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La structure close Modèle familial

Feuilleté générique sur le modèle classique et réaliste

1. La structure close Modèle familial

Le goût du bonheur est ainsi un ensemble de facture classique, « l’intrigue, la narration, la chronologie, les conflits de forces et de personnages, la curiosité pour la vie sociale, l’entrelacement de la narration et de la description »119 sont organisés de manière à donner au texte une structure répondant aux normes générales du roman (exposition, nœud et dénouement). C’est un roman familial retraçant la vie des Miller (G.) et Mac Nally (A., F.) durant une période circonscrite conformément au modèle du cycle que l’on retrouve que l'on retrouve au début du Xxème siècle. Ce type de roman offre déjà une structure toute prête

118 Cette théorie se situe dans le prolongement des idées féministes qui traversent les sociétés occidentales.

et une composition plus abondante et riche en événements et rebondissements que celles du roman individuel :

« des cases qu’il n’y a qu’à remplir ou à laisser vides : trois générations au maximum, grands-parents, parents, enfants ; parfois les branches collatérales, neveux, cousins. Comme dans la langue selon Saussure, le signe familial est contrastif : le drame se noue par oppositions entre les générations ou à l’intérieur de celles-ci. 120

Tous ces éléments présents dans Le goût du bonheur s'agencent selon une structure close, les premiers signes de la clôture étant à rechercher dans la tendance à raconter de façon linéaire une biographie fictive.

« La narration linéaire, qui suit l’ordre chronologique des événements, qui présente clairement les personnages et qui souligne dans le texte les lieux d’aventure, correspond parfaitement à la structure close. »121

« les titres qui désignent ou symbolisent le héros et son aventure semblent indiquer une structure close, celle de la carrière totale. »122

Les différents tomes répondent ainsi au modèle familial et à la structure close comme l’indiquent respectivement les titres, ils racontent l’itinéraire d’individus, Gabrielle, Adélaïde, et, Florent, leurs crises, les relations dans lesquelles ils se trouvent pris. L’ensemble constitue donc un roman familial. Effectivement, les récits sont construits de façon à reproduire des drames humains et s’étalent sur trois générations ainsi que nous l'avons constaté. Les récits se nouent autour des conflits entre personnages de la même famille. La structure de chacun des romans est fondée sur le groupe très uni de la mère et de ses enfants, pour chacun des récits.

La fiction biographique s’organise selon les étapes de la vie mettant en scène Gabrielle, jeune mère qui s’occupe de sa nichée dont le quotidien se déploie, selon les étapes correspondant au temps d’une vie humaine, le même schéma est repris pour Adélaïde. Ces personnages entretiennent des relations tissées en fonction des moments de bonheur et des périodes de crises qui les secouent. Ces crises, parfois passagères, peuvent d'autres fois agir profondément sur les personnages principaux; en même temps, nous assistons à l'évolution des enfants. Ils grandissent, quittent le domicile familial ou se marient. Bref, la structure du roman copie le réel dans sa chronologie et dans sa clôture, de la naissance à la mort ainsi qualifiée:

120 Jean-Yves Tadié, Le roman d’hier à aujourd’hui, Paris, Gallimard, 2012, p. 119 121 Le roman d’hier à aujourd'hui.op.cit. p.111

«La mort est un morceau obligé, et de choix du roman familial, avec ses répétitions et ses

variations, qui frappent encore plus que les mariages et les naissances… » 123

Effectivement, on dénombre plusieurs décès: celui de Malvina et de ses enfants, celui d’Hector, le beau-frère de Gabrielle, est marqué par une scène pathétique où sa fille , Isabelle, tient à faire porter aux pieds du cadavre de l’ancien marchand de chaussures ruiné par la crise économique, une paire de souliers décente avant son inhumation. Ainsi l’imitation du réel dans les aspirations des personnages renvoie à l’esthétique réaliste. Mais c'est la mort accidentelle du principal personnage, Gabrielle, qui est décisive car elle met fin au premier tome. La scène n'est pas rapportée, par contre est décrit le corps de la défunte qui fut remarquable par sa beauté :

« Très pâle, yeux clos, l'air calme, sa mère repose. On lui a croisé les mains sur un chapelet de cristal, son préféré. Sur sa joue une blessure mal camouflée et la tempe gauche a l'air légèrement enfoncée. » (G.p. 867).

L’absence de cette scène de l'accident marque l'arrêt brusque du déroulement de l’histoire. Elle contraste avec le reste du roman qui a été porté par ce personnage principal. La structure du roman est ainsi fermée par le silence sur cet épisode qui vient achever brusquement le parcours du personnage et l’histoire dans le premier tome.

Le second tome est lui aussi marqué par la mort. Non seulement Il s'ouvre sur la cérémonie d'enterrement de Gabrielle, mais la mort de son mari Edward, père d’Adélaïde dans un isolement moral quasi-total, ayant renié sa fille et renoncé à la vie depuis le décès de son épouse Gabrielle, constitue un événement marquant. La mort violente du mari de Béatrice, sœur d’Adélaïde, le soldat Tremblay qui se pend dans une gare, celle du frère de Nic, tué d'une balle durant la guerre sont, elles aussi, des moments forts du roman. Pour autant, ce sont les mort de Nic, le mari d’Adélaïde, et de sa fille Anne, assassinés tous deux par la sœur de ce dernier, Kitty, qui constituent la clôture de ce deuxième tome :

« Le corps de Nic, couché sur le ventre, immobile, la chemise blanche poissée de sang presque brun, sa tempe et son oreille barbouillées d'un carmin gras, la nuque noircie, brûlée par la balle qui a pénétré et d'où le sang s'est écoulé provoquent un éblouissement qui la propulse vers le lit…. Adélaïde tire sur l'épaule de Nic ; sous lui, comme elle le redoutait, sous lui, le corps ensanglanté d'Anne dont le crâne est gluant de sang. » (A. p. 938)

Ces morts sont des facteurs de violence dans l'histoire de cette famille, qui prend ainsi des tonalités tragiques. Toutes ces morts rythment le roman familial et inscrivent la clôture dans le parcours biographique. Elles constituent bien des balises plus importantes que les mariages, les fêtes, ou les naissances, mais surtout elles indiquent la manière dont

l'écriture chez Laberge se plie à un cadre, se façonne dans une forme, et se coule dans un modèle de structure tout prêt, le modèle familial apparenté au réalisme.

1.2. Modèle dialectique

La structure fermée fondée sur la tranche de vie est reprise dans Revenir de loin, elle constitue une constante du corpus. Avec ce dernier roman nous quittons le modèle familial pour le modèle individuel, pour autant, la structure en reste close. Elle repose sur le récit de vie d’une femme d'âge mûr, Yolande. La fiction s’organise selon l’itinéraire du personnage, les événements marquants de sa vie, ses relations aux autres. Yolande est placée dans la fiction à un moment décisif de son parcours. De fait, plongée dans un coma profond, elle se trouve entre la vie et la mort, l’histoire s’achève lorsque la succession de crises du personnage, conséquences majeures de ce moment capital, arrive à son terme. Les crises sont dénouées, elles auront permis de remonter dans le passé de l’héroïne. S’achevant sur le règlement des complications, le roman peut effectivement être refermé sur une structure close. Mais au lieu de présenter une chronologie linéaire, le mouvement de va et vient créé par la tension entre passé et présent de Yolande engage une structure dialectique.