d’exception à celui de tiers exclu – à

167

159 renforcer la domination des pensées inconscientes pour faire que le sujet se bute dans la