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STRATEGIE MISE EN PLACE PAR L’ORGANISATION

Analyse des études de cas : résultats et discussions

4.4. STRATEGIE MISE EN PLACE PAR L’ORGANISATION

On se doute bien qu’il n’a pas existé un document écrit décrivant la stratégie à adopter par le RAME et les organisations-sœurs au cours de leur action. La stratégie que nous retraçons ci-dessous se fait à rebours, sur la base des interviews réalisées.

Après le principe général du lobbying qui se dégage et qui est rappelé ci-dessus (sans manifestation publique, point de résultat), on trouve dans la stratégie des organisations étudiées les traits dominants suivants :

4.4.1. Commencer par des actions « timides » d’abord, aller ensuite à des actions plus fortes en cas de non satisfaction des revendications.

Par actions « timides », il faut entendre les actions de négociation avec les détenteurs d’enjeux. Autrement dit, il s’agit d’appliquer un type de lobbying direct. Les actions fortes concernent les manifestations publiques, le recours à la mobilisation populaire.

En attendant de documenter plus loin les moyens utilisés par les OSC pour ces deux types de stratégies, nous proposons ci-dessous des exemples précis rapportés par nos sources :

4.4.2. Tentative de pourparlers directs avec les autorités nationales

RAME : « Bon, on a d'abord demandé à le [ministre de la Santé de l'époque] rencontrer au

niveau du ministère de la Santé et au niveau du Secrétariat Permanent du Comité National de Lutte contre le Sida (SP/CNLS) qui est rattaché à la Présidence. Ils ont refusé de nous rencontrer. »

AZET (INTERVIEWE 2): « Le plan d’abord c’est d’aller dialoguer avec eux et voir

concrètement comment faire. Durant les sessions passées, on a eu à poser le problème directement devant le Chef de l’Etat. On attend de voir, on leur donne du temps aussi. Comme on aura encore une autre rencontre avec le Président, nous allons encore lui poser la question et connaître sa réponse définitive. Un comité est en train de réfléchir à la question. Qu’est-ce que le Comité va lui proposer et qu’est-ce que le Chef de l’Etat va dire ? De notre côté, si nous ne sommes pas satisfaits, on pourrait attaquer avec notre plan B: on va s’organiser, ensemble avec les malades, et nous tous on va manifester. »

4.4.3. Interpellation de l’autorité à travers la presse

AJPO : « C’est passé par un écrit à la presse […] Alors donc, le RAME, ses membres ont

interpellé l’autorité à travers un écrit. »

4.4.4. Après l’échec de la tentative de négociation directe, recours à la voie publique

RAME: « […] Ils ont refusé de nous recevoir. La seule voie qui nous restait alors c'était les

médias, c'était la voie publique. Donc nous nous sommes beaucoup fortement signalés à l'opinion. »

4.4.5. Marche de protestation à travers plusieurs villes du pays

RAME: « Nous avons fait aussi des marches à Bobo et à Koudougou pour montrer que le

problème ne se posait pas seulement à Ouaga et que c'était décentralisé. »

4.4.6. Jouer sur deux tableaux, en s’adaptant stratégiquement au jeu du décideur public

Au regard du double visage souvent présenté par les tenants du pouvoir politique au Burkina Faso pour régler les conflits socio-politiques, la société civile s’est adaptée en conséquence, en jouant sur deux tableaux : d’une part, jouer le jeu du pouvoir et, d’autre part, passer par des tiers pour faire aboutir sa revendication.

Témoignage sur un cas concret : Le gouvernement trouvant le concept d’« accès universel aux soins » plus acceptable que celui d’accès «gratuit », le RAME joue le jeu et « vend » sa revendication majeure à une organisation à laquelle il est affilié.

RAME: « Donc stratégiquement ce qu’on a décidé de faire c’était de ne plus utiliser

l’expression «gratuité» dans nos revendications. En lieu et place, on a basculé sur un concept international qui est « l’accès universel aux soins contre le VIH/SIDA». Ainsi, depuis 2007,

on avait commencé dès lors à parler « accès universel ». Toutefois, nous avons profité de la création, en 2007 et dont nous étions membres, de la CORAB qui est la Coalition des Réseaux et Associations Burkinabé de lutte contre le VIH/SIDA pour leur vendre le plaidoyer pour la gratuité. Au RAME nous parlions «accès universel », parce que quand le concept de «gratuité» sortait de la bouche du RAME, ça ne passait pas. Donc, nous nous avons décidé de dire « accès universel ». Effectivement, au cours de l’année 2009, la CORAB a été reçue par le Président du Faso où effectivement ils sont revenus sur la gratuité des ARV lors de l’audience qui leur avait été accordée […] On a joué sur deux tableaux58

. Il fallait à un certain moment être subtil. Si on tenait toujours à dire « non, il faut… Non…, ça n’allait pas marcher. Mais il a fallu qu’on prenne un langage politiquement correct, mais qu’on continue à travailler. »

Nous proposons ci-dessous un autre témoignage. Alors que les ARV sont gratuits et disponibles dans la plupart des centres de santé au profit des PVVIH, le RAME souhaite obtenir du gouvernement la gratuité des examens biologiques et la possibilité pour le personnel infirmier d’accomplir des actes jusque-là réservés au corps médical. Après une période de résistance à cette demande, les pouvoirs publics consentent à mettre en place un comité de réflexion sur le sujet. A ce sujet, voici comment réagit une de nos sources :

AZET (INTERVIEWE 2): « Le comité est là. Maintenant, nous on attend. Mais comme

dans le comité il y a le monde communautaire aussi qui est représenté, nous avons calmé le jeu. Dès lors que le comité est là, il réfléchit, on le laisse travailler. Mais si on voit que nous ne sommes pas satisfaits, là on s’assoit pour voir ce que nous pouvons faire pour changer les choses. On peut changer de stratégie aussi. »

4.4.7. Faire jouer les médias, pour amplifier le débat et maintenir la pression

Les médias, comme nous le verrons plus loin, ont joué un rôle si important que nous avons jugé utile d’en faire une analyse spécifique. Les organes d’information apparaissent très clairement comme un moyen alternatif de maintien du contact et de la pression sur les autorités nationales.

RAME: « […] La seule voie qui nous restait alors c'était les médias, c'était la voie publique.

Donc nous nous sommes beaucoup, fortement, signalés à l'opinion. »

AJPO : « Il faut dire que la plupart de nos revendications qui ont réussi c’est grâce aux

médias. Les médias au Burkina constituent vraiment une force et un acteur incontournable de la société civile par rapport à ses revendications et même ses actions de développement à la base. Et en tout cas, pour le réseau RAME que je connais, n’eût été l’accompagnement des médias, je ne crois pas que ses actions allaient aboutir. »

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4.4.8. Allier mobilisation populaire et maîtrise de l’information

La maîtrise de l’information par le RAME est apparue comme un élément de bonification des acquis obtenus par la mobilisation populaire. L’organisation a su mobiliser et proposer des solutions techniques pour convaincre le camp d’en face sur la possibilité de résoudre les problèmes soulevés. Une source le confirme très clairement :

RAME: « La mobilisation populaire, elle est tellement importante. Mais elle doit être

accompagnée par un argumentaire technique très poussé. Par exemple, quand nous avons été à l’Assemblée nationale, nous avons été félicités dans notre démarche, vous savez pourquoi ? Parce que, en plus de la mobilisation populaire que nous avions avec nous, les députés ont apprécié le fait que nous soyons vraiment au courant de tout, des programmes en cours, des opportunités, etc. Voilà, nous faisions la pression dans la rue, entre autres moyens, mais dès que nous étions en face d’un décideur nous étions capables de le situer sur l’existant en matière d’opportunités offertes aux pays et les moyens pour y arriver. Ce que nous avions en plus, au fait, c’est que nous nous proposions des solutions. En résumé, il vous faut les deux : mobilisation populaire et proposition de solutions ».

4.4.9. De l’usage des événements/crises

Les événements sont apparus pour le RAME et ses alliés comme des opportunités à exploiter judicieusement pour mettre leurs revendications sur l’agenda des décideurs politiques. A titre d’exemple d’évènements, on peut citer la Journée mondiale de lutte contre le Sida (célébrée chaque 1er décembre) et les élections présidentielles de 2005 et 2010 au Burkina Faso.

4.4.9.1.Journée mondiale de lutte contre le Sida

RAME: « C’était juste qu’une fois, à la faveur du 1er décembre, Journée mondiale de lutte

contre le SIDA, qui devait être célébrée à Ziniaré, ville natale et fief de l’actuel Chef de l’Etat. Nous avions prévu d’aller distribuer ces affichettes-là là-bas [...] Ils sont donc partis et ont distribué les affichettes. Et selon ce qu’ils ont rapporté, ils en ont même déposé un paquet dans la maison de la sœur du Président, pour montrer qu’ils étaient déterminés. (Rires). Bon, Il faut aussi souligner qu’il y avait beaucoup de Personnes Vivant avec le VIH qui étaient dans le mouvement et qui en en avait marre, qui disaient « non, il faut quand même que les choses avancent, quoi ! ».

4.4.9.2.Elections présidentielles de 2005 et 2010

AJPO : « En 2005, il y a eu une action publique qui a beaucoup marqué le gouvernement.

Voyez, on a ciblé 2005 car il y avait eu des élections présidentielles. Le RAME avait initié une affiche qui disait, avec une Personne Vivant avec le VIH: « je m’adresse au Président du Faso ». Une grande affiche-là, avec une PVVIH, débout, qui dit : « moi, je m’adresse au Président du Faso ». Et après la personne est courbée, la personne s’incline, avec la maladie. Et l’affiche était très noire. Et son message, jusqu’à ce que la PVVIH meurt, était : «la lutte continue». Et ça a vraiment marqué les autorités. Parce que c’était vraiment sombre. Et en son temps, ils avaient contacté le RAME, pour qu’il parle d’«accès universel. »

AJPO : « Et même, vers fin 2010, nous avons fait une analyse du volet santé des projets des

candidats à la présidentielle, où nous les avons tous interpellés pour leur réclamer la gratuité des examens biologiques […] On a eu 5 dossiers sur 10 dont celui du Président actuel. Quand on a appris les projets, on a fait appel à des médecins, des psychologues, des activistes, pour les analyser ; on a fait une synthèse et on a fait une déclaration. Et cette déclaration a servi de base pour inviter les journalistes [...] On avait décidé de faire ça une semaine avant la fin de la campagne, pour que s’il y avait à corriger, les gens corrigeraient et feraient des déclarations et des promesses à la population [...]. Nous avons fait notre conférence de presse avec la presse qui était là. Et même cette presse nous a dit c’était une première du genre au Burkina qu’une organisation de la société civile prenne un projet de société, l’analyse, fasse une conférence de presse et diffuse les résultats avant la fin de la campagne. C’était vraiment osé, et ça a été une réussite ; en tous cas, ils étaient vraiment contents. Et là, RFI [Radio France Internationale], Deutsche Velle [La Voix de l’Allemagne], eux tous ils avaient couvert l’événement. »

La stratégie du RAME ayant ainsi été décrite, il est à présent possible de documenter l’ensemble des moyens qui ont été utilisés.