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Le fantasme s’organise comme un scénario à l’intérieur d’un discours, voire comme une série de scénarios qui s’articulent et/ou, qui se renvoient les uns aux autres. Il s’agit d’une ou de plusieurs séquence(s) dont le sujet fait lui-même partie et dans laquelle (lesquelles) les permutations de rôles et d’attri-bution, ainsi que les changements syntaxiques qui peuvent leur être liés, permettent au fantasme inconscient de franchir la barrière du refoulement.

Tout en masquant le désir inconscient qui anime le fantasme, ces travestis-sements défensifs de la mise en scène (inversion, renversement, substitution, etc.), rendent le scénario acceptable : il en est ainsi d’un fantasme typique décrit par S. Freud, « Un enfant est battu » (Freud, 1919b, p. 219-243).

Ce fantasme de fustigation, souvent rencontré en clinique psychanalyti-que, est un fantasme conscient qui consiste à représenter un enfant battu par un adulte (en général un homme, ou un substitut paternel) : fantasme auto-érotique typique, il se développe en trois phases, dont l’une, la plus centrale et la « plus inconsciente », qui postule que le sujet est « battu par le père », doit être construite, ou reconstruite, par l’analyste, écrit S. Freud.

Ce fantasme – dont le scénario sado-masochiste présente des entrées multiples du fait qu’il combine conjointement, ou alternativement, acti-vité/passivité, sadisme/masochisme, masculin/féminin, etc. – est un fantasme œdipien dont les expressions régressives cherchent à masquer la

« liaison incestueuse au père », souligne S. Freud (1919b, p. 238) : « Chez la fille, le fantasme masochiste inconscient vient de la position œdipienne normale ; chez le garçon, il vient en position œdipienne inversée qui prend le père comme objet d’amour. »

Parmi les auteurs contemporains qui se sont intéressés à l’organisation, ainsi qu’à la structure des fantasmes, on doit relever la formulation théorique originale proposée par M. Perron-Borelli (1997), à savoir que tout fantasme est centré sur une représentation d’action, soit sous une forme active (par

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ex., « séduire ») ou passive (par ex., « être séduit »), ce qui permet de définir le fantasme comme une structure ternaire impliquant trois représentations : celle d’un agent (un séducteur), d’une action (un acte sexuel, ou équivalent transposé, qui caractérise le désir érotique sous-jacent), d’un objet de l’action (celui, ou celle, à qui s’adressent le désir et l’acte sexuel).

L’auteur avance que cette structure ternaire est homologue à la structure grammaticale de base « sujet-verbe-complément d’objet », et propose d’envisager l’activité fantasmatique comme un système de transformation de cette structure de base, soit par rotation du sujet et de l’objet autour de la représentation d’action (basculement activité/passivité), soit encore par vica-riance des objets, par substitution des sujets, par prise de position du sujet en tant qu’observateur de la scène, etc.

9 LES FANTASMES ORIGINAIRES

Avec les fantasmes originaires, qui intéressent à leur tour tout autant l’orga-nisation que la structure du fantasme, S. Freud a cherché à rendre compte de la constance de certaines catégories de fantasmes, véritables invariants psychiques, qui s’observent dans le fonctionnement de chacun, quelles que soient la singularité et la diversité des histoires individuelles.

Formations fantasmatiques organisatrices communes à tous les êtres humains, les fantasmes originaires sont classiquement au nombre de trois : les fantasmes de séduction, de castration et de scène primitive (auxquels S. Freud a ajouté, par la suite, celui du retour au sein maternel).

Leur désignation, en tant qu’originaires par S. Freud, indique l’idée que cette catégorie de fantasmes ne concerne pas seulement la question posée par l’origine des fantasmes, mais que ces fantasmes sont aussi ceux qui sont à l’origine de tous les fantasmes secondaires qui en dérivent. Véritables matri-ces symboliques, ils permettent de donner sens aux nouvelles expérienmatri-ces du sujet confronté à la sexualité, comme ils intéressent au plus près l’organisa-tion œdipienne du fait qu’ils sont associés, et diversement combinés, aux multiples réseaux fantasmatiques qui forment le complexe d’Œdipe.

Énoncée pour la première fois en 1915, dans un texte qui porte sur la para-noïa1, S. Freud évoque, par la suite et à différentes reprises, la question de la

1. « L’observation du commerce amoureux des parents est une pièce rarement absente du trésor des fantaisies inconscientes que l’on peut retrouver par l’analyse chez tous les névrosés, vrai-semblablement chez tous les enfants des hommes. Ces formations de la fantaisie, celle de l’observation du commerce sexuel parental, celle de la séduction, castration et d’autres, je les appelle fantasmes originaires. » (Freud, 1915a, p. 309-321.)

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double origine de ces fantasmes, à savoir, d’une part, une origine ontogénéti-que (en référence aux conflits psychiontogénéti-ques rencontrés dans l’enfance), comme, d’autre part, une origine phylogénétique (c’est-à-dire liée à l’inné et à la transmission d’un patrimoine de, et dans, l’espèce humaine). Cette ques-tion sera, notamment, longuement débattue dans le texte célèbre concernant l’analyse de L’Homme aux loups (Freud, 1914a [1918], p. 1-119).

Les fantasmes originaires sont des organisateurs du psychisme du fait qu’ils permettent un travail de liaison et de symbolisation des traumatismes fondamentaux (narcissiques et/ou sexuels) que tout être humain est conduit à rencontrer lors de son développement, tant libidinal que psychique :

− traumatisme lié à l’inévitable séduction maternelle, du fait que, comme S. Freud l’a souligné, c’est la mère, qui par les premiers soins donnés à l’enfant, est nécessairement la première séductrice ;

− traumatisme lié à la découverte de la différence des sexes à partir du fantasme de castration, qui fonde l’identité sexuelle ;

− traumatisme lié au fantasme de scène primitive qui, du fait qu’il renvoie le sujet à des fantasmes d’exclusion du couple parental, organise la triangulation et les capacités de symbolisation.

Comme le soulignent J. Laplanche et J.-B. Pontalis (1964, p. 68), dans le fantasme de séduction, c’est l’origine de la sexualité qui se voit figurée ; dans le fantasme de castration, c’est celle de la différence des sexes ; dans le fantasme de scène primitive, c’est celle de l’individu.

Dans la trilogie des fantasmes originaires, il apparaît que la valeur du fantasme de scène primitive est d’autant plus centrale que sa structure inclut les deux autres fantasmes (séduction et castration). Classiquement considéré comme la représentation que le sujet se donne du coït des parents qui l’ont conçu, le fantasme de scène primitive potentialise, à lui tout seul, toutes les ramifications des conflits psychiques (narcissiques et objectaux), réactualisés par les vécus de frustration, d’exclusion, d’abandon, de deuil, etc.

Tout en traduisant directement le besoin de représentation et le désir de connaissance face aux énigmes de l’origine et de la sexualité parentale (les théories sexuelles infantiles), comme celles soulevées par les fantasmes qui tissent le « roman familial » (Freud, 1909a [1908], p. 157-160), le fantasme de scène primitive (ou scène originaire) conduit le sujet à se poser la ques-tion des (et de ses) origines, de l’identité ainsi que celle de la différence (différence des sexes et des générations), questions qui renvoient toutes au complexe d’Œdipe1.

On doit noter enfin que du fait de sa structure, le fantasme de scène primi-tive permet au sujet l’élaboration de scénarios dans lesquels celui-ci se

1. Cf. la question que le Sphinx pose à Œdipe et des chiffres qui sont à la source de l’énigme (« Qui marche à quatre pattes le matin, à deux pattes à midi et à trois pattes le soir ? »).

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retrouve, à partir de ses théories sexuelles infantiles, dans des identifications multiples et des positions psychiques qui peuvent alterner à l’infini, à savoir : fusion (confusion)/séparation (individuation), activité/passivité, sadisme/maso-chisme, exhibitionnisme/voyeurisme, masculin/féminin (ou les deux : bisexuel), phallique/châtré, enfant/adulte, etc.