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Analyse des études de cas : résultats et discussions

4.4. MOYENS UTILISES

Plusieurs types de moyens ont été utilisés par les ONG engagées dans l’action publique contre les réformes institutionnelles et politiques : des moyens légaux, politiques, intellectuels/informationnels, de mobilisation populaire, sans oublier les moyens médiatiques que nous allons traiter de façon spécifique plus loin.

4.4.1. Des moyens légaux

Ce type de moyens fait partie des possibilités offertes par les lois du pays et qui donnent aux citoyens de pouvoir s’engager dans des revendications encadrées. Parmi les moyens utilisés, nous avons identifié ceux suivants :

4.4.1.1.Participation aux élections

La Coalition a pris part aux élections législatives de décembre 2012, avec des listes dites indépendantes. Certes, cette liste n’a pas été réceptionnée, en son temps, ce qui du reste a poussé le mouvement à faire usage d’un moyen contenu dans la Constitution : la saisine des tribunaux.

4.4.1.2.Saisine des tribunaux

A plusieurs reprises, le FOCAL et ses associés se sont tournés vers les tribunaux ou différentes cours afin que le droit soit dit. Cela a été cas lorsque les candidatures indépendantes présentées par la Coalition ont été rejetées par la Commission électorale nationale indépendante ; lorsque le cas de la loi anticasseurs de 2008 – jugée anticonstitutionnelle par les acteurs de la société civile- a été présenté pour appréciation à la Cour Constitutionnelle ; lorsque l’absence d’une loi transitoire pendant le vide crée par l’absence de Sénat comme deuxième chambre du Parlement a été constatée et signifiée à la Cour Constitutionnelle, etc.

4.4.1.3.Recours à la pétition

La voie pétitionnaire a été utilisée à plusieurs reprises par la société civile, notamment contre la modification de l’article 37 et pour les candidatures indépendantes. Toutefois, on note que la pétition est utilisée non pas à des fins législatives (changer un texte de loi) mais à des fins surtout de mobilisation populaire, comme le reconnaît une source :

« Question : Sur les moyens utilisés, je reviens sur ça, je sais que la pétition, vous l’avez

essayée, ça n’a pas marché. Est-ce que vous confirmez ça ?

CGD : Non, non, non. On ne peut pas dire que ça n’a pas marché. […]. Parce que notre

objectif-là c’était de mobiliser l’opinion, d’éclairer l’opinion, et je peux dire que cette pétition-là a contribué aussi à aiguiser… »

4.4.1.4.Désobéissance civile

Lorsque le Gouvernement, avec le soutien du parti au pouvoir, manifeste son intention de faire un passage en force, avec les réformes politiques (à travers notamment la modification constitutionnelle) qui lui donneraient la possibilité de toujours rester en place, la Coalition réalise une mutation et devient un Front de résistance citoyenne. Le porte-parole de la Coalition explique que l’action de ce Front s’inscrit dans la légalité constitutionnelle :

FOCAL: « Notre action, nous la situons dans le cadre de la citoyenneté. Nous sommes des

citoyens et nous voulons avoir notre mot à dire sur la gouvernance de notre pays. Et quand il y a des choses qui ne vont pas, les citoyens ont le devoir de résister. Ce n’est pas nous qui l’inventions : le droit de résistance ou de désobéissance civile est prévu dans notre Constitution.»

4.4.2. Des moyens politiques

Les moyens politiques s’entendent ici comme des moyens utilisés aux côtés des structures politiques. Car la fraternisation avec les partis politiques de l’opposition a été faite, ce qui a amené les OSC à s’engager, notamment à travers les différentes marches de protestation initiées par le Chef de file de l’Opposition politique.

FOCAL: « […] Nous avons dans ce cadre-là participé aux activités qui ont été déclenchées

par les partis politiques. Quand le Chef de file de l’opposition a appelé à la marche, nous avons sorti une déclaration soutenant cette marche contre le Sénat et contre la révision de l’article 37. D’autant plus que c’était une bataille qui était la nôtre […] ».

4.4.3. Des moyens intellectuels/informationnels

Composées de cadres compétents, notamment de juristes, les OSC en lutte contre les réformes engagées par le gouvernement se sont signalées par plusieurs contributions d’ordre intellectuel ou informationnel. Ces contributions comprennent la production d’un cahier de propositions concrètes adressé aux organisateurs du Conseil consultatif pour les réformes politiques (CCRP), les conférences publiques, les prises de position à travers les déclarations, etc.

4.4.4. Des moyens de mobilisation populaire

L’opinion publique a toujours été une « cible » des actions de la Coalition. Pour éduquer, informer, sensibiliser le grand public, les acteurs ont usé de plusieurs moyens dont les tournées à l’intérieur du pays, les conférences publiques, la mobilisation de membres à travers la mutation organisationnelle qu’a subie la Coalition. Mais il faudrait aussi parler de l’utilisation des langues nationales par les membres de la Coalition qui a très tôt compris que la barrière de la langue était à franchir pour gagner l’immense majorité des populations à la cause de la Coalition. Témoignage :

FOCAL: « Et nous allions en province avec des personnes qui traduisaient notre message

dans les langues nationales pour permettre au plus grand nombre de comprendre. Parce que nous pensons, et cela nous en sommes de plus en plus convaincus, que nous devons de plus en plus intervenir dans nos campagnes en langues nationales pour permettre à toutes ces personnes-là d’être de véritables acteurs du développement démocratique de notre pays. »

4.5. PLACE SPECIFIQUE DES MEDIAS

Les médias ont joué un rôle spécifique dans les efforts de lobbying de la Coalition pour les réformes institutionnelles et politiques. Nous tentons ci-dessous d’identifier les principales fonctions auxquelles ont été soumis les organes d’information.

4.5.1. Canal d’éducation, de débats, de formation à une conscience citoyenne

Les acteurs de la société civile ont conscience d’utiliser les médias comme plateforme de sensibilisation des populations et d’échanges sur les sujets les plus divers, notamment en lien avec les causes défendues. Illustrations :

CEJ : « […] Il faut une éducation de la population. Et c’est ce travail d’éducation qui se fait

par la presse […] Je pense qu’en tant qu’intellectuel, sur l’ensemble des questions qui peuvent intéresser le pays, on doit pouvoir faire une contribution, en termes d’éducation, en termes d’ouverture aux débats, on doit pouvoir faire une contribution. Et cette contribution-là, tu la fais comment ? C’est dans la presse. »

Sur le même sujet, voici l’observation d’un autre acteur sur les possibilités qu’offrent les médias dans le travail d’éducation des citoyens :

FOCAL : «Je crois que beaucoup de questions sont prises en charge par un plus grand

nombre de citoyens, d'ailleurs cela a été résumé par l'écrit de Sayouba Traoré « Lettre aux juristes burkinabè », où il montre bien que ces questions-là doivent être défendues dans l'arène du commun des mortels pour leur permettre d'être des acteurs de la vie. Parce que les arguties juridiques, les circonvolutions qui sont faites par rapport à telle ou telle chose, rétroactivité, principe de l’application immédiate, etc., il faut montrer aux citoyens quel est leur rôle et leur place dans la décision.»

4.5.2. Canal de dissémination des produits de la recherche

Les espaces des médias de masse sont particulièrement appréciés des acteurs de la société civile. Ils en exploitent le côté diffusion d’information, pour faire passer les résultats de leurs études, des produits et autres recommandations issus de leurs réflexions sur les principales problématiques de la gouvernance politique. Le CGD est très explicite sur ce point :

« Question : […] Quelle est la place qu’occupent les médias ?

CGD : « Pour nous, c’est important. Parce que, justement, nous sommes une petite

organisation ; parce que nous voulons que nos produits soient disséminés le plus loin possible, nous sommes vraiment obligés de travailler avec les médias. Nous avons un réseau de journalistes avec qui nous travaillons. Nous essayons de renforcer leurs compétences dans le domaine de la démocratie, la bonne gouvernance, etc., et puis voilà, le reste, c’est eux qui le font ».

4.5.3. Lieu d’amplification des rancœurs sociales et de démarcation avec la politique du gouvernement

Comment montrer au Gouvernement qu’on s’oppose à sa politique ou plus spécifiquement à des mesures qui viennent d’être prises ? En prenant position dans la presse à travers des déclarations, des communiqués de presse. Cette voie de démarcation de la société civile par rapport aux choix de société du pouvoir en place a plusieurs fois été utilisée par les membres de la Coalition. Mais la démarcation par voie de presse d’un groupe social peut donner lieu à une amplification sans précédent des rancœurs sociales. Tel fut le cas de l’Eglise

catholique lors de la diffusion par les médias du pays d’une « lettre pastorale »85

, laquelle a porté sur l’état de la Nation en général et les projets de réformes politiques jugées inopportunes par les Evêques du pays. Très clairement, les médias ont été vus comme un moyen d’amplification des rancœurs sociales ou du mal-être sociétal, comme le laisse entendre une de nos sources :

FOCAL: « […] Cette réaction de l'Eglise tendait à montrer que cette question du Sénat

n'était qu'un épiphénomène, que la société est gangrenée et que si on ne prenait pas garde ce serait tout le tissu social qui allait se déchirer. Et le message a été tellement fort que ceux qui gouvernent en ont pris pour leur grade. D'ailleurs, beaucoup ont téléphoné aux évêques pour leur dire qu’ils avaient dépassé, outrepassé leurs prérogatives, et qu’eux aussi étaient des chrétiens. »

4.5.4. Tel média, tel public

Les acteurs de la société civile sont conscients de la spécificité des médias (presse écrite, radio, télé). Ils ne sauraient donc être utilisés sans discernement. Certaines thématiques conviendraient davantage pour certains médias. Une des sources interviewées explicite cette approche :

CEJ : « […] Ça dépend du message. Par exemple, il y a des questions quand vous les posez

dans la presse écrite, vous savez que vous avez une catégorie de la population. Voilà, vous le savez, aujourd’hui avec les réseaux sociaux, cette catégorie-là est devenue un peu plus large. Parce que c’est repris, mais vous savez quel type de message vous donnez. Par exemple, l’article sur le Sénat, vous le posez dans la presse écrite, vous voyez ça atteint une catégorie déterminée : les intellectuels. Ils sont moins nombreux, mais il y a aussi l’effet démultiplicateur. Maintenant, sur d’autres questions, comme les questions de corruption, quand vous avez l’occasion d’aller dans les radios communautaires, les radios FM c’est plus intéressant. »

4.5.5. Médias internationaux, autre scène d’affrontement sur la politique intérieure

Les médias internationaux ont ceci de spécifique qu’ils représentent un autre lieu d’affrontement entre acteurs de la société civile et tenants du pouvoir en place. En conséquence, ces médias sont investis pour, d’un côté, informer le monde sur l’état réel de la démocratie (société civile) et, de l’autre, rassurer les partenaires du pays (exécutif). Témoignage :

FOCAL: « Sur RFI, Radio France Internationale, c'est par des interpellations des

journalistes de cette radio qui me demandent mon point de vue. Je me dis aussi que cela doit permettre de connaître l'état de notre démocratie ailleurs qu'au Burkina Faso. Et le fait pour

85

« Situation nationale : les évêques du Burkina mettent en garde contre la dégradation du climat social » dans lefaso.net, 21 juillet 2013, http://lefaso.net/spip.php?article55150 (Page consultée le 02/01/2014)

les organisations de la société civile d'intervenir sur des médias internationaux peut avoir un impact sur l'attitude des hommes politiques, parce qu’ils sont aussi très regardants. La preuve, c'est que notre Président ne nous parle pas mais dès qu’il est dehors, avec les médias internationaux, sa langue se délie et il parle beaucoup […] Il a suffi qu'il soit à l'extérieur et qu'un journaliste étranger l'interpelle sur cela pour qu'il dise que rien n’allait changer et que si nous le voulions, nous pourrions marcher des années et des années, ça n’allait rien changer. »

4.5.6. Médias publics, médias d’Etat

Pour les OSC, les médias publics (et certains du privé) sont peu respectueux de l’équilibre de l’information, occupés qu’ils sont à défendre les positions du Gouvernement et du parti au pouvoir. Ce faisant, ils restent largement influençables et influencés, ce qui appelle à des réformes dans ce secteur stratégique, comme le soutient une source :

FOCAL : « […] Les activités que nous faisons, pour toutes les activités du Front de

résistance Citoyenne auxquelles nous avons invité la Radio et la Télévision nationales, elles ne sont pas venues. Donc il faut bien qu'on nous donne des temps d'antenne. Vous voyez bien que pour les medias privés télévisuels, il y a un cahier de charges mais il n’y a pas de cahier de charges pour les médias publics ; ce qui fait c’est que c’est selon leur bon vouloir. Il n’y a même pas de plage réservée aux partis d'opposition pour donner leurs messages ! […] Depuis longtemps on parle de cette question de cahier de charges. On attend toujours. Il n’y a pas de cahiers de charges des médias publics. »