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Quelles stratégies pour ne pas glisser dans l’impuissance ?

Comme discuté précédemment, les professionnels de la santé travaillant dans le domaine de la psychiatrie sont fréquemment amenés à gérer leurs émotions, en fonction de la situation et de la pathologie psychique qu’ils rencontrent. Ils doivent apprendre à distinguer ce qui leur appartient et ce qui appartient au patient, de façon à ne pas être envahi émotionnellement. Chacun va réagir et gérer la situation différemment, car les réactions émotionnelles suscitées varient d’un individu à l’autre, ce qui peut parfois se transformer en obstacle à l’exercice professionnel. Comme le dit Marc, « la gestion des émotions s’apprend jour pour jour. Dans toutes les prises en soins, il y a des patients qui nous renvoient certaines choses personnelles » (Entretien n°1).

Il nous est apparu lors des entretiens qu’un sentiment commun aux huit professionnels de la santé interviewés est le sentiment d’impuissance face à une situation d’hospitalisations répétées, car c’est un sentiment qu’ils rencontrent régulièrement. Comme nous le dit Hélèna : « en psychiatrie, il y a beaucoup de situations où on se sent complètement impuissant » (Entretien n°2). Face à ce type de situations, les soignants se disent dépassés, frustrés et/ou épuisés. Paul justifie ce sentiment par le fait que « malheureusement, il y a des choses qui, en tant que soignant, ne nous appartiennent pas » (Entretien n°8).

Pour certains, cette impuissance vient de la chronicité de la pathologie psychique et/ou de la pathologie elle-même. Pour d’autres, comme Serge, elle est « le point de départ de tout notre travail, parce que les patients, ou ce genre de personnes, pour se

maintenir dans l’exclusion, qui est devenue leur identité, vous réclament de l’aide, mais ils ne peuvent pas construire avec cette aide » (Entretien n°6) et « luttent désespérément pour vous rendre impuissants. De cette façon, eux, ils sont protégés par l’identité que l’exclusion leur a construite » (Entretien n°6).

Pour lui, l’impuissance est aussi « le point de départ de la reconnaissance de l’autre, d’où il est. Et il faut faire très attention de ne pas [!] le sortir de là, si on n’a pas vraiment et objectivement quelque chose à lui offrir » (Entretien n°6), « parce que c’est la limite à laquelle eux, ils nous acculent pour nous dire « ok, si vous voulez briser cette impuissance, vous nous offrez quoi ? » » (Entretien n°6) Le sentiment d’impuissance est donc une monnaie d’échange contre une solution pour les patients. Une solution pour mieux gérer et pour mieux vivre avec une pathologie psychique.

Tandis que pour Mathieu, le sentiment d’impuissance s’apparente au sentiment de frustration : « c’est une frustration de le voir revenir, d’aller mieux, de le voir pleurer quand il ne va pas bien puisqu’il se rend compte, [!] puis de le revoir partir car on ne peut juste plus gérer la situation [!] ça fait mal » car « en quelque sorte ils ont envie de s’en sortir mais ils n’ont pas toujours la force suffisante ou la volonté et puis de devoir recommencer avec eux, c’est frustrant » (Entretien n°4).

Face à la détresse des patients, ce sentiment d’impuissance peut amener les soignants à se trouver dans une impasse, sans plus savoir quoi faire pour aider et prendre en soin le patient. Il est donc nécessaire que le soignant développe des stratégies pour pallier à cette impuissance.

Hélèna nous fait part d’une de ses expériences avec un patient qu’elle suit maintenant depuis trois mois. Ce patient a travaillé pendant trois ans dans le milieu de l’hôtellerie et s’est fait licencié du jour au lendemain. Il éprouve un grand sentiment de colère face à sa situation actuelle et le ressent comme de l’injustice. Son état d’esprit fait que les entretiens sont identiques depuis le début de son suivi au CAPPI.

Face à cette situation, Hélèna ne sait plus quoi faire et se sent dépassée par la situation. Elle a tenté de l’intégrer au sein d’un groupe thérapeutique, mais « dans ce groupe, ce monsieur fait la même chose qu’en individuel, c’est-à-dire qu’il tire les autres personnes vers le bas » (Entretien n°2). Ceci ne permet pas au patient d’avancer dans son processus de rétablissement. De manière générale, Hélèna exprime le fait qu’ « il y a beaucoup de situations où on se sent complètement impuissant » (Entretien n°2).

Quant à lui, Jean présente plusieurs solutions afin de diminuer le sentiment d’impuissance, comme de « dire au patient qu’on ne peut pas faire plus que ça, on peut aller jusqu’à là, et on demande si ça lui convient » (Entretien n°7), car parfois « c’est bien

d’arrêter ou de laisser la personne réfléchir » (Entretien n°7), « de partir de là où est le patient et puis de construire avec lui » (Entretien n°7), ou encore que ce soit le patient et non le soignant qui fixe les objectifs de soins.

Hélèna rejoint Jean sur ce point en proposant de baisser les objectifs de soin du patient pour qu’ils soient adaptés et réalisables, ainsi que d'ajuster sa pratique au patient et à ses besoins. Elle suggère également de trouver d’autres ressources personnelles et/ou professionnelles, comme des supervisions d’équipe ou d’en discuter avec des collègues, et mentionne l’importance de faire et fournir un travail personnel sur soi.

Marjorie présente des stratégies qu’elle a développées, notamment lors de son voyage en Amazonie avec des personnes souffrant de troubles psychiques, et qu’elle utilise régulièrement dans sa pratique. Elle mobilise des ressources externes, comme se reposer ou chercher l’appui d’autres professionnels, ou encore explorer les compétences des patients et prendre le positif afin de travailler avec eux sur la base de leurs compétences, car pour elle, « ça fait partie de notre rôle de tirer toujours le patient vers le haut » (Entretien n°5). Pour elle, une autre échappatoire à ce sentiment d’impuissance serait de puiser dans la créativité de chacun, mais un frein à cette stratégie est le manque de temps et de personnel.

Serge met en évidence les pratiques qu’il utilise afin de ne pas se sentir impuissant face aux patients. Il propose comme stratégies la mobilisation de ressources, telles que des « réunions d’équipe pour d’abord établir des liens de solidarité, établir des liens de confiance » (Entretien n°6) au sein de l’équipe soignante, car « l’adversité sociale, psychique et émotionnelle à laquelle on a affaire, si on n’est pas protégé, elle nous détruit, elle nous mine, elle nous sape l’existence » (Entretien n°6). Il mentionne également comme ressource au sein de l’équipe la cohésion, la solidarité. Il soulève l’importance d’utiliser sa capacité de réflexion afin de trouver « le degré de proximité ou de distance émotionnelle adéquate avec la personne qu’on aide pour ne pas ni la dévorer, ni se faire dévorer » (Entretien n°6).

Benjamin, travaillant sur le canton de Vaud, propose l’utilisation des équipes mobiles et du suivi intensif dans le milieu, car « c’est vraiment le fait d’avoir une équipe mobile pour aller voir à domicile qui a complètement changé la donne » (Entretien n°3) et « donne beaucoup d’espoir à tout le monde » (Entretien n°3).

5.1.5 Gestion et préparation à la sortie : Comment se fait le passage

de témoin d’une hospitalisation où les soignants sont

omniprésents à la sortie où l’entourage devra prendre le relai ?

La gestion et la préparation à la sortie sont des points importants à travailler avec le patient hospitalisé dans une institution. Ce dernier redoute parfois la sortie ou bien est, au contraire, content de sortir de l’enceinte de l’hôpital. Le travail en partenariat avec l’équipe pluridisciplinaire est essentiel car il va permettre à la personne soignée de se confronter avec la réalité extérieure. Il consiste à apaiser les éventuelles angoisses, organiser un relai ambulatoire et à mobiliser les ressources et les compétences du patient en cas de difficultés dans la vie quotidienne. Une préparation à la sortie adéquate peut permettre au patient d’avoir une gestion optimale de sa maladie psychique en favorisant la compliance médicamenteuse pour prévenir les ruptures de traitements. Elle permet également au patient de s’intégrer dans un réseau adéquat en le sollicitant à se rendre aux consultations, voire de permettre une réinsertion sociale. Ces éléments peuvent avoir un impact non négligeable en réduisant les rechutes et les hospitalisations répétées.