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définition et situation de la structure considérée

J’ai proposé (1996) la définition suivante de l’infantile : « Étrange agrégat d’histoire personnelle et de condition universelle, creuset des fantasmes originaires et des expériences sensori-motrices primaires, l’Infantile est le lieu psychique des émergences pulsionnelles premières et irreprésentables.

De cet "avant-coup" , nous ne connaîtrons que les rejetons représentables, sous la forme des théories sexuelles infantiles d’une part, et des traces mnésiques d’autre part ».

Structure de base aux franges de notre animalité, dépositaire et conte-neur de nos pulsions, tant libidinales ou haineuses qu’épistémophiliques, l’Infantile est cet alliage de pulsionnel et de structural « souple », qui fait que l’on est soi et pas un(e) autre. Irréductible, unique et par là même universel, l’Infantile est donc bien ce par quoi notre psychisme va advenir, dans tous les développements de la bisexualité psychique organisée par l’œdipe.

Aux limites de l’inconscient et du système Pcs, l’Infantile est le point le plus aigu de nos affects, le lieu de l’espérance et de la cruauté, du courage et de l’insouciance ; il fonctionne la vie durant, selon une double spirale processuelle et signifiante, et l’on peut le retrouver même dans les patholo-gies les plus lourdes, à condition de ne pas confondre celles-ci avec le mode d’organisation normal de cet Infantile.

Et si, jusqu’à notre mort, il continue à agir simultanément au niveau des mécanismes les plus primitifs comme au niveau des processus œdipiens secondaires, c’est bien parce que cet Infantile humain a en partage la force pulsionnelle inouïe dont on peut constater le fantastique déploiement dans le rythme de développement psychique des premiers temps de la vie humaine.

Pourtant, l’aspect pulsionnel n’est pas seul en jeu dans cette tentative de définition de l’Infantile. Le concept vaut aussi pour ce qu’il entraîne avec lui de l’hallucinatoire et du proto-symbolique, pré-formes en devenir permanent dans toutes nos activités mentales. C’est notre Infantile qui

« donne le ton » à notre personnalité de sujet dans notre fonctionnement adulte habituel.

Mais cet Infantile connaît aussi ses souffrances et ses troubles de fonction-nement. C’est lui qui est le lieu des « points de fixation » qui figent nos modes d’être et d’avoir dans une répétition stérile et qui favorisent, en cas de détresse psychique ou de nouveaux traumatismes, nos mouvements de régression à un fonctionnement plus ancien, y compris du point de vue de notre capacité de penser.

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4 L’IMPACT DE L’INFANTILE DU PATIENT SUR L’INFANTILE DU PSYCHANALYSTE

Il est banal de reconnaître que les patients qui s’adressent au psychanalyste sont dans un état psychique de régression. On peut donc admettre que, même s’il entre aussi des parties adultes de leur personnalité dans leur relation à l’analyste, ce dernier aura essentiellement à se confronter à leur infantile.

C’est à leur infantile qu’il va consacrer son écoute, c’est aussi de lui qu’il va se servir pour tenter de dénouer les nœuds pathologiques douloureux qui entravent leur fonctionnement et leur développement psychique.

Plus précisément, et suivant en cela la logique de l’inconscient, c’est sur l’infantile du psychanalyste que l’infantile du patient va exercer son impact le plus important et le plus inconscient. C’est donc sur l’infantile du psycha-nalyste que pèsera le plus lourdement la pathologie de l’organisation pulsionnelle du patient, ainsi que son histoire infantile relationnelle et identi-ficatoire. C’est son infantile qui sera sollicité par les modes de pensée du patient, ainsi que par les éléments traumatiques et intergénérationnels qu’il transporte avec lui.

L’impact de l’infantile d’un individu A sur l’infantile d’un individu B va créer chez tous deux une excitation pulsionnelle nouvelle, dont le destin habituel est de se diversifier, se liant pour une part dans des représentations et des sublimations, et replongeant pour une autre part dans les abysses de l’inconscient, grâce au refoulement et au clivage, en activité continuelle dans tout fonctionnement psychique normal.

Je pense qu’il n’en est pas de même en ce qui concerne l’impact de l’infantile du patient sur l’infantile du psychanalyste en exercice, et je vais m’en expliquer :

Dans la vie courante, si un individu a un comportement ou un discours qui nous paraît inadéquat, nous pouvons écarter relativement rapidement l’impact émotionnel que celui-ci a eu sur nous. S’il s’agit d’un inconnu, nous pouvons oublier l’incident – le refouler. S’il s’agit d’un proche, nous tentons de nous débrouiller pour faire un compromis entre notre envie de réagir et notre désir de maintenir de bonnes relations avec celui-ci.

Mais lorsqu’il s’agit d’un patient, le psychanalyste doit garder beaucoup plus longtemps en activité ce champ relationnel, cette « constellation d’impacts » entre son espace psychique et celui du patient, dans l’espoir de comprendre comment fonctionne cet appareil psychique qui lui est à la fois si étranger et si proche. C’est dire que l’investissement que le psychanalyste fait de son travail pousse constamment ses pulsions épistémophiliques à contre-courant de son refoulement normal.

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© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

En d’autres termes, il laissera la porte ouverte à ses mouvements incons-cients d’identification à son patient, sachant que cet effort d’identification comporte toujours et inévitablement une part de projection, tout aussi inconsciente, de sa problématique personnelle. Or, ces mouvements sont le propre de son infantile : l’enfant se développe en observant, en imitant, en s’identifiant, mais aussi en projetant ses propres états d’esprit dans l’objet de la réalité extérieure.

C’est au prix de ces mouvements de projection identificatoire que l’analyste pourra proposer au patient une écoute tout à la fois cadrante et contenante. Et c’est ici que les qualités et les caractéristiques de son infantile vont prendre toute leur importance, dans la façon dont l’analyste supportera ou non l’infantile de son patient, dans la manière dont il saura ou non main-tenir avec lui une juste distance, sans le rejeter ni en tirer quelque avantage personnel, relationnel ou narcissique.

4.1 Statut de l’infantile et de son refoulement chez l’analyste en exercice

Il découle donc des exigences de sa fonction professionnelle que le psycha-nalyste soit dans un statut tout à fait particulier quant aux critères de termi-naison de son propre travail analytique et quant aux réaménagements post-analytiques du refoulement de son infantile.

4.2 L’infantile, l’omniscience et l’omnipotence du psychanalyste

L’un des investissements essentiels gagnés par le psychanalyste grâce à son analyse personnelle est sa capacité à utiliser de façon plus adéquate les limi-tes de son moi comme conteneur de son propre infantile.

Antidote des débordements pathologiques du narcissisme, cette capacité réduit le risque qu’il se laisse séduire et mener par cet enfant-en-lui-même.

Car il faut aussi compter sur les caractéristiques de l’infantile, qui cherche à imposer l’omniscience et l’omnipotence de « Sa Majesté le Bébé ». Ainsi, cette omniscience pourrait-elle amener le psychanalyste à inclure son patient dans un reflet narcissique sur lequel il plaquerait des interprétations projecti-ves, son omnipotence risquant alors de le conduire à effectuer divers passa-ges à l’acte contre-transférentiels. Je renvoie ici le lecteur au rêve du nourrisson savant (Ferenczi, 1923).

L’importance que prend l’infantile dans le fonctionnement psychique du psychanalyste est l’expression d’une situation qui est loin d’être simple, du point de vue de son économie psychique. En effet, elle suppose que le

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psychanalyste passe son temps d’exercice professionnel à lutter contre le refoulement qui est intervenu chez lui normalement, dans un temps post-analytique – « tertiairement » pourrait-on dire – au niveau d’une bonne partie de ses éléments infantiles libérés de leur organisation névrotique.

Par conséquent, l’excitation liée à la force pulsionnelle de l’infantile-dans-le-psychanalyste se verra artificiellement détournée d’une partie de son destin – qui est le refoulement – afin de demeurer au service de son activité professionnelle.

4.3 L’analyse du psychanalyste : avec ou sans fin ?

On rejoint ici la question soulevée par Freud, de l’analyse avec fin ou sans fin (Freud, 1937). « Il semble, écrit-il, qu’un certain nombre d’analystes appren-nent à utiliser les mécanismes de défense dans le but d’écarter de leur personne propre les conséquences et les efforts qu’implique l’analyse, vrai-semblablement en les détournant sur d’autres personnes, afin de demeurer inchangés et d’esquiver l’influence de critique et de modification liée à l’analyse. » Il ajoute, un peu plus loin : « Rien d’étonnant à ce que cette attention incessante portée à tout ce qui est refoulé, à ce qui, dans l’âme humaine, demande à être libéré, n’éveille aussi chez l’analyste toutes les voix de l’instinct qu’il aurait réussi, sans cela, à maintenir étouffées. »

On se souviendra que Freud fait suivre ces remarques du conseil, pour tout psychanalyste, de reprendre périodiquement un temps d’analyse, ce qui le conduit à constater : « Cela signifierait donc que sa propre analyse, et pas seulement celle de ses malades, se transformerait, elle aussi et, d’une tâche terminable, deviendrait une tâche infinie. »

Il arrive souvent qu’un psychanalyste débutant soit surpris par la persis-tance du patient à le prendre pour un surmoi sévère et rigide, alors que tout, dans son écoute, témoigne de sa compréhension et de sa bienveillance. C’est oublier la formidable puissance du transfert du patient, avec sa dimension projective. Un tel oubli risque de pousser l’infantile du jeune psychanalyste vers une collusion inconsciente avec l’omnipotence narcissique du patient – omnipotence qui constitue la défense à la fois drastique et fragile contre l’impuissance infantile, dont elle est le déni. Cet appel de séduction narcissi-que à son propre infantile risnarcissi-que d’infléchir sa position contre-transféren-tielle vers une complicité, éventuellement vers des agirs qui, au bout du compte, augmenteront l’insécurité du patient, le privant du sentiment d’être contenu dans la relation thérapeutique.

Relation en miroir, problématique du double, identification mimétique, l’économie et la dynamique des échanges entre les deux infantiles intéressent aussi la complémentarité bisexuée, la fonction parentale ou thérapeutique de

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l’enfant, mais également la jalousie, la rivalité, l’inceste et le meurtre, tant dans le transfert que dans le contre-transfert.

5 FONCTIONNALITÉ ET FONCTIONNEMENT DU CONCEPT D’INFANTILE DANS

LE TRAVAIL CLINIQUE QUOTIDIEN