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Marques du roman psychologique et sentimental

Feuilleté générique sur le modèle classique et réaliste

5. Marques du roman psychologique et sentimental

Les fêtes permettent aux personnages d’échapper à l’atmosphère oppressante de la crise économique ou de la guerre, l'ouverture au rêve et aux principes du conte (notamment avec l'objet désiré) constitue la passerelle pour l’examen de la psychologie féminine ainsi que le montrent ces exemples :

« Béatrice n’en peut plus de joie de faire sa première communion avec le voile de la mariée…Béatrice est prête à pactiser avec Satan si sa mère lui achète les jolis souliers à brides qu’elle convoite depuis qu’elle les a vus dans la vitrine de chez Paquet. »G. p.449 « Ces pendants font entrer Béatrice dans le petit mal. Pour elle ces bijoux sont ceux d’une princesse ou d’une reine. Le jour où Gabrielle les lui a mis, elle s’est mise à pleurer tellement elle se trouvait belle. » (G. p. 669)

Ces mises en scènes destinées à dévoiler les sentiments et les désirs éprouvés par les protagonistes féminins donnent corps à une description psychologique. Le narrateur décrit les mouvements de l’âme humaine à travers ses personnages. Le récit se dote par cet aspect autant de motifs propres au conte (bal, rêve de prince charmant, objet désiré : les boucles d'oreilles héritées par Adélaïde et convoitées par Béatrice deviennent objet de litige entre les deux soeurs) que des traits du roman psychologique et sentimental (amour et rivalité). De fait, la tonalité psychologique du roman réaliste n’est pas négligeable ainsi que nous le fait remarquer H. Mitterand.

5.1. Des caractères et des passions

Les personnages sont dotés de caractères et l'auteure leur fait vivre des passions autour desquelles se nouent des épisodes qui confèrent la dimension humaine et sentimentale. Ce sont donc autant d’autres éléments qui renforcent le vraisemblable. La motivation psychologique est un élément de cohérence narrative qui justifie la trame du récit. Elle fait donc partie des procédés du discours réaliste. Les passions s’exacerbent autour des rivalités entre femmes à propos des sentiments des uns à l’égard des autres. Nous pouvons citer le cas de Paulette Séguin (amie de Gabrielle) qui aime Nic (l’associé et ami de Edward), alors que celui-ci ne pense qu’à Gabrielle. L'amour secret que nourrit Nic à l'égard de l'épouse de son ami maintient en haleine le lecteur qui s'interroge : Nic trahira-t-il son secret? Gabrielle finira-t-elle par s'apercevoir de l'amour de Nic? Comment réagira-t-elle? Edward devinera-t-il les sentiments de son ami ? Tout au long du premier tome, ces questions restent posées d'autant que tout le reste de l'entourage du triangle formé par Gabrielle, Edward et Nic a deviné les sentiments de ce dernier.

De la même façon, l'auteure ménage un épisode où Reine (la nièce de Gabrielle) voit en Gabrielle une rivale à propos d’Armand (frère de son amie Paulette); et encore un

autre épisode où Kitty, sœur de Nic, tente de séduire Edward, le mari de Gabrielle, provoquant la jalousie de cette dernière.

L'auteure met en scène également la grave crise traversée par le couple de Gabrielle et Edward lorsque celle-ci l'informe de la cour que lui fait Armand. Ceci provoque une très forte réaction motivée par la jalousie d'Edward. La dimension que prend cette annonce qui aurait pu être anodine montre l'insistance de Laberge sur cette scène de l'aveu qui n'est pas sans rappeler la fameuse scène de l'aveu de La princesse de Clèves.167 (voir annexes, dossier2) Edward s'effondre de peur de perdre Gabrielle. Puisque Gabrielle n'éprouve rien pour le jeune Armand, sa réaction démesurée, exagérée fait penser à une parodie. Gabrielle décide de quitter la ligue des droits des femmes et l’association dont elle faisait partie, et ce pour éviter d’y rencontrer Armand, à la suite de l'effondrement de Edward. Il semblerait que Marie Laberge à ce niveau de la narration ait bien recours à la parodie par la reprise d'une scène-phare de la littérature française et son grossissement.

Ces épisodes donnent lieu à des développements d’aspect sentimental dans lesquels la touche féminine reste prépondérante, ainsi que le montre la scène où Reine apprenant qu’Armand se trouve chez les Miller pour suivre des cours particuliers d'anglais vient le surprendre :

« - Armand ? »

Le prénom est modulé comme une chanson. Le regard mouillé par l’étonnement coule sur Armand, la tasse finement tenue par une main qui s’immobilise de surprise affectée, la bouche qui reste légèrement entrouverte : tout chez Reine est savamment sophistiqué, à croire qu’elle descend de la lignée des Windsor. » (G .p. 237)

Cette description, destinée à faire ressortir l'attitude empruntée débouche encore sur un stéréotype avec la mention de la lignée des Windsor. Elle donne un aperçu de la façon conventionnelle dont certains personnages se comportent. Au demeurant, l’on sait que le but de la manifestation des stéréotypes, en faisant passer un certain contenu familier, est de récupérer des schèmes par la récurrence de motifs (tels que la beauté, le prince charmant, les robes et les bijoux, le bal, les codes de comportement et attitudes) pour traduire une façon d’être au monde, et surtout établir une complicité avec le lecteur, en constituant un code qui programme la lecture. Une lecture conçue pour un public de large consommation qui peut aisément reconnaître ces codes.

167 Cet épisode a soulevé un débat des critiques sur la vraisemblance d'un tel acte et ses rapports avec la représentation. On a finalement expliqué la motivation de cet aveu par la fin du roman qui prévoit le retrait et l'isolement de Mme de Clèves. G.Genette parle de « surdétermination

L’effet pragmatique est évident. En privilégiant les genres très codés, l’auteure propose une lecture au premier degré .Le recours aux clichés, à la psychologie et aux sentiments proposerait alors un autre pacte de lecture, celui du roman populaire.

L'aspect sentimental et psychologique prend, en effet, le relais de l'Histoire pour mener l'intrigue dans la trilogie. Du point de vue de l'aspect psychologique, ces romans provoquent un effet de complicité avec un lectorat féminin habitué aux romans qui font des « histoires de cœur » leurs sujets favoris, ils se situent bien dans la veine populaire. A ce titre, les images reproduites sur les trois couvertures des romans, représentant des silhouettes de feminines élégantes sont significatives. Elles sont un clin d’œil au lecteur/ à la lectrice friand(e) de ce genre romanesque, et se présentent plutôt comme une couverture de journal de mode. (annexes dossier1)Elles créent un effet de complicité avec ce type de lectorat.

5.2. L'oubli et le déni chez Yolande

L’aspect sentimental et psychologique dans Revenir de loin prend forme à partir de l'oubli et du déni. En effet, chez Yolande l’oubli involontaire s’accompagne également d’un oubli volontaire. Yolande déclare : « Ma porte de sortie à moi, Steve, c'est pas le suicide, c'est l'oubli. »RDL p. 497

Réapprendre à vivre, à sentir son corps, à bouger, à manger, à rire, à parler, tout est soumis à des efforts qui ouvrent le texte à l’exploration de la capacité d'endurance psychologique de l'être humain. L'aspect psychologique se perçoit à travers les relations humaines. Dès le retour à la conscience Yolande est dans une position de déni : elle ne supporte ni la voix ni la présence de Gaston, elle se fait violence pour subir, impuissante- parce que n'ayant retrouvé ni la motilité ni la voix- les longs monologues de sa fille, Annie. Ce déni du passé qui s'annonce très tôt est mis en exergue par l’incipit du roman :

« Ouvrez les yeux ! »

Jamais de la vie ! Laissez-moi tranquille !» (G.p. 15)

Le refus va longtemps accompagner la convalescence de Yolande. Le personnage se qualifiera elle-même, plus tard, d’amnésique consentante, refusant tout contact avec les personnes qu'elle rejette.

Même la visite de sa maison l’incommode. Sitôt entrée, elle demande à en repartir. C'est que l’oubli involontaire s’accompagne aussi d'une volonté d'oubli. C'est pourquoi Yolande prend un petit appartement et quitte son ancienne famille et sa maison : « Parfois la maison de l’avenir est plus solide, plus claire, plus vaste que toutes les maisons du passé. » 168 semble être la décision de Yolande.

Le rejet inexpliqué de tout ce qui avait constitué son passé apparaît comme une attitude de révolte contre la médiocrité pressentie, devinée qui se dégage des personnes qui avaient empli son existence précédente. Elle veut s'en libérer. « Si on lui tendait aujourd’hui le roman de sa vie, elle ne l’ouvrirait pas. » (RDLp.163).

D'emblée, elle refuse de décrypter les signes qui s’offrent à elle pour retrouver le passé. L’odeur du bois brûlé dans la cheminée veut éveiller en elle une réaction, mélancolie ou nostalgie? Elle se ferme à cette odeur. Ses rêves, elle refuse d’en parler à son psychologue. A cinquante-sept ans, elle préfère imaginer une vie nouvelle, libre de toute attache.

L’absence d’affects chez Yolande, au lendemain de son réveil, et ses difficultés d’adaptation semblent être le résultat d’une déception faisant suite à sa sortie de coma. En effet, elle découvre une famille, une amie, Madeleine, qu’elle n’est pas loin de mépriser: Gaston, son mari, pour sa médiocrité et son alcoolisme, Annie, sa fille adoptive, pour sa faiblesse de caractère, et son manque d’indépendance. Enfin Madeleine, pour sa trahison, sans doute. Tout ce qui composait sa vie est balayé, renié sur ces impressions.

Elle choisit de refaire sa vie et d'adopter Steve, le jeune handicapé suicidaire qui réveille sa fibre maternelle. Ses sentiments amoureux sont, eux, stimulés par Jean Louis Sirbois, le veuf, qui réussit à éveiller sa sensibilité. Elle se reconstruit donc une vie nouvelle sans regrets et sans un regard vers le passé. Pourtant, au fur et à mesure, le passé s’impose. Il s'avère moins terne et plus complexe que l’image qui l’attendait à sa sortie de coma et le déni s'estompe. Progressivement elle comprend que pour construire le présent, elle ne peut le faire sans une réappropriation du passé. « Pour s’affranchir de son passé, il faut y faire face et non pas se contenter de l’éluder. » (RDL p. 165) Pour Revenir de loin, l'aspect sentimental et psychologique est aussi fortement marqué.