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Le lobbying dans le champ professionnel

Chapitre 1 : Le lobbying : revue de la littérature

2) Le lobbying dans le champ professionnel

2.1. Un métier, plusieurs visions

Selon Hugues (1958), le lobbying recouvre « un faisceau de pratiques ». Nous tentons de donner à voir cette richesse de conceptions et de pratiques dans la synthèse que nous proposons ci-dessous.

Dans le tableau-synthèse (voir ci-dessous), nous reproduisons des propos de certains praticiens du lobbying ou des extraits de livres ou de rapports qui éclairent le métier de lobbyiste. Cette vision du métier est proposée dans la colonne de gauche tandis que dans la colonne de droite, nous essayons de retenir les idées-clés. Une synthèse est faite par la suite.

Tableau n° 1 : Aperçu des conceptions du lobbying par les praticiens, adapté de Lacasse (2002, p. 6-7), avec les commentaires de l’auteur

Conceptions proposées du lobbying Idées centrales

Association française des conseils en lobbying (AFCL)

« Le lobbying et les affaires publiques visent à représenter, auprès des acteurs de la décision publique, les intérêts d’une entreprise, d’une organisation professionnelle, d’une association ou d’un organisme public au travers d’un partage d’information contradictoire et équilibré. » AFCL. (Page consultée le 21/12/2015). Déontologie. Charte de l’Association française des Conseils en lobbying et Affaires publique. Article 1 : Définition, [en ligne], http://www.afcl.net/deontologie/

- Défense des droits de tiers - Place centrale de

l’information

- Absence de la notion de pression ou d’influence

Lendrevie, Baynast et Emprin (2008, p. 35)

« Efforts visant à faire connaître et valoir son point de vue à un décideur ou un influenceur majeur. »

- Négocier avec un décideur - Notion d’influenceur Malaval, Decaudin et Benaroya (2009, p. 258)

[Le lobbying] « définit en réalité une stratégie d’influence du pouvoir politique, exécutif ou législatif, dans le but de modifier une réglementation dans un sens qui soit favorable à l’intérêt de l’organisation initiatrice. »

- Influence des pouvoirs politique, exécutif et

législatif - Modification recherchée

des normes Clamen (2000)

« Le jeu institutionnel n’exclut ni les acteurs privés, ni les menées corporatistes. Les partenaires les plus dynamiques prennent leurs intérêts en mains. Ils n’hésitent pas à intervenir dans le processus de décision en faisant le siège des administrations. De groupe d’intérêt, ils se transforment en groupe de pression. Face au pouvoir des bureaux, il s’est ainsi constitué un contre-pouvoir des couloirs. C’est le lobbying. »

- Le lobbying vu comme un contre-pouvoir face à l’administration - Notion d’influence

Cresson (1989) cité dans Lacasse (2002, p. 7)

« Le lobbying correspond à l’utilisation nécessaire de l’ensemble des techniques d’information et de communication à tous les niveaux de l’action commerciale, susceptibles d’orienter une décision dans un sens favorable à l’intérêt général de notre économie. »

- Le lobbying est utile pour faire prospérer l’économie nationale

- Utilisation des moyens d’information et de communication

Des propos de professionnels français collectés dans le cadre d’une enquête par Gilles Lamarque (1996, p. 122-134)

- « Travail d’information, qui vise un public cible : les pouvoirs publics » (Ibid., p. 127)

-"Nous sommes des diplomates d’entreprise qui permettons une meilleure compréhension entre les milieux économiques et les pouvoirs publics" (Ibid, p. 128)

- [Le lobbyiste] « entreprend une action d’information et d’alerte auprès des décisionnaires » (Ibid, p.128)

- « convergence d’intérêts », celui du client – intérêt particulier – et celui des pouvoirs publics – intérêt général – afin « d’éviter les effets pervers de certaines réglementations » (Ibid, p. 128)

-« C’est pourquoi, certains continuent de préférer employer les termes de

"public affairs" ou de "relations institutionnelles" à celui de lobbying (Ibid, p.128)

-« Le lobbying combine deux modes d’action : un travail d’information auprès des décisionnaires publics et la conception et l’utilisation de moyens de pression auprès des mêmes décideurs » (Ibid., p.129)

- Place centrale de l’information

- Accent sur la négociation, rejet du conflit - Veille et information - Recherche du compromis - Autres synonymes de lobbying : « public affairs », « Relations institutionnelles » - Combinaison de l’offre d’information et de l’exercice de la pression

Propos d’un lobbyiste rapporté dans Polère (2007)

« Le ministère de l’Environnement est un ministère qui définit des normes pour de nombreuses activités industrielles. Ce n’est pas son budget qui intéresse les lobbies, mais sa capacité à modifier les règles du marché lorsqu’on change les normes. »

- Influence des normes réglementaires

Au total, il apparaît que les praticiens ou les promoteurs du lobbying n’ont pas une compréhension uniforme de leur métier. Pour certains, l’essence de la pratique réside dans l’offre ou la mise à disposition de l’information technique ou de l’expertise au décideur politique. Tout est dans la négociation, la recherche du compromis. Pour d’autres, l’influence des normes réglementaires est très claire. Se poser en contre-pouvoir de l’administration est même revendiqué par certains professionnels. Dans ces conditions, il est aisé de comprendre le choix de nouveaux noms que font certains professionnels pour se démarquer des autres : « Affaires publiques » ou « Public Affairs » ; « Affaires européennes » ; « Affaires institutionnelles » ; « Relations gouvernementales » ; etc.

Si variées que soient les acceptions du lobbying par les praticiens, le métier est bien encadré par la loi quand celle-ci existe. Citons quelques cas où la pratique est encadrée par la législation.

2.2. Une pratique encadrée par la loi

Interroger le contenu de la loi permet d’avoir une perception, ou mieux, une définition du concept, du point de vue des autorités publiques d’un Etat donné. Au Burkina Faso, en Afrique de l’Ouest, aucun texte de loi n’aborde le sujet, d’après nos investigations. En France, il n’existe pas, à notre avis, une législation stricte de la pratique, même si des dispositifs, sous la poussée de structures comme Transparency International ont été adoptés par le Bureau de l’Assemblée nationale française.

Nous nous servirons des cas documentés dans la littérature et qui concernent les législations en vigueur au Canada, à l’échelle fédérale (Ottawa) et au niveau d’une province (le Québec) ; les cas des Etats-Unis d’Amérique et de l’Europe, avec l’Union européenne sont également abordés.

2.2.1.Définition du lobbying au niveau fédéral du Canada (Ottawa)

Une première loi sur le lobbying a existé en 1989, puis une nouvelle loi proposée en 2008 intégrant des amendements apportés dans les années antérieures. Une évolution majeure marque ce tournant : la notion d’« influence » disparaît. Le lobbying est dorénavant reconnu comme le fait de «communiquer avec le titulaire d'une charge publique au sujet [de mesures dont législatives, réglementaires et décisionnelles visées]» (Boucher, 2010, 21).

2.2.2.Définition du lobbying dans la province du Québec

Avec le Québec, « l’influence » dans le lobbying est au cœur de l’activité : sont de fait reconnues comme faisant partie du lobbying :

toutes les communications orales ou écrites avec un titulaire d'une charge publique en vue d'influencer ou pouvant raisonnablement être considérées, par la personne qui les initie, comme étant susceptibles d'influencer la prise de décisions [...]

(T-11.011, Loi sur la transparence et l’Ethique en matière de lobbying, Article 2, 2002, c. 23, a. 2.)

2.2.3.Aux Etats-Unis

Contrairement aux apparences, nulle part dans le texte de loi la notion d’«influence » n’est rapportée dans le texte de loi aux USA. Le concept de lobbying est corrélé à deux autres concepts que sont les « lobbying contact » et « lobbying activities ». Au sujet de ces notions, voici ce qu’en dit le Federal Lobbying Disclosure Act (LDA)3

, du 19 décembre 1995:

Activités de lobbying. -Le terme “activités de lobbying” signifie les contacts et les efforts de lobbying réalisés en appui à de tels contacts y compris la préparation et la planification des activités, la recherche et d’autres travaux de rappel du contexte qui est entrepris, au moment de sa réalisation, pour être utilisé dans les contacts et la coordination des activités de lobbying initiées par d’autres.

Contact de lobbying. –

(A). Définition. - Le terme “contact de lobbying” signifie toute communication orale ou écrite (y compris une communication électronique) faite à toute personne travaillant dans l’ordre exécutif et législatif4, pour le compte d’un client en ce qui concerne :

(i) La formulation, la modification ou l’adoption de toute législation fédérale (y compris les propositions de lois) ;

(ii) La formulation, la modification ou l’adoption de toute règle fédérale, règlement, ordre de l’Exécutif, ou tout autre programme, mesure politique, ou position du Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique.

(Lobbying Disclosure Act, Public Law 104-65-Dec. 19, 1995 - 109 STAT. 691)

L’observateur attentif est bien obligé de constater l’absence de la notion centrale d’influence dans le contenu de la loi fédérale américaine. Par ailleurs, Baumgartner, chercheur et spécialiste de la question affirme même qu’au sens strict, des actions qui auraient pu paraître pour tous comme faisant partie du lobbying ne le sont pas en réalité : par exemple, faire une déposition officielle au Congrès, ou fournir une information requise par un agent de l’Etat, etc. (1998, p. 35).

3

“LOBBYING ACTIVITIES.-The term "lobbying activities" means lobbying contacts and efforts in support of such contacts,

including preparation and planning activities, research and other background work that is intended, at the time it is performed, for use in contacts, and coordination with the lobbying activities of others.

LOBBYING CONTACT.-

(A) DEFINITION.-The term "lobbying contact" means any oral or written communication (including an electronic communication) to a covered executive branch official or a covered legislative branch official that is made on behalf of a client with regard to-

(i) the formulation, modification, or adoption of Federal legislation (including legislative proposals);

(ii) the formulation, modification, or adoption of a Federal rule, regulation, Executive order, or any other program, policy, or position of the United States Government;” (Traduction de l’auteur)

4

La qualité du « contact de lobbying » est très précisément édictée dans le même texte, voir par exemple, « sec.3. Definitions », pour les spécifications liées à l’Exécutif au sous-point 3, celles liées au législatif au sous-point 4.

2.2.4.Définition du lobbying pour l’Union européenne

Selon le Livre vert présenté par la Commission sur l’Initiative de la Transparence européenne à Bruxelles le 3/05/2006, “on entend par « lobbying » toutes les activités qui visent à influer sur l’élaboration des politiques et les processus décisionnels des institutions européennes. ” (Commission des Communautés Européennes, 2006, p.5)

Le lobbying et les lobbyistes sont perçus comme pouvant éclairer les institutions européennes pour faire triompher l’intérêt général ou le bien commun. C’est pourquoi les méthodes de lobbying « irrégulières » ou qui « sont manifestement trompeuses » sont dénoncées.

A ce stade, essayons de résumer les approches légales du lobbying dans les cas cités. On peut en retenir les points majeurs suivants :

1. La notion d’influence n’est pas partout présente dans les acceptions : elle est clairement indiquée dans la démarche du lobbying au Québec et dans l’espace européen, mais elle est absente au niveau fédéral canadien, de même qu’aux Etats-Unis.

2. Les aspects de communication sont fortement soulignés dans les définitions du Canada, tandis que les options sont plus ouvertes dans les conceptions légales en Europe et aux Etats-Unis. En ce qui concerne le cas canadien, on peut se demander, à la suite de certains chercheurs comme Montpetit (2002), si le lobbying ne va pas au-delà des seules activités de communication.

3. Un point commun dans toutes les approches concerne la cible des personnes visées par le lobbying: ce ne sont pas exclusivement des personnes élues, mais tout « titulaire de charge publique », selon la terminologie canadienne.

S’il existe un terrain où l’ensemble des lobbyistes se rejoignent, c’est bien dans la démarche générale ou les fondements du savoir-faire des lobbyistes et dans la mise en place des stratégies ou des tactiques de lobbying.

2.3. Démarche générale et fondements du lobbying

Selon plusieurs praticiens (Clamen, 1995 ; Farnel, 1994 ; Prevost-Testard, 1993 ; Giuliani, 1991), le lobbying est une combinaison d’un ensemble de techniques et de méthodes. Une démarche générique en cinq grandes étapes en a été proposée par Farnel (1994, p. 87) :

1) La définition des objectifs par l’organisation ;

2) La sélection de questions devant faire l’objet d’une surveillance, d’une analyse et d’une intervention de l’organisation ;

3) L’identification des cibles à influencer : à l’intérieur et à l’extérieur de l’appareil gouvernemental ; sans oublier le moment approprié de « l’attaque » ;

4) La sélection des techniques de lobbying (direct ou indirect) sur laquelle nous revenons au point suivant ;

5) Enfin, la mise en œuvre de l’action, le monitoring et l’évaluation.

La démarche ainsi décrite repose en réalité sur un certain nombre de techniques ou de piliers fondateurs du lobbying moderne c’est-à-dire observable de façon commune dans les pays. Parmi ces techniques de base, on peut en retenir les suivantes :

La veille institutionnelle : aussi appelée surveillance ou monitoring. Fondamentalement, il s’agit de « scanner » son environnement pour détecter à la fois les menaces et les opportunités pouvant affecter la vie d’une organisation ; cette activité a pour finalité de prendre des actions anticipatrices au profit de cet organisme ;

L’intermédiation : c’est la mise en contact entre une organisation qui se place dans le rôle de « demandeur » avec la sphère de décision publique ; une telle action implique la mobilisation du réseau relationnel du lobbyiste et la maîtrise du processus de décision publique ; ce travail de mise en contact entre une organisation et les pouvoirs publics a parfois donné du lobbyiste l’image d’un avocat, celui qui défend les intérêts d’une organisation ou d’une cause : certains font ainsi le lien entre l’« advocacy » et le travail d’information-persuasion du lobbyiste auprès des pouvoirs publics (Attarça, 1999, p.16) ;

La communication et la mobilisation de l’opinion : c’est le recours au poids de l’opinion pour faire pression sur le décideur politique ; plusieurs techniques sont possibles : communication à travers les médias ; publication d’études d’opinion, de livres blancs ; organisation de pétition, formation de coalitions, etc.

2.4. Stratégies et tactiques du lobbying (inside lobbying, outside lobbying)

En matière de lobbying, les stratégies les plus utilisées se regroupent généralement en deux catégories : «directe » et « indirecte ». Il est fréquent de trouver dans la littérature les expressions comme « lobbying direct » et « lobbying indirect », inspiré des stratégies mises en place par des "insider groups" et "outsider groups" (Schattsnchneider, 1935 ; Grant, 1978 ; Maloney, Jordan et McLaughlin, 1994): la première notion fait référence aux groupes d’influence régulièrement consultés comme de l’intérieur par les systèmes politiques – il s’agit donc d’une forme de lobbying direct ; la deuxième expression s’applique à toutes les autres formes de « lobbying indirect ». Pour sa part, Binderkrantz (2005, p. 696) tout en reconnaissant les deux catégories de lobbying propose quatre types de stratégies utilisables par les ONG et autres groupes d’intérêt dans leur tentative d’influencer les politiques publiques.

Sous la rubrique « stratégies directes », Binderkrantz (1995) cite « administrative strategy » et « parliamentary strategy» ; sous « stratégies indirectes », l’auteur mentionne « media strategy » et « mobilization strategy ». Nous proposons ci-dessous une synthèse des stratégies proposées par ailleurs par Drolet, (2009) qui s’inspire fortement de Binderkrantz (1995).

Tableau n° 2 : Stratégies de lobbying direct et indirect des ONG - adapté par l’auteur à partir de Binderkrantz (1995, p.696) et Drolet (2009, p.21)

STRATEGIES DE LOBBYING DIRECTES STRATEGIES DE LOBBYING INDIRECT

Stratégies administratives Stratégies législatives/politiques Stratégies de mobilisation populaire Stratégies médiatiques

- Aide dans le processus décisionnel

- Accords de faveurs - Alliances avec des acteurs influents

-Achat de publicité - Contacts avec le

ministre approprié

- Contacts directs ou indirects avec des élus, porte-parole des partis politiques

- Création de coalitions -Campagnes médiatiques - Contacts directs ou

indirects avec des fonctionnaires

- Contacts directs ou indirects avec un haut fonctionnaire

- Financement d'activités, de projet - Contacts avec la presse - Participation à des comités

- Pratiques électoralistes - Manifestations publiques, organisation de grèves, appel à la désobéissance civile, conduites de pétitions - Diffusion de sondages, de produits d’analyse et de recherche - Présentation de recherches (niveau administratif) - Présentation de recherches (niveau politique) - Mobilisation des membres

- Engager une firme de relations

publiques - Recours aux tribunaux - Présentation devant une

instance - Organisation de campagnes de lettres - Organisation de conférences de presse

Au-delà des professionnels, le lobbying a fait l’objet de réflexions, d’approches et d’analyses dans la communauté des chercheurs. C’est l’objet des lignes qui suivent.