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Analyse des études de cas : résultats et discussions

4.4. MOYENS STRATEGIQUES UTILISES

Plusieurs types de moyens sont utilisés par le réseau RENLAC, parmi lesquels des moyens liés à la sensibilisation, au plaidoyer, au pouvoir législatif, à la production de connaissances, la pression populaire et les ressources diplomatiques.

4.4.1. Sensibilisation et information du public

Plusieurs supports adaptés à différents publics (du grand public indifférencié aux jeunes élèves scolarisés ou non) sont mobilisés pour faire passer les messages de l’association en lutte contre les pratiques de corruption. Nous pouvons citer, entre autres :

- Les conférences publiques - Les séances de théâtre-forum

- Les débats organisés sous diverses formes, comme par exemple à la suite de projection de film

- La bande dessinée Kouka (à l’attention des élèves)

- Le jeu concours Kouka organisé pour soutenir la lecture et la compréhension de la bande dessinée

- La diffusion dans la presse écrite d’articles rédigés par le RENLAC aux fins de sensibilisation

- La diffusion d’émissions radio/télé en français et dans trois langues nationales parmi les plus parlées (le mooré, le jula et le fulfuldé)

- L’attribution du Prix annuel de la lutte Anti-Corruption aux journalistes ayant produit les meilleurs articles sur les faits et les pratiques de corruption154

- Le téléphone vert ouvert au public pour collecter des faits de mal gouvernance dont le grand public aurait connaissance.

4.4.2. Pouvoir législatif

L’association en collaboration avec ses membres affiliés a entrepris de faire adopter une loi spécifique qui prévienne et réprime la corruption.

Interviewé 1, RENLAC: « Nous avons une proposition de loi qui est en cours d’adoption. C’est suite à une étude sur la législation anti-corruption au Burkina. Nous avons fait une proposition en partenariat avec le Réseau Burkindi qui est un réseau de parlementaires. Il s’agit d’une proposition de loi dénommée « prévention et répression et la corruption au Burkina Faso» pour améliorer le cadre juridique. »

4.4.3. Recours aux tribunaux

Même si le cadre juridique n’est pas particulièrement favorable aux yeux de l’ONG pour faire condamner des cas de corruption présumés, elle ne s’interdit pas d’avoir recours aux tribunaux, comme cela a été le cas pour l’« affaire Guiro » :

Interviewé 1, RENLAC : « Nous avions voulu nous constituer partie civile […] Oui, dans l’affaire Guiro ! Nous avons adressé une correspondance au juge d'instruction pour dire que nous voulions nous constituer partie civile. Mais le juge a refusé parce qu’il a estimé que nous, en tant qu’organisation de la société civile, on ne pouvait pas se constituer partie civile. Donc c’est ça qui nous a limités dans notre action.»

154

La spécificité du PLAC est explicitée par une de nos sources : « AJB : Je dis incontestablement que ce prix est une bonne

chose pour la presse. Quelque part, ça donne du tonus, ça convainc les journalistes que leur travail est vu, lu et puis apprécié. Ce ne sont pas les journalistes eux-mêmes qui proposent leurs œuvres, contrairement à d’autres prix. C’est le RENLAC qui collecte, qui se saisit des articles et qui récompense les papiers qu’il estime aller dans le sens de la lutte contre la corruption. Ça fait qu’on ne peut pas dire que les journalistes écrivent alors dans l’intention […] de recevoir un prix. Mais ils font leur travail correctement. »

4.4.4. Eclairer par la connaissance

La mobilisation de l’information par le RENLAC représente un enjeu capital. Comment parler d’un domaine qu’on ne connaît pas, qui, plus est, a longtemps été dénié par les autorités publiques ? Et comment permettre aux pouvoirs publics de légiférer correctement si un effort n’est pas fait dans la collecte des textes existants et leur analyse par des spécialistes pour en montrer les limites ?

C’est dans ce cadre que plusieurs études thématiques ont été lancées par l’organisation sur la législation, les marchés publics, etc. Les investigations ont été conduites par des chercheurs chevronnés ou des professionnels suffisamment rompus à la tâche, l’objectif étant d’obtenir des matériaux produits suivant les règles de l’art :

Interviewé 3, RENLAC: « Généralement, nous souhaitons que certaines des études-là soient faites par les universitaires. Si vous prenez le cas de cette étude, elle a été faite par trois personnes de très haut niveau. La première personne c'est un professeur de droit. La deuxième personne c'est un juriste aujourd'hui consultant […] Il n'est pas universitaire, mais l'expérience qu'il a montrée dans ce domaine-là fait qu’il est plus qualifié que même les gens qui disent qu'ils ont fait ou qu’ils maîtrisent le droit. Et la troisième personne, c'est un doctorant qui est économiste, qui fait la recherche qu'on a pris. Donc, parce qu’on voulait aussi avoir, pas seulement les juristes (puisque les deux-là sont juristes), mais aussi le point de vue de l'économiste sur également cette question. Donc, ce sont eux qui ont fait l'étude sur le marché public. Le RENLAC a signé parce que c'est plus sûr et on peut protéger les gens de cette façon. Si c'était les auteurs eux-mêmes qui avaient signé, ça allait leur poser des problèmes. »

L’éclairage par la connaissance passe aussi par l’édition été la diffusion de rapports annuels sur l’état de corruption dans le pays pour « attirer l’attention du Gouvernement sur l’ampleur du phénomène et la nécessité d’engager des actions vigoureuses contre ce fléau » (Renlac, 2014, p. 1). C’est dans une perspective similaire mais en intéressant le grand public que sont organisées des Journées nationales de refus de la Corruption (JNRC – que nous traitons plus loin sous la rubrique « événementiel »).

4.4.5. La pression populaire

L’expérience a montré que dans le cadre du Burkina - contrairement à une déclaration étonnante du Chef de l’Etat alors aux abois et reprise à son compte par son Premier ministre d’alors155

- la rue et la mobilisation populaire peuvent faire obtenir des résultats en termes de retrait de mesures de politiques publiques décriées.

155

La déclaration est la suivante : « ce n’est pas en descendant dans la rue qu’on fait tomber un gouvernement », voir « Luc Adolphe Tiao : "ce n’est pas en descendant dans la rue qu’on fait tomber un gouvernement" » dans Burkina24, 4 févier 2014,

http://www.burkina24.com/2014/02/04/luc-adolphe-tiao-ce-nest-pas-en-descendant-dans-la-rue-quon-fait-tomber-un-gouvernement/ (Page consultée le 05/03/2016)

- Question : Voilà, entre les trois : la population, le Parlement et le Chef de l’Etat, à

votre avis, qui est le plus habilité à changer les choses, efficacement ?

GERDESS : « C’est le peuple, hein ! […] Mais je pense que c’est la résistance populaire,

c’est ce que je voulais faire ressortir en parlant de peuple. Ce ne sont pas nos mamans-là qui sont au village, non, c’est la résistance populaire. La désobéissance civile, il y a ça aussi. Ça aussi, c’est un volet-là. »

- Question : Dans ces conditions, comment les réseaux comme vous, le RENLAC,

peuvent contribuer à changer les choses ? Quels sont vos moyens d’action ?

MBDHP : « Il faut la pression. Il faut continuer la pression, l’agitation. L’interpellation. »

4.4.6. Ressources diplomatiques et « partenaires techniques et financiers »

De toute évidence, les représentations diplomatiques en place au Burkina Faso – qui sont très souvent et non sans raison assimilées à des bailleurs de fonds- constituent un élément incontournable à utiliser dans le jeu des relations entre le gouvernement et une entité comme le groupe des ONG de défense des droits humains. Ces organismes font souvent référence à ces structures comme d’une force certes extérieure mais qui aurait une capacité de persuasion non négligeable sur le système politique du Burkina Faso.

Extrait 1 :

Question : mais par quels moyens ?

- MBDHP : Par les contacts avec les représentations diplomatiques qui sont au Burkina Faso. Par les conférences de presse, les conférences publiques. Il faut faire « du bruit », comme on le dit »

Extrait 2 :

Interviewé 3, RENLAC : « Et actuellement nous sommes en train de saisir les bailleurs de fonds, puisque lorsqu'on avait commencé à parler de ce projet de loi, nous leur avions indiqué ce que nous faisions et il y a un certain nombre de personnes qui sont au courant. Donc, actuellement, ce que nous faisons, avant que le projet de loi ne parte, c’est que nous sommes en train d'informer les gens. »

4.5.PLACE SPECIFIQUE DES MEDIAS

Notre analyse des sources interrogées nous permet de dresser l’état de perception chez les OSC en lutte contre la corruption, du pouvoir de l’information (1), de la place de la presse dans la société (2) et enfin du rôle des journalistes dans une démocratie comme celle du Burkina Faso (3).

4.5.1. Pouvoir de l’information

4.5.1.1. L’information médiatique est efficace, car elle entraîne toujours une réponse

Passer par les médias au Burkina s’avère utile, car la réponse ou mieux une réaction des personnes interpellées est toujours assurée. C’est dans ce sens que ce serait un moyen fort utile aux mains des organisations de la société civile.

Interviewé 2, RENLAC : « […] Nous disons aussi que quand nous publions aussi, nécessairement il y aura une réaction de la part de l’autorité. Nécessairement ! […] Oui, nous pensons que, s'ils ne réagissent pas en tout cas, dès que nous publions c'est efficace. Parce que s'ils ne réagissent pas, la population va prendre pour réel ce que le RENLAC a dit, se poser des questions par rapport à ce qui est fait.»

Interviewé 1, RENLAC: « […] Et en ce moment nous publions et lorsque nous publions, en tout cas en ce moment ils réagissent.

4.5.1.2. L’information exerce de la pression sur les politiques et toute personne visée

Le pouvoir de l’information de presse résiderait aussi dans le fait qu’elle obligerait l’entité interpellée à réagir suivant le mécanisme suivant : à la base, la population est informée de ce qui se passe dans la société, puisqu’elle lit la presse, écoute les journaux ou suit la télé ; elle est donc prise à témoin; ensuite, toute absence de réaction de la part des autorités interpellées signifierait « automatiquement » que l’ONG avait bien raison. D’où parfois, une certaine « panique » qui s’empare des « accusés », lorsqu’une information se retrouve dans les médias ; ce petit jeu aurait même permis d’enregistrer des attitudes proactives de certaines administrations qui viendraient auprès du RENLAC pour s’enquérir d’éventuels « dossiers » ou affaires les concernant :

Interviewé 1, RENLAC : « […] Nous pensons que si, par moments, la population est informée sur ce qui se passe, cette information constitue une pression pour la force publique qui se met en branle pour réagir […] Au départ, « ils » ne réagissaient pas mais quand on publiait ce qui se passait-là, ils paniquaient. Ça fait que maintenant il y en a même qui demandent à être informés si on a trouvé quelque chose dans leur administration afin qu’ils puissent prendre des mesures. »

4.5.2. Place de la presse

- La presse, symbole de l’espace public par excellence

L’espace des médias est souvent vu par les opérateurs de la société civile comme l’espace public personnifié. Publier sur des faits de corruption dans la presse au Burkina équivaudrait presque à étaler à la face de la Nation des pratiques peu recommandables de

certains citoyens. En conséquence, voir son nom dans la presse pour de tels agissements pourrait faire ressentir de la honte. Une tâche sociale, en quelque sorte.

Interviewé 1, RENLAC : « […] Lorsque vous dites dans la presse que dans telle administration il se passe telle chose, souvent, le lendemain matin même, on va appeler ici pour demander ce qu’il faudrait faire, ce qui se passe au fait, ainsi de suite… C’est-à-dire que personne ne veut qu’on dise qu’il y a un mal dans son service. Même lorsque s’il y a des maux, personne ne veut de ça. Donc lorsque ça y est dans la place publique où l’on dit que telle chose se passe chez toi, là tu te mets en branle pour pouvoir régler ça. »

Interviewé 3, RENLAC : « Ce que nous souhaitons : ce n'est pas de publier, c'est ne pas faire en sorte qu'on humilie des personnes mais que la corruption recule.»

AJB : « De plus en plus, les animateurs des institutions de la République tiennent compte de la

presse. Ça nous a été dit, lors d’un séminaire, les UACO, Universités Africaines de la Communication de Ouagadougou ou au CSC, Conseil Supérieur de la Communication. Même les députés disent : « Ah ! Moi je ne tiens pas à ce que mon nom figure … que mon nom sorte dans la presse ! ».

4.5.3. Rôle des journalistes

Plusieurs rôles sont assignés aux journalistes, d’après les organisations de défense du bien commun et contre les pratiques de corruption comme le RENLAC. Les hommes de médias sont vus comme un recours des sans-voix ou un arbitre ; des révélateurs d’insuffisances commises dans la société ou un groupe qui aurait une capacité de limitation des dérives ; enfin, ils sont perçus comme ayant quelque influence en période électorale. 4.5.3.1. Une voie de recours pour les sans-voix

Quand ils sont victimes dans la vie sociale, certains citoyens préfèrent l’espace des journaux pour faire connaître leurs plaintes que de passer par exemple dans les locaux de la police ou de la gendarmerie. Sur la base d’un fait précis – et cela est vérifiable pour d’autres cas156 – une de nos sources indique bien que les médias représentent une voie de salut pour les sans-voix.

AJB : « […] Moi je pense qu’il y a de plus en plus des gens qui ont recours à la presse pour

faire entendre leur cause. »

4.5.3.2. Un intermédiaire pouvant jouer le rôle d’arbitre

Quand bien même certaines autorités seraient directement saisies par le RENLAC157, par une correspondance officielle, par exemple, pour des faits présumés de corruption, en cas

156 ZOMA, Cyrille (L’Observateur paalga). « Verger litigieux à Koudougou : faut-il abattre le verger pour avoir le fruit ? », dans lefaso.net, 10 août 2011, http://lefaso.net/spip.php?article43396 (Page consultée le 12/08/2014)

d’absence de réponse de la partie interpellée, l’ONG a alors recours à la presse, comme à un intermédiaire pour que l’affaire soit connue et qu’un traitement diligent et bienveillant soit apporté au dossier.

Interviewé 3, RENLAC : « Mais, dès qu'on sent qu’il y a un blocage, alors on écrit un papier pour que l'opinion soit au courant. »

4.5.3.3. Révélateurs d’insuffisances dans la société, capables de limiter les dérives

Certains, parmi nos sources, donnent aux médias un rôle de surveillance et de révélation des faits non respectueux des valeurs républicaines, notamment en matière de bonne gouvernance et surtout dans des pays ou la démocratie n’est que de façade. Par leurs productions, une autre source estime que les médias arrivent à limiter les dégâts :

Extrait 1 :

Interviewé 1, RENLAC: « Lorsque le système démocratique fonctionne, que les élections fonctionnent, les journalistes peuvent révéler des insuffisances en matière de gestion. Même dans les pays développés, dans les « grandes démocraties », comme on le dit, c’est généralement la presse qui dit ce qui ne pas va dans telle administration, ainsi de suite. »

Extrait 2 :

Question : […] Est-ce que les journalistes ont du poids dans l’opinion quand ils écrivent aujourd’hui ?

AJB: « Heureusement qu’ils ont du poids ! Sinon, on allait connaître beaucoup de dérives. »

4.5.3.4. Capacité d’influence en période électorale

Les hommes de médias sont crédités de la capacité à participer à la régulation de l’élite politique à travers les élections. En fait, ils sont placés dans la chaîne de décision, d’après les propos qui nous sont rapportés :

Interviewé 1, RENLAC : « Moi ce que je veux dire c’est que l’intérêt du journaliste est le public qui est l’électeur et c’est l’électeur qui décide. Tout le monde a peur de l’électeur, parce que c’est l’électeur qui fait gagner les élections. Si un journaliste trouve des éléments contre toi, certainement que l’électeur va avoir une mauvaise perception de toi, de ton système et de ta gouvernance et il va te sanctionner […] Que la démocratie fonctionne bien ou pas, le rôle du journaliste est très important pour informer, mettre au courant la population ; et à elle maintenant de voir comment elle peut réagir pour influencer le comportement du politique. »

4.6. DE L’UTILISATION DES EVENEMENTS

Le 9 décembre de chaque année est célébrée la « Journée internationale de lutte contre la corruption »158. En référence à cette journée, le RENLAC a bâti ou construit un événement qui s’est imposé dans l’espace public du pays : il s’agit des Journées nationales de refus de la corruption (JNRC).

De fait, les JNRC sont annuellement initiées ; la 1ème édition s’est déroulée du 1er au 9 décembre 2014 aussi bien dans la capitale que dans les CRAC (Comités régionaux Anti-Corruption) dans plusieurs villes du pays. Plusieurs activités sont tenues durant ces manifestations : conférences publiques, avec parfois partage d’expériences comme avec l’association française SHERPA159

, remise de mémorandums au Gouvernement, débats publics radio-télévisés, séances de théâtres160, etc.

Ces journées qui sont organisées sous l’égide de l’Office des Nations-Unies contre la drogue et le crime représentent des moments forts où le politique est directement interpellé. Une idée des thèmes choisis donnera un aperçu du niveau d’interpellation des autorités nationales :

« Le contrôle, un moyen de prévention et de répression de la corruption », édition de 2004

« La justice burkinabé face à la corruption», édition 2013

 « Le gel et le recouvrement des avoirs et biens mal acquis des dignitaires du régime déchu de Blaise Compaoré », édition de 2014