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TRANSFERT-CONTRE-TRANSFERT

4 CRÉATIONS DE SENS

4.1 Rêve : création de significations

Au cours de la pratique psychanalytique, outre l’importance acquise par la relation transféro-contre-transférentielle, de nouvelles fonctions du rêve ont été dégagées. Elles ne contredisent pas nécessairement les apports de Freud.

Elles viennent les compléter et les enrichir. Pour Freud, le travail du rêve consiste essentiellement à dissimuler des pensées de souhaits latents et refoulés. Les représentations inconscientes préexistent au rêve et se manifes-tent par les substitutions symboliques. Le rêve possède une signification déjà présente et occulte que l’interprétation vient dévoiler. Or, avec le temps, le rêve est envisagé comme étant lui-même créateur de nouvelles significations.

Il devient un acte créatif et non pas seulement répétitif. Cette forme de travail

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psychique caractéristique du rêve s’inspire en particulier de l’expérience psychanalytique avec les enfants, lesquels, êtres en devenir, ont recours au jeu, comme l’adulte au rêve, pour élaborer leur expérience psychique.

Il convient de définir ce que dans ce contexte on entend par « élaboration psychique ». À l’image du processus de la métabolisation, la matière psychique ne peut pas être assimilée automatiquement. Pour que les expériences puissent être intégrées dans le psychisme, elles subissent certaines transformations. De ce point de vue, le rêve peut être considéré comme un contenant capable de métaboliser et de porter les expériences psychiques. À ce propos, Grinberg (1987) propose de faire des différenciations entre les rêves élaboratifs, qui permettent d’intégrer les expériences dans le psychisme, et les rêves évacuatifs, qui, eux, au contraire, empêchent d’assimiler des contenus psychiques.

L’élaboration psychique concerne des processus de nature et de qualité différentes. Ils se situent d’abord au niveau économique. Le rêve cherche à modifier et à lier les excitations. Une forme, une figure, qualifient et donnent une représentation, donc, à une quantité d’excitations. Le rêve a la possibilité de rendre figurable des expériences psychiques informes. Le mouvement corporel devient image et la pensée se substitue ainsi à l’acte. Plus précisé-ment, la pensée elle-même devient acte. Ainsi, les affects et les représenta-tions peuvent advenir et se relier. Le rêve, donc, non seulement travestit le désir mais il participe à la construction de formes, d’images et de fantasmes.

Grâce à cette potentialité transformatrice et créatrice multiple, il peut devenir le modèle de tout processus thérapeutique.

Bion (1962) a sans doute été un de ceux qui a le plus souligné l’aspect créatif du rêve. Il considère que l’apport des formes aux éprouvés sensoriels constitue une des tâches fondamentales du psychisme. Bion remarque que le tout jeune enfant est par lui-même incapable d’employer les données des sens (p. 131). Il a recours alors à ce qu’il désigne comme la capacité de rêve-rie de la mère, qui transforme les expérêve-riences sensorêve-rielles en représentations et en matière utilisable par le psychisme. De ce point de vue-là, le processus du rêve rend compte également d’une relation intersubjective. Meltzer (1984) s’inspire de cette situation entre le tout jeune enfant et la capacité de rêverie de sa mère, pour aborder certains aspects de la relation entre le patient et l’analyste en séance. Lorsque l’analyste écoute le récit du patient, une image onirique se forme en lui. Le patient le fait rêver. Meltzer s’inspire de cette production pendant la séance, comparable à la capacité de rêverie de la mère, pour communiquer des interprétations au patient. La formation du rêve dans l’intersubjectivité est également soulignée par Kaës (2002), dans La Polyphonie du rêve. Il y montre avec minutie et rigueur comment, dans les expériences groupales, les rêves des uns sont traversés par les rêves des autres.

D’autres auteurs ont souligné dans le rêve une fonction créatrice de symbolisations et de significations nouvelles, mais, à l’image du rêve de

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l’homme aux loups (Freud, 1918), cette fonction créatrice se déroule dans un sens qu’on pourrait qualifier de traumatique. Dans le rêve de l’homme aux loups, le jeune enfant, alors âgé de quatre ans, voit qu’une fenêtre s’ouvre tout d’un coup devant lui et en face apparaissent plusieurs loups blancs assis.

Il éprouve alors une grande terreur. Les fils associatifs du patient conduisent Freud à considérer que ce rêve se rapporte à la scène originaire, celle du coït entre les parents et à laquelle le patient aurait assisté plusieurs années aupa-ravant, lorsqu’il avait un an et demi. Pour le patient en cure, devenu dès lors l’homme aux loups, on peut considérer que le traumatisme vient de la frayeur éprouvée pendant le rêve et non pas seulement de ce qu’il aurait ressenti lors du coït parental. Dans le rêve de l’homme aux loups, l’événe-ment psychique traumatique est celui qui se produit dans le monde interne et non pas directement dans la réalité extérieure. Il est provoqué par l’impossi-bilité du rêve à assimiler et à intégrer les expériences subjectives liées au coït parental.

Les rêves s’avèrent souvent imparfaits. Rarement ils se présentent comme une totalité réalisante. Ces échecs relatifs du rêve déclenchent des effets trau-matiques. Pour Laplanche (2003), ce qui apparaît ici comme des apparents échecs des rêves révèle en réalité une partie de leur nature. L’enfant, tout comme le jeune homme aux loups à un an, ne dispose pas des moyens psychiques ni physiologiques pour traduire l’expérience qu’il éprouve devant ses parents. Se créent alors, d’après la terminologie de Laplanche, des messages énigmatiques, désignifiés, qui deviennent tout autre chose que des souvenirs. D’après le schéma 3 que nous avons présenté plus haut (cf. p. 49), ces messages énigmatiques prennent naissance dans le point de tangence entre le circuit externe et le circuit interne. De cette expérience énigmatique naît aussi la pulsion sexuelle. Cet aspect bouleversant du rêve est souligné également par Puget (2003), lorsqu’elle note que le rêve impose une altérité,

« un-pour-toujours-étranger irréductible ». Le rêveur reste étranger à son propre rêve. Il se trouve exilé de sa personne et se crée ainsi non pas de nouveaux contenus manifestes à décrypter, mais de nouvelles formes d’inconscient représentationnel.

4.2 Narcissisation et subjectivation

Actuellement, les psychanalystes sont consultés par des patients qui ne correspondent plus aux catégories nosographiques traditionnelles. Ils sont atteints dans leur organisation narcissique. Certains processus décelés dans le rêve peuvent être mis en relation avec le type de suivi que sollicitent ces patients. Le rêve comporte différentes fonctions qu’on peut qualifier de narcissisantes. Dans L’Interprétation du rêve, Freud rappelle (p. 328) que l’accomplissement du souhait dans un rêve provoque chez le rêveur une sensation joyeuse et fortifiée. Pendant le sommeil, la distinction entre le

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fantasme et la réalité s’estompe. Le rêve confère à la réalisation du souhait un caractère de réalité. Il possède une effectivité et représente lui-même un acte dans la vie du rêveur. L’accomplissement hallucinatoire du souhait s’accompagne d’un sentiment d’accomplissement personnel.

Une autre fonction narcissique dans le rêve se réfère au point de vue économique et d’auto-conservation du sommeil qui l’accompagne. Il existe chez le rêveur le souhait toujours égoïste de trouver un état de repos. Cette forme de sommeil a été interprétée par Lewin (1949) comme la rencontre bienheureuse avec le corps d’une mère qui apporterait au rêveur un abaisse-ment important des quantités d’excitation. Le corps propre vers lequel retourne le rêveur serait alors comparable à celui d’une mère pare-excitante qui calme, réunifie les pulsions partielles, et par le maintien du rêveur enfant dans son giron, procurerait un sentiment de rassemblement et d’unité. Il s’agit là aussi d’une expérience personnelle de réalisation qui peut offrir aux rêveurs des vertus narcissisantes et régénératrices.

Outre l’importance du sentiment de réalisation du souhait et de l’apaise-ment d’excitations dans la rencontre avec un corps calmant, le rêve offre une troisième possibilité de narcissisation à travers la construction d’une repré-sentation de la personne propre. L’écran du rêve comporte un support pour la projection des parties de la personne ainsi que des expériences corporelles.

Tout comme sur un miroir, dans l’écran du rêve peut se former une image réfléchissante, susceptible d’apporter une représentation unifiante du self.

Dans sa présentation de l’écran du rêve, Lewin (p. 216) rappelle les apports de Tausk (1919) à propos de la machine à influencer, construction délirante d’une patiente qui de cette façon se crée une réplique de ses propres sensa-tions corporelles. À partir de thérapies psychanalytiques avec d’anciens patients autistes, G. Haag (1997) se réfère aux travaux de Lewin sur l’écran du rêve pour montrer comment les projections d’expériences sensorielles sur une surface plate à deux dimensions permettent d’ouvrir vers une troisième dimension constitutive aussi bien du moi corporel que de l’objet. Non seule-ment le moi crée le rêve, mais, à son tour, il est aussi créé par lui.

CONCLUSION :