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Cette conception nous permet d’aborder un certain nombre de dysfonction-nements du psychisme. En effet, le montage pulsionnel peut se défaire, et la représentation se décomposer.

Prenons l’exemple de la clinique des états traumatiques. Nous pouvons considérer qu’ils résultent de la surcharge économique de l’un ou l’autre des deux formants de la pulsion. L’excès de sensations, de stimulations senso-rielles ou motrices des névroses de guerre par exemple, surcharge le registre de l’emprise, force un investissement en emprise du monde extérieur sans qu’il puisse aboutir à la conquête d’un objet adéquat ; il rend ainsi impossi-ble la constitution d’aucune forme d’expérience de satisfaction ni de plaisir ; le fonctionnement pulsionnel est désorganisé. Lors d’une expérience de séduction sexuelle précoce, l’activité d’emprise qui arme le moi n’a pas le temps d’être mise en jeu et le système pulsionnel est déséquilibré dans l’autre sens. Pour nous, le débordement traumatique du psychisme vient de la défaite de la pulsion. Dans le développement de l’enfant, si des expérien-ces de satisfaction sont provoquées en dehors de toute activité d’emprise sur un objet, elles ne permettront pas la constitution de représentations et prive-ront le moi des moyens qu’il a de se construire : « Un objet parfait ne vaut pas mieux qu’une hallucination » disait Winnicott (1951). La provocation de succédanés de satisfaction, par l’usage de drogues par exemple, affaiblit à la fois le registre de l’emprise et celui des représentations.

Lorsque le fonctionnement psychique est suffisamment lié, le registre de l’emprise et le registre de la satisfaction-représentation s’interpénètrent, ce qui lui confère une capacité de mouvement qui cesse à partir du moment où le système se désunit.

La pensée opératoire de Pierre Marty et de Michel de M’Uzan peut être considérée comme le résultat d’un tel divorce entre le registre de l’emprise et celui de la satisfaction : les patients, dans un discours factuel et désaffectivé, enchaînent des « images » sans plaisir, traces de l’investissement en emprise des objets, coupées de leur lien à l’expérience de satisfaction qui en aurait fait des « représentations » à part entière.

Dans l’ordinaire du fonctionnement psychique, lorsque la tension libidi-nale, l’excitation psychique, atteint un certain niveau, nous mettons d’abord en œuvre notre système de représentations, nous cherchons d’abord à puiser

36 LES GRANDS CONCEPTS DE LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE

dans nos réserves, à vivre sur nous-mêmes : la seule évocation de représenta-tions peut assurer, pendant un temps, un certain plaisir et l’homéostasie de notre fonctionnement psychique. Ce recours à nos représentations nous permet une autonomie plus ou moins longue sans le secours d’un objet exté-rieur1. Mais cette autonomie a ses limites, même si elle se soutient de la lecture d’un poème ou d’un roman ; dans un second temps il deviendra nécessaire de retrouver un contact direct, effectif, amoureux avec une personne pour bâtir avec elle une expérience de satisfaction.

Lorsqu’il est impossible de créer une telle expérience nouvelle de satisfac-tion, les investissements en emprise s’amoncellent sur l’objet qui se refuse.

Une forme de folie d’emprise peut se développer conduisant à des actions qui peuvent être d’une violence destructrice considérable si l’équivalent d’une expérience de satisfaction ne vient pas l’arrêter.

5 PULSION ET RELATION D’OBJET

Dans l’opposition entre les tenants de la relation d’objet, héritiers de Fair-bairn qui soulignait l’importance de l’object seeking, et les tenants de la recherche du plaisir, fidèles à un aspect des formulations freudiennes, c’est finalement la pulsion qui est au centre du débat.

Si nous l’envisageons sous l’angle du double registre de l’emprise et de la satisfaction, l’opposition entre « quête d’objet » et « quête du plaisir » peut sembler fallacieuse ; en effet dans le schéma même de la pulsion tel que Freud l’a tracé, si le « but de la pulsion » est bien le plaisir de la « décharge libidinale », l’objet de la pulsion contribue à la définir, objet et plaisir ont partie liée. Mais, plus encore, dans notre perspective, il est possible de consi-dérer que l’objet et le plaisir se constituent dans le même mouvement pulsionnel. L’object seeking de Fairbairn renvoie aux efforts d’emprise pour s’approprier l’objet, et la recherche du plaisir à l’investissement du registre de la satisfaction.

1. Nous reprenons ici, à notre usage, le modèle imaginé par Winnicott (1967).

LES PULSIONS 37

LECTURES CONSEILLÉES

DENIS P. (1997). Emprise et satisfaction, les deux formants de la pulsion, Paris, PUF,

« Le Fil rouge ».

FREUD S. (1910). « Le trouble psychogène de la vision », dans Névrose, psychose et perversion, trad. sous la direction de J. LAPLANCHE, Paris, PUF, 1973.

FREUD S. (1913). Totem et Tabou, Paris, Gallimard, 1993.

FREUD S. (1914). « Pour introduire le narcissisme », dans La Vie sexuelle, trad.

Denise Berger, Jean Laplanche et coll., Paris, PUF, 1977.

FREUD S. (1915). Trois essais sur la théorie de la sexualité, trad. Philippe Kœppel, Paris, Gallimard, 1987.

FREUD S. (1920). « Au-delà du principe de plaisir », Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1981.

FREUD S. (1923). Psychanalyse et théorie de la libido, dans Œuvres complètes, XVI, trad. sous la dir. de J. LAPLANCHE, Paris, PUF, 1991.

FREUD S. (1926). Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF, 1965.

SCARFONE D. (2004). Les Pulsions, Paris, PUF, « Que sais-je ? ».

WINNICOTT D.W. (1975). Jeu et réalité, Paris, Gallimard.

Chapitre 3

LE RÊVE

DANS LA PRATIQUE